Café littéraire du 18/03/2024 📜📚

Pour ce rendez-vous au café littéraire qui est proche du précédent, exceptionnellement, nous sommes nombreux à vouloir partager nos belles histoires du lundi de Passerelles. Seize lectrices et lecteurs sont présents, grand succès pour nos échanges amicaux ; Louis, Jean, et Marielle se sont excusés pour des raisons importantes. Nous pensons à eux.

Mauricette que l’on connaît bien et qui est une passionnée des associations (La Dante Alighieri de Bordeaux) m’a offert un livre passionnant sur l’Italie du XXème siècle : « L’art de la Joie » de Goliarda Sapienza. Elle vient aujourd’hui nous parler de l’écrivaine qui est décédée en 1996.

GOLIARDA SAPIENZA : « L’ART DE LA JOIE »

Lorsqu’on voit ce pavé de 800 pages, on prend un peu peur d’autant plus que Goliarda Sapienza n’a jamais fait la une des plateaux, l’art de la joie étant une oeuvre posthume.

Goliarda est née en 1924 en Sicile et morte en 1996… 1998 est l’année de naissance officielle de ce roman en très peu d’exemplaires alors que ce chef d’œuvre est né après 10 ans d’écriture entre 1967 et 1976.
C’est seulement la traduction en français en 2005 qui lui donnera une troisième naissance triomphale.
Lorsqu’on se lance dans la lecture de ce roman, très vite on pense à une autobiographie romancée et les interrogations multiples nous assaillent et nous renvoient à l’autrice.

Qui est-elle ?

 Elle se définit comme une religieuse marxiste défroquée – étrange car on ne peut que faire le rapprochement avec le roman.
Huitième enfant d’une femme libre, figure du parti communiste et amie de Gramsci, membre fondateur du parti, et d’un père avocat des pauvres.
Goliarda passe son enfance à Catane dans un quartier populaire où sa famille est assignée à résidence et poursuivie par les fascistes. Goliarda ne sera pas scolarisée de peur de l’embrigadement fasciste – elle se forme seule en touchant à tout et en lisant beaucoup – elle joue aussi la comédie dans la rue.
Benito Mussolini a fondé le prototype, le Faisceau italien de combat, à Milan en mars 1919 qui allait donner son nom au « fascisme ».  Autre point que l’on retrouve dans le livre en toile de fond.

A 16 ans elle entre à l’académie des Arts Dramatiques à Rome.
Elle a 30 ans, la guerre bouleverse tout – elle entre en résistance, se cache dans un couvent.
Encore un détail intéressant puisqu’on retrouve le couvent dans le roman.
A la libération elle fonde des troupes avant-gardistes et connaît le succès.
Mais à 38 ans sa vie bascule – tentative de suicide, internement et voilà l’écriture comme thérapie.
Elle fera de la prison, elle transgresse toutes les règles, touche le fond, renaît et trouve la joie dans l’engagement, l’écriture et l’amour.
Elle a vécu le fascisme et le début des années de plomb – sorte de guerre civile où s’affrontent l’extrême gauche et droite. Il ne faut pas oublier que ces années de plomb sont la continuité d’une autre guerre civile, celle des partisans contre les fascistes.
Sa vie est un roman et peut être l’écrire lui a procuré une sorte de sérénité en faisant vivre le pire et le meilleur à son héroïne.

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Revenons au roman, je me bornerai à parler de mon ressenti pour vous inviter à le lire.
C’est le roman d’une vie, non, d’une multitude de vies partagées avec Modesta, l’héroïne née en 1900.
Roman historique car les évènements politiques, scientifiques, philosophiques que traverse l’Europe, apparaissent en toile de fond.

Modesta nous captive, tant elle est capable de renaître du malheur pour aller vers la lumière, elle accepte toutes les situations pour mieux rebondir : résilience, ambition, elle ne regarde que devant elle profitant de tout et de tous pour trouver amour, joie, force tout en sachant rester à l’écoute de tous.

On ne peut échapper à ce roman et le refermer car dans les premières 20 pages on lit l’inimaginable.

Modesta a 4 ans et traîne le malheur au bout d’un bâton et survit entre une mère accablée et une sœur trisomique –Là où l’on ne voyait que misère, les cris de sa sœur seront pour Modesta le révélateur de sa sensualité.
Puis viennent deux scènes, l’une tendre avec un jeune paysan rustre mais tendre qui va éveiller sa sexualité « une fatigue douce pleine de frissons qui empêche de sombrer » ; l’autre terrible, relation incestueuse, viol avec ce père qu’elle n’avait jamais vu.
On reste un peu en état de choc et on ne peut qu’imaginer la liberté d’esprit de l’autrice en replaçant le roman dans l’époque où il a été écrit et où il a été situé.

