Café littéraire du 7/02/2022 📜📚

Nous sommes heureux de nous rencontrer ce lundi en grand groupe, nous sommes douze lecteurs, chez Nicole qui apporte des fauteuils pour chacun… elle en est très heureuse. On retrouve Mauricette, Louis, Marcel qui sont rétablis, Marie, Nadine qui a cuisiné pour nous, Suzel, Jean, Marie José, Marie Françoise, Evelyne ; nous accueillons Christine avec joie dans notre groupe. Dans l’action de présentation de chacun, Nicole en oublie le café et passe sans tarder aux questions de choix des spectacles prochains : Présentation des paysages pyrénéens par Jean, le 17 février à 18h30 à l’Ermitage. Des visites de musées à choisir… qui seront précisées.

Plusieurs lecteurs ont fait le choix du prix Goncourt, Mauricette avait prévu de l’aborder devant le groupe et Nicole l’accompagne :

 « La plus secrète mémoire des hommes » de Mohamed Mbougar Sarr a beaucoup de succès et beaucoup de choses ont été dites sur ce grand livre, profondément humain et humaniste. Nous ajoutons une petite contribution pour vous encourager à le lire, ce que nous apportons n’est qu’un premier échange entre nous.

Ecrit entre 2018 et 2021, grâce à une bourse de la Fondation Lagardère pour un jeune écrivain africain de 31 ans, né à Dakar.  Il est fils de médecin, aîné d’une fratrie de sept garçons, sa famille parle la langue « Sérène », ses études ont commencé à Dakar au Prytanée militaire, filière très sélective, puis il va à Compiègne préparer des concours au Lycée Général et Technologique Pierre d’Aillay, il est reçu à l’Ecole des hautes Etudes en Sciences Sociales.  Il a commencé une thèse sur Léopold Sédar Senghor, Il est journaliste à « Africa is a Country » et a fait un reportage en Sicile sur l’immigration venant d’Afrique. Ses diverses productions, dont 4 romans, ont toutes retenu l’attention des jurys de concours, en 2015 il reçoit le Grand Prix du Roman Métis.

Pour ce jeune romancier « la littérature est un vrai regard sur le monde. »  Son éditeur est jeune lui aussi, Phillipe Rey est marathonien…

On peut se poser la question : De qui parle-t-on dans ce livre ?

Son personnage principal s’appelle T.C. Elimane. Il s’agit à travers lui de réhabiliter un écrivain malien, Yambo Ouologuem, né en 1940 à Bandiagara, dans le pays Dogon, près du Soudan. Son livre « Le devoir de Violence » paru en 1968, a reçu le prix Renaudot et fut accueilli avec des réactions diverses, en cette période de remises en question. Il fut accusé de plagiats et pourtant il avait une formation très académique, classes préparatoires au Lycée Henri IV, puis reçu à ULM. Il parlait trois langues Français, Anglais, Espagnol, plus les langues africaines du pays Dogon.  La presse de cette période occupée par les grèves politiques, est probablement injuste envers ce brillant écrivain noir qui se rebelle en 1969 et produit un ouvrage de référence « Lettres à la France nègre ». En 1984, on le retrouve Directeur d’un centre culturel africain du pays Malien puis il termine sa vie à Sévaré en 2017.

Le livre de Mohamed Mbougar Sarr, primé en 2021 est complexe et souvent passionnant. Voici un ensemble d’informations qui peuvent vous aider à le lire avec attention.

Dès les premières pages, datées de 2018 on connait le sujet et la première phrase du « Labyrinthe de l’inhumain » écrit par un jeune africain, T. C. Elimane, en 1938 et salué par les critiques de façon très diverses en ces proches années d’avant-guerre : <Livre culte, ou mystification ?>, <comment un africain peut-il avoir une telle culture ?>, <c’est un Rimbaud nègre !>, < une œuvre qui change notre regard sur la littérature…> On ne peut qu’être attiré par une œuvre aussi forte. Le narrateur s’appelle Diégane, futur écrivain qui cherche pourquoi le livre et son auteur ont disparu. Certes la guerre est passée sur cet épisode, ce drame humain. Son enquête commence en 2018 à Amsterdam où il sait rencontrer une poétesse connue, Siga D. ; puis, il pense aux journalistes qui ont écrit sur Elimane. La première partie du livre est un journal au jour le jour de cette recherche de l’été.

