Nous nous retrouvons à l’Ermitage pour une nouvelle réunion du Café littéraire : nos amis absents se sont excusés, Marie, Annick, Marie José, Renée, lda, Isabelle, Marie Françoise, Louis, Nicole C.
Nous sommes heureux de retrouver Jacqueline qui est venue se distraire un moment auprès de nous ; Sylvie, Marcel, Marielle, Jean, Monique, Aurore, Noëlle, Evelyne, Nadine et Nicole : nous disons chacun un petit mot de condoléances à notre amie présente.
C’est Aurore qui nous parle de Robert Badinter, en présentant son livre très personnel : « Idiss », sa Grand-Mère maternelle.
Aurore connaît déjà la vie de cet homme important pour notre culture humaniste. C’est l’occasion aussi de connaître les origines et la vie de cette famille immigrée de Bessarabie, une partie de l’Ukraine alors russe, parce qu’elle est juive. Ils ont vécu dans des ghettos où les réfugiés manquaient de tout, pas d’école, pas de logement protecteur, souvent peu de nourriture. Ils ont fui cette misère autour de 1863 en pour arriver en France, pays où depuis la Révolution, les juifs sont des citoyens à part entière. lI leur est donc possible de faire des études, de devenir fonctionnaire et de faire carrière d’avocat, juge, etc…Mais ce n’est qu’en 1907 que cette famille arrive en France, après un passage à Vienne où des associations, des personnes cultivées comme Stéphane Sweig aident ces voyageurs démunis. Idiss participe à ce voyage et elle est gênée de ne parler qu’un langage Yiddish, mêlé de russe. Né en 1927, Robert se souvient de sa merveilleuse aïeule, une « fontaine d’amour ». Le grand Père devient chiffonnier dans le Marais, autour de lui on colle, on recoud, on restaure et on vend les marchandises, vêtements et objets plus loin, Place de la Bastille. Puis il monte une association de réfugiés de Bessarabie. Les enfants de la famille vont connaître une vie scolaire et une possibilité d’ascension sociale. Puis dans les années 1943, ils sont à Lyon où les SS contrôlent tout, le père ne peut échapper aux traques et il est arrêté. Clauss Barbie dirige la région, on envoie ce riche marchand de fourrures à Sobibor. Les enfants sont partis de leur côté en Savoie. Idiss reste, malade, avec le frère de Robert, conscients des risques, ils ne reviendront pas de Sobibor. En Savoie, il semble que le village ait protégé la famille, comme d’autres « Justes » dans la Loire, par exemple. Le village de 63 habitants n’a jamais rien dit. Plus tard, le maire du village a été remercié par Robert Badinter, alors avocat.
Notre groupe réagit à cet exposé très riche et la question de la pratique juive qui serait peut-être à l’origine des pogroms et des sévices vécus par le monde juif. On peut citer « l’homme de Kiev » qui raconte les difficultés des groupes juifs dans l’Ukraine russe. La Shoah nous interpelle tous, certains ont visité des camps de déportés, ont vu des films particulièrement la liste de Schindler, le Pianiste, le fils de Saul, Shoah de Claude Lanzmann.
Chacun a des souvenirs de ces rencontres qui questionnent. Marielle nous confie qu’elle a renoncé à un mariage dans une famille juive ; Evelyne évoque un beau-frère rigoureux, refusant l’union d’un de ses enfants avec un partenaire non-juif. Mais il y a aussi Delphine Horviller, devenue Rabbin d’une organisation plus libérale ; Jean, je crois, rappelle qu’au début du XXème siècle, la colonie juive de Salonique comptait 180 000 habitants qui ont dû fuir avec la guerre des Balkans et l’arrivée des Allemands. Probablement Robert Badinter devait être plus libéral lui aussi.
L’un d’entre nous cite cette phrase « Les exigences religieuses sont diverses et cela mène la vie des hommes. »
Sylvie nous apporte comme souvent, un moment de calme et de douceur avec un poème ou deux, de la Sénégalaise Naphis Naton Diallo. « Alter ego »et « Masagouno ». C’est la saint- Valentin.
Devant l’importance des débats médiatiques concernant l’I A , je voulais m’informer ; je me demandais si la littérature pouvait être concernée par cette technique nouvelle, à dominante informatique ou numérique. Une conférence de la Source -Médiathèque m’a donné de nombreuses indications, des exemples d’usages publics, que j’ai retrouvés par la suite dans une revue de MICRO pratique : « l’IA fait tout ! ». J’ai beaucoup lu Isaac Asimov né en 1920 en Russie, décédé en1992 aux Usa, où il fut professeur de Chimie à Boston, puis se spécialisa dans l’écriture de romans de fiction. Plusieurs livres furent appréciés des amateurs de sciences fiction, dès 1941 « Quand les ténèbres viendront » ; puis les livres se succédèrent tous les deux ans environ 1950 : « Les robots » ; 1951 « Fondation » ; puis ces deux thèmes principaux se sont étoffés « L’homme bicentenaire 1999 » et un cycle sur les Robots, un autre cycle sur Fondation, et un cycle « de l’Empire ». En fait il a écrit et édité plus 500 livres présentant une vulgarisation scientifique tout à fait prémonitoire. Par exemple, les Trois lois de la robotique » ! Il a anticipé nombre des évolutions technologiques de notre temps.