Et on peut difficilement fermer le livre devant tant d’audace ; on rentre dans l’intimité de Modesta dans ce roman écrit à la première personne.

Pour la suite Modesta avance vers son destin, se nourrit de toutes les expériences, des rencontres, des épreuves, ne se révolte pas, se relève toujours et reste toujours lumineuse.

Misère dans la jeunesse, soumission à l’église dans son adolescence dans ce couvent qui la recueillera après son viol, bisexualité, découverte du communisme, engagement dans son rôle de mère, mariage insensé, Modesta surfe sur tout cela avec dignité et panache.  

Nicole revient sur le roman pour en lire quelques passages et les présenter.

Ecrit entre 1967 et 1976, il fait le récit du personnage : Modesta naît le 1er janvier 1900, marquant ainsi que ce livre est l’aventure d’une vie, d’un siècle, d’un pays, l’Italie, traversé par les mouvements sociaux et politiques.

  • Le premier livre est centré sur MODESTA, malmenée par la vie, dans une famille misérable. Sa mère ne s’occupe pas d’elle, elle fait ses expériences seule et ne peut en parler qu’à des personnes que le hasard met sur son chemin. Sa maison est pauvre et sa sœur trisomique, parle peu et ronfle la nuit. Sa mère est malheureuse, et centrée sur la jeune handicapée qui crie constamment. Le père est comme beaucoup d’hommes dans ce milieu, absent, irresponsable. Elle perd sa virginité sans se rendre compte des conséquences. C’est un des seuls moments pendant lequel un homme, peut-être son père qu’elle découvre, s’est occupé doucement d’elle. Elle sera adoptée par le couvent de l’endroit, elle sort de la misère donc, mais pas de la tristesse. Fine, jolie, intelligente, elle s’adapte aux tâches qu’on lui confie et se fait remarquer par la supérieure du couvent, une jolie femme aristocrate, Mère Léonora qui s’ennuie elle aussi. Elle comprend très vite que ses qualités personnelles peuvent l’aider à sortir de la misère.

La Mère Supérieure appartient à une famille célèbre mais en difficulté depuis que le Maître est décédé. Prince cultivé, agréable, il laisse une femme très responsable, mais qui s’ennuie et se lamente à cause d’un fils un peu handicapé, lourdaud qui ne pense pas beaucoup. Elle aurait besoin d’une amie, active énergique qui pourrait s’occuper de la maisonnée dans un joli château sicilien entouré de terres cultivée, latifundia, et de fermiers actifs menés par un responsable de grande qualité. Modesta, a 17 ans environ, elle accepte cette évolution et devient une gouvernante active, agréable, ferme dans ses positions et attentive à la Princesse. Cette maîtresse femme sait la surveiller discrètement, jauger ses compétences et bientôt devient très amicale avec la jeune fille. Celle-ci apprend auprès de ce modèle à mieux se comporter, s’exprimer, s’habiller, se tenir dans une société élégante.

La mort de ma Mère supérieure avait laissé à Modesta un petit héritage, puis une place dans sa famille princière auprès de sa sœur, comme gouvernante. Ayant fait ses preuves auprès de la Princesse Gaïa au bout de quelques mois, elle accepte d’épouser le fils de la Princesse, jeune prince un peu mongolien, Ippolito qui la trouve plus aimable que la jolie servante qui s’occupait de lui.  Les chapitres 34 et suivants sont essentiels pour comprendre l’héroïne (A lire quelques passages.) Modesta devient l’héritière de la Princesse, après avoir été l’amie intime de sa fille Béatrice ; elle devient aussi l’élève du garde champêtre de la maison princière, Carmine qui pense à son propre avenir avec intelligence et humour dédaigneux…D’ailleurs, il fait ce qu’il est nécessaire pour atteindre son objectif.

Ce premier livre est remarquablement écrit, il fut publié en un livre qui eut un très vif succès. Le personnage de Modesta est passionnant, vif, sensible, opportuniste, toujours en mouvement.