La seconde partie, un livre second dans l’ensemble, est centré sur le récit de Marème Siga D. Elle connaît Elimane, sa famille et ses origines africaines. C’est alors une plongée dans les coutumes du peuple SERENE au Sénégal. On retrouve deux ancêtres frères, dont l’un devient en son temps un héros pour avoir tué un crocodile mangeur d’homme, Waly meurt dans le combat contre la bête ; Son frère Ngor va élever ses neveux selon les traditions anciennes. Il transmet les rites et les savoirs tandis que son épouse est la nourricière. Les deux neveux sont les sujets de ce volume, Assane un brillant enfant qui continue ses études en 1917 chez les religieux, beau, passionné de culture européenne, et son frère devenu aveugle dans l’enfance, Ousseymanou Koumakh, qui devient le sage de la famille. Il est entouré de trois épouses, jeunes et belles qui s’occupent de lui et des enfants. Il a un don de voyance qui lui permet de soutenir les voisins en souffrance et de prévoir les événements. Siga D ne l’aime pas, car le vieillard assez déplaisant, reproche à sa petite-fille la mort en couches de sa mère, une toute jeune femme qu’il a épousée alors qu’il avait 60 ans environ.

Entre les deux jeunes frères, un amour, une jalousie, se sont élaborés au fil des jours. Puis un conflit lors de la rencontre de Mossane, belle, douce qui ne peut choisir entre les deux frères de 20 ans. Assane part en France pour ses études, mais il va s’engager dans un régiment africain et ne revient pas après les combats de Verdun. C’est Koumakh qui recueille Mossane et son fils sur la demande de Assane. Oncle ou père, Koumakh conduit la formation de Elimane, Madag en Sérène, Il lui apprend l’Islam, l’envoie au lycée à Dakar, lui enseigne la voyance secrètement. Et Elimane fait le même chemin que son Père, classes préparatoires à Ulm, assurément futur normalien ; mais il souhaite retrouver son père dans les tranchées de Verdun et il quitte ses études pour écrire.

Ces informations sont contées par Siga D, puis Mossane, épouse délaissée devenue étrange ermite qui attend son fils sous un arbre presque sacré, et enfin par les amies de Elimane en exil. Siga D est une demi-sœur de Elimane et c’est elle qui va orienter Diégane dans ce Labyrinthe des allers -retours de Elimane à travers le Brésil, Paris et le Sénégal, la fuite, l’errance, la vie d’écrivain-ermite.

La première partie du livre est truculente, Siga D apparait comme une Mama de 68 ans, sage et puissante, « l’Araignée-mère » qui intimide le jeune homme, au moins un moment. ! Elle restera au cours du roman une sorte de phare pour Diégane. Elle a connu Elimane et possède l’unique exemplaire qui reste du livre. Elle s’était donnée un objectif, écrire le livre sur TC Elimane, mais elle n’a pas pu le faire. Cependant elle va conter un récit de cette famille (« comme un grillot », dit Jean,) puisqu’elle est sa cousine ou sa demi-sœur ? C’est donc un récit mais aussi le livre qu’elle n’a pas écrit qu’elle donne en une sorte d’héritage à Diégane.