*Le deuxième livre décrit la jeune femme après le décès de la Princesse qu’elle remplace dans toutes les prérogatives : elle devient la Princesse après que la société italienne ait tremblé lors de nombreux troubles sociaux : la guerre d’indépendance menée par Garibaldi contre l’Empire austro- hongrois 1868 environ, puis des conflits civils. L’aristocratie a beaucoup souffert de ces troubles et le peuple encore davantage, la faim, les cultures en baisse, les terres dévastées.

 Son mariage avec le jeune Prince podagre, n’est pas un trop grand souci, (elle se rappelle sa sœur) et elle aide le jeune Prince asocial, à devenir plus de calme. La naissance d’un garçon est bienvenue. Son amie, Béatrice dite « Pouliche », fille de la Grande Princesse, est depuis plusieurs années tendre et vulnérable, elle la console de ses difficultés. Carmine devenu intendant, l’initie à la gestion du domaine et de sa vie personnelle. Il est un homme de l’ancien temps, venu en Italie après un exode et un passé surement brillant dont elle a compris l’influence. Il est assez près du personnage du Guépard, l’aristocrate sicilien de haut prestige.

La vie politique intéresse Modesta, s’engager pour le socialisme et contre des ligues fascistes qui se créent, lui est possible, mais il faut aller vivre à Catane pour être au centre des mouvements et des discussions intellectuelles sur le devenir de l’Italie. Triste pays longtemps malmené par la tyrannie autrichienne et par les envies espagnoles et françaises. Catane est de plus menée par des bandes mafieuses dirigées par des hommes dangereux. Une rencontre inattendue, au bord de la mer : c’est un jeune médecin qui fait vibrer Modesta, il est jeune et cultivé, Carlo, et il pourrait devenir un parti valable pour un mariage avec la jeune Béatrice qui doit se détacher de Modesta. Elle a un peu plus de 20 ans mais sa maturité révèle une grande intelligence et beaucoup de réflexion ou d’instinct ?

Le style du livre est efficace, bien traduit. Le cadre est admirable, une grosse villa, presqu’un château, des terres ; des serviteurs nombreux, dont certains sont très proches du pouvoir que la Princesse exerce. Des pièces tendues de soie, des rideaux somptueux, des bibliothèques, des souvenirs des princes disparus. On pense au « Guépard » de Visconti. Les terres mais aussi des écuries, des chevaux de grande valeur. Comme au théâtre, les scènes se suivent rapidement, les dialogues fusent et on perçoit que ces dialogues constituent l’intrigue de cet ensemble de 800 pages. Les moments de voix intérieure, voix off, réflexions sont plus rares que dans d’autres romans. Récit italien où la parole est reine : les décisions y sont immédiates et changent le courant des évènements, des façons de vivre. Les livres suivants, leurs aventures, sont liés à la maturité, Mody change, se méfie, utilise tous les moyens pour réussir ses projets.

Pour Goliarda Sapienza, l’écriture est un retour sur sa jeunesse, les succès qu’elle a envisagés, embellis, restitués comme le Temps Retrouvé de Proust ou de M. Enard, et bien d’autres. Modesta est un merveilleux personnage, dans la lignée de Scarlett dans « Autant en emporte le vent », magnifiée par sa beauté et son humanité.  

La présentation est plus longue que d’habitude, comme une histoire racontée. Merci à Mauricette pour ce moment historique italien.

Isabelle et Marcel ont lu le livre au moment de sa parution en France, 2005 et ils interviendront dans les discussions qui ne manqueront pas après lecture par nos lectrices et lecteurs,

Nous avons été longs et Sylvie souhaite nous parler d’une chose étonnante. Un tout petit livre de SEI SHôNAGON : « Choses qui rendent heureux ». Après une première lecture de thèmes délicats « traînée de nuage dans le ciel bleu ou d’un vol de lucioles », Sylvie demande si nous pouvons dater cette composition, au moins approximativement ? très difficile. Elle nous révèle que SEI SHônagon est une dame d’honneur d’une Impératrice de l’An 1000 !  Elle notait pour se distraire et honorer la nature des « Notes de chevet ». Gardez bien près de vous ces notes qui risquent de vous rendre heureux. Elle nous lit avec recueillement « Au printemps, l’Aurore, puis Choses qui font battre le cœur, puis Manteaux et tissus ».

Cette femme illustre qui nous vient du Moyen Age, a servi pendant sept ans l’Impératrice Teishi. Ce petit livre témoigne de la brillante culture aristocratique issue de l’Ere HEIAN (794-1185). Le Japon impérial longtemps sous l’influence de la Chine des Tang a cessé en 894 d’y envoyer des ambassades, il s’est écarté du modèle pour établir une civilisation propre et originale d’un grand raffinement sous l’égide de puissants lettrés. Tout au long de l’Age d’or de HEIAN, l’existence oisive de la noblesse est uniquement tournée vers le divertissement : cérémonies agrémentées de musique et de danse ; jeux de société, concours de poèmes et autres joutes littéraires.

Les dames de la cour trompent leur ennui dans cette vie confinée, en rédigeant des notes journalières : les Nikki, sortes de journaux non datés où la poésie se mêle à la prose. Bien que filles de lettrés, elles ont rarement accès à l’étude du chinois, elles ne notent donc les choses qu’à partir de la sensibilité japonaise.

Les anecdotes autobiographiques rapportées dans les Notes de Chevet s’apparentent à cette tradition du Nikki. Mais toutefois ces passages viennent prolonger comme par associations d’idées, de nombreuses listes de choses hétérogènes et s’accompagnent de remarques critiques exprimant ce qui relève ou non du bon goût, en matière de mode vestimentaire, de comportement ou encore de décoration. L’autrice semble suivre le fil même de sa pensée, sans plan préconçu, en mêlant plusieurs styles d’écriture, ce qui est atypique. Sans le savoir, SEI Shônagon devient la pionnière d’un genre qui s’appellera « Au courant du pinceau » ZUIHITZU. Il exercera une influence déterminante sur la littérature japonaise jusque dans le développement du roman moderne après la restauration de Meiji (1868).

Sons d’une flûte qui s’éloigne, frôlements d’étoffe, cris des corbeaux à l’aube, « les choses vues ou entendues », sont restituées intactes, dans la fraîcheur même de l’instant. Les désirs, les ambitions ou les drames d’hommes et de femmes d’il y a mille ans, évoluant dans un univers dont les codes nous échappent, trouvent pourtant un écho immédiat dans nos cœurs, pour peu qu’en nous aussi le goût pour la beauté et les agréments de ce monde s’allie à la conscience du déclin promis à tout ce qui a existé.

Notes tirées de la préface de Corinne ATLAN.

Sylvie nous convie à méditer sur ces Choses qui nous touchent et plusieurs de nos amis parlent de la Méditation en pleine conscience. Nous en reparlerons peut-être.

Enfin Marcel souhaite nous présenter un livre de Sciences fiction original et érudit : « Signe de vie » de Roger Rodriguez dos Santos. Edité en 2017 et paru en France en 2018.

Babelio nous dit sur ce roman « Les radiotélescopes de l’Institut SETI en Californie, viennent de capter un signal inhabituel venu de l’espace sur la fréquence 1.42GH ; ils enregistrent UN Signe de Vie.  La NASA et la CNSA en Chine, préparent une mission internationale pour découvrir qui émet ce signal. En tant que Cryptanalyste reconnu mondialement Tomas Norhona est recruté pour faire équipe avec les astronautes à bord de la navette Atlantis. Loin de s’imaginer ce qu’ont déjà découvert les scientifiques sur la vie extra-terrestre, il plonge alors au cœur du plus grand mystère de l’univers, le mystère de la vie.

Ce qui a passionné Marcel ce sont les discussions et exposés des spécialistes lors de ce voyage inter-planétaire. Des révélations pour l’honnête homme qu’est notre ami Architecte.

Sommes-nous vraiment seuls dans l’univers ? Comment croire à un créateur tellement complexe et conscient de l’évolution de sa création ?  Marcel nous dit que cela remet en question beaucoup de croyances et de certitudes.

 Roger dos Santos est scientifique et journaliste, reporter de guerre, un des plus grands auteurs de thrillers érudits en Europe et aux Usa. Sa Recherche est la vérité, après le roman précédent nommé « La formule de Dieu ». Marcel est perplexe.

Notre café littéraire est passé d’un monde à un autre et cela nous pose des obligations de recherches, de lectures, pour suivre nos lecteurs passionnés. Merci à vous tous, nous avons besoin du réconfort d’un thé et de douceurs !

Etaient présents, avec mes remerciements : Jacqueline, Marie, Marcel, Sylvie, Isabelle, Annick, Monique, Ida, Nadine, Marie José, Noële, Nicole, Mauricette, Evelyne, Aurore, Michel.

Le prochain Café littéraire aura lieu le 8 Avril à 14 heures à L’Ermitage.