Parmi les divers thèmes abordés par l’auteur, et ils sont nombreux et riches, puisque le livre court sur une centaine d’années, depuis Waly jusqu’à la retraite de Siga D., Voici celui que je retiens :

Ce récit est passionnant car il est dit par Siga l’Africaine, sur son Afrique et sur sa famille. J’ai aimé cette humanité, cette indulgence des personnages « passeurs des traditions anciennes du Sénégal ». Leur impuissance devant les dégâts produits par la colonisation, et l’appel des sirènes de la culture européenne. Enfin, les rejets de tous ceux qui veulent atteindre le graal des réussites.  Mauricette insiste sur cette privation de la culture locale sénégalaise ou sérène en face de la fascination de la culture du colonisateur. Un thème qui la touche personnellement dans sa propre histoire. Dans le cas de Elimane et de son modèle malien Ouologhem, la confrontation au sérail des écrivains et intellectuels français est féroce. Il est vrai que la période de 1938 est dangereuse.

J’ai été touchée par ce repliement des êtres dans la dignité et la résignation ; faire un travail de méditation, d’approfondissement des valeurs humanistes, sans se plaindre, mais en se grandissant. Vigny nous en avait parlé déjà : « Gémir, pleurer, prier est également lâche…».

Un bon café et des beignets nous ont aidés à surmonter les idées et impressions diverses ressenties par chacun, c’est un moment fort. Merci à Mauricette, Marcel, Jean et Suzel, Marie José d’avoir contribué à nous initier à ce texte qui méritera surement d’autres commentaires.

C’est Marie José qui a son tour nous parle d’un livre « doux et calme » sur la nature des marais de la Caroline du Nord. Delia Owens, née en Géorgie en 1949, a écrit « Là où chantent les écrevisses » paru en 2019, traduit de l’anglais. L’écrivaine est zoologiste, sa compétence donne un remarquable réalisme au roman.  Kia, la fille des marais de Barkley Cove est devenue une « Icône » au fil des années par son travail étonnant de repérage et description des plantes et petits animaux découverts dans ces marais. Pourtant elle est une fillette sauvage analphabète qui a perdu ses parents partis ou disparus de sa vie, à l’âge de 10 ans. Elle apprend à survivre seule dans les marais, refuge naturel et protection contre la société souvent cruelle. Sa vie dépend du petit bateau qui lui permet de pêcher et d’un couple noir qui la prend en affection. Elle rencontre un jeune homme cultivé qui lui apprend à lire et à écrire, subjugué par les travaux de collection de cette enfant. Il lui apprend aussi la poésie et la science qui lui permettent de comprendre son environnement. Mais il s’en va lui aussi. La solitude lui paraît difficile et une rencontre dangereuse va la conduire à l’irréparable, situation où elle ne peut que réagir seule…

C’est un phénomène d’édition pour ce roman, plus de 5 millions d’exemplaires vendus.  Des critiques élogieuses, « Un roman à la beauté tragique » écrit le NY Time Book Review.

« Une histoire déchirante, un hymne sublime à la nature et à la solitude. » Marie José nous conseille sa lecture pour nous redonner le goût de la nature, et le courage…Elle a été impressionnée par l’observation faite de l’intérieur de l’environnement naturel ; comme le courant qui existe actuellement de la recherche participative du public : « Combien de papillons passent dans votre jardin aujourd’hui ? » nous dit Jean ;  ou bien, cite Marcel, je crois : le diction indonésien  venu de la ville de Banda Ace sur la pointe nord de Sumatra : « La mangrove protège l’homme qui protège la mangrove » La nature est miroir.  Suzel a trouvé la même sérénité avec un film sur le Jura « le Lynx », qu’elle nous conseille de voir.

Nous allons terminer notre voyage littéraire avec Evelyne qui a lu avec une immense joie un roman japonais : « Ame Brisée » de Akira Mizubayashi paru en 2019 aux éditions Gallimard, prix des Libraires 2020.

Ce livre a enchanté Evelyne par son thème, par son style, par sa relation à la Musique. Elle m’a confiée ses notes pour m’aider à dire ses impressions le plus précisément possible. Je l’en remercie.

En 1938, dans le contexte de la guerre Sino-Japonaise, l’écrivain japonais nous propose une intrigue captivante, des personnages attachants et une écriture poétique. Il est construit comme un opus musical, en quatre mouvements :« *Allegro ma non tropo, *Andante, *Menuetto allegretto, *Allegretto moderato. ». Le titre du roman « Ame brisée » est lié au violon, dans le récit le violon est brisé par la violence, mais dans le même temps, est brisée l’âme du jeune héros, REI.

Ce roman est une mélodie qui nous emporte de façon magistrale pour notre grand plaisir. Les morceaux de musique qui jalonnent l’intrigue vont de Schubert avec Rosamonde, Bach et la Gavotte en rondeaux, Alban Berg avec le concerto à la mémoire de l’Ange… Evelyne nous avoue l’intensité de ses émotions, mêlant la lecture à l’écoute des morceaux de musique cités.

Quatre musiciens, un quatuor à cordes, répète leur programme de concert quand ils sont interrompus par l’irruption de soldats. Ils sont soupçonnés de complot contre leurs pays. L’un d’eux, YU, est professeur d’anglais et son jeune garçon de 11 ans les écoutait. Il se met à l’abri dans une armoire tandis que les musiciens sont malmenés et embarqués manu militari. Le jeune garçon reste caché dans l’armoire longtemps, il ne reverra jamais son père. Mais il conserve les morceaux du violon brisé.

Dans un autre chapitre, en France dans le Jura, on se retrouve avec Jacques Maillard, luthier, c’est l’Andante. Il est entouré de violons, toutefois un seul n’est pas à vendre c’est le Vuillaume.

             Comment est-il arrivé à Mirecourt, la cité des luthiers connue pour la mémoire de Vuillaume, Voirin, Bazin, Collin et Bernardel qui créaient à la même époque que Stradivarius à Crémone au XVIème siècle. Par quel miracle ce violon est-il arrivé en France et comment la petite fille de YU est-elle en possession de ce souvenir de REI ? C’est l’occasion de parler du déracinement, du deuil à faire dans ces périodes de grands troubles, et parfois il est impossible à faire. Merci à Evelyne de nous parler de ces grands moments de la vie, qui sont la matière même de notre existence, accompagnés ici par la musique qui peut-être transpose la douleur. Ce qui est difficile ou impossible à raconter sans arrachement, devient transposé en émotions esthétiques et en sublimes accords. Même si les larmes coulent, elles produisent un apaisement.

 Nous nous mettons à bavarder sur les émotions, comment les ressentons-nous ?

  • Résident-elles dans le cœur ou dans le cerveau ?
  • Comment faire la différence entre cerveau gauche et cerveau droit ?
  • Cela implique-t-il que les sens situés sur la partie gauche de notre tête réagissent différemment de leurs homologues droits ?
  • Pourquoi parle-t-on de « Chiasme » (X) entre ces deux parties de cerveau ?
  • Pourquoi parle-t-on des 3 niveaux de représentations dans le cerveau ?
  • Qu’est ce qui pourrait permettre de suivre les processus de représentations abstraites lorsque nous parlons ou lorsque nous réfléchissons ou même lorsque nous agissons ?

Nous pourrions faire la même recherche

  • sur les représentations imagées…
  • sur les processus de décision.

Vous pouvez chercher des réponses sur notre extraordinaire « boite à idées. » Vous pouvez commencer par le vieux film de Henri Laborit et Alain Resnais « Mon oncle d’Amérique »1980. (Pierre Arditi, Marie Dubois, Gérard Depardieu, Nicole Garcia.)

A suivre…

Nous nous retrouverons le lundi 21 février 2022 chez Evelyne, à 14h30 pour de nouvelles aventures littéraires.

Merci à tous pour votre goût des livres, votre curiosité pour le style de l’écrivain, pour votre attention aux mouvements internes de nos émotions et de nos activités mentales : elles nous conduisent à l’action, soit l’écriture, soit la lecture, soit l’écoute attentive : c’est ainsi que nous nous perdons dans la pensée des autres, nos chers semblables, ou dans les films que nous construisons intérieurement.

Amitiés nicole.

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