Le grand cycle romanesque Fondation a remporté en 1966 le grand prix Hugo de la meilleure série de tous les temps. Les héros de ce thème ont déjà conquis les étoiles, ils ont plus de 50 ans d’avance : les communications se feront par visio- conférences, et vous pourrez entendre et voir vos interlocuteurs. Les ordinateurs seront essentiels à l’évolution. Et les gens feront un peu d’opposition, mais il n’y aura pas de combats importants contre cette évolution. Les robots pour Asimov sont indissociables de l’ordinateur, et en fait il est l’inventeur de la robotique.
J’ai particulièrement aimé lire le cycle de Fondation, dont il a été produit un film dans ces deux dernières années. Mais il fait partie des chaînes cryptées.
Vous comprendrez alors que je me sois intéressée à la lecture de « Klara et le Soleil »2022. Klara étant décrite par son créateur comme un modèle exceptionnel AA de la robotique relationnelle.
Le romancier KAZUO ISHIGURO est né en 1954 à Nagasaki, Japon ; il a 69 ans. Prix Nobel de littérature en 2017.Il est écrivain, musicien, scénariste, d’origine japonaise. Il vit en Angleterre depuis sa jeunesse, ses parents quittent rapidement le Japon avant les années 1960. Il fait ses études puis se marie avec Lorna Mac Dougal dont il a une fille. Son épouse meurt en 1986.
Il se fait connaître dès 1982 avec « Une lumière pâle sur la colline », il se consacre à la littérature. En 1986 « Un artiste dans un monde flottant » ; en 1989 « Les vestiges du jour » (devenu un film très apprécié en 1993 avec Anthony Hopkins en majordome.) En 2009 Musique, (Cinq Nocturnes, nouvelles de musique au Crépuscule). 2005 « Never let me go » « Près de moi toujours » devenu un film surprenant en 2010.
Le prix Nobel en 2015 cite : « Il traite des thèmes universels, et revient sur les tragédies du XXème siècle, sur la mémoire et la nécessité de l’amnésie… » particulièrement dans le livre de Klara que vous allez lire passionnément. « Ses romans sont d’une grande force émotionnelle ; Il a révélé les abîmes que dissimule notre conviction illusoire d’être connecté au monde. Maître du non-dit et de la suggestion ; hanté par la mémoire et le temps qui passe. »
Klara est un personnage particulier, une « robote » intelligente AA. Nous lisons son discours intérieur en récit off, et nous apprenons qu’elle absorbe l’information au fur et à mesure qu’elle observe et qu’elle raisonne. Son objectif : devenir une aide pour un enfant ou un adolescent, aide à apprendre, à se socialiser, à vivre une relation amicale, ce que Klara va faire grâce au Soleil et à son énergie.
(Moi qui cherchais un exemple de l’usage de l’IA, j’ai trouvé là un excellent développement.) On lit dans les premières pages qu’elle ne connait pas la vie de famille, elle ne connait pas les amitiés, l’amour, elle ne voit pas le mal, c’est un portrait étrange que nous fait cet écrivain japonais dont la famille a vécu le drame de Nagasaki, dont il porte encore les stigmates. Klara personnage est passionnant, mais il faut la découvrir en lisant un portrait qui s’auto-construit, tout en subtilité, finesse, retrait.
La critique reconnait que le thème récurrent du romancier serait de s’interroger sur le comportement de l’enfant ou de l’adolescent qui doit faire des choix, affronter les situations sans connaître son destin. Il ne se rebelle pas contre une divinité, il est le jouet de forces plus complexes. Les héros de Kazuo Ishiguro ont une grande blessure en eux-mêmes, ils n’en connaissent pas la cause et ne veulent pas en parler. ( Références aux livres évoqués, comme « Auprès de toi toujours », mais aussi « Les vestiges du jour », le majordome ne construit pas son avenir, sa vieillesse, il est au service de …)
Klara est un robot intelligent qui apprend continuellement, évolutive. Elle est centrée sur la relation à l’autre, pour aimer et aider. Elle suit les principes culturels chinois, respect de l’autre, on ne les touche pas. On les embrasse rarement, excepté quand l’autre manifeste une émotion intense. Le critère « ne pas blesser par trop d’émotion ou d’affection » est constamment manifesté par Klara. Elle doit rester à sa place. Le travail bien fait est l’unique satisfaction. Grands moments de silence, d’observation, de solitude qu’elle perçoit comme normaux. Ses besoins vitaux : le soleil, la bienveillance, la positivité pour ceux qu’elle aide.
Pourtant ce qui m’a étonné : son besoin de soleil peut devenir une sorte de culte, ses comportements dans la grange où elle se retire pour méditer, faire le point, demander de l’aide devient une forme de pensée spirituelle, à RHA !!!!
Le dernier chapitre montre sa vacuité du moment mais aussi une forme de stoïcisme, ou de retenue délicate devant l’estime de Gérante. Ses forces s’en vont, la solitude permet la mémoire des choses importantes. La nature et le soleil.
Le groupe a été un peu étonné de la présentation qui me paraissait nécessaire pour saisir les clés du roman et de la pensée de l’écrivain anglo-japonais. Cela ne me paraît pas dévoiler l’intérêt du roman. Il est à lire lentement en comprenant ce qui n’est pas dit, tout aussi important que le dit.
Avant d’en arriver au thé et aux délicieux gâteaux apportés par Aurore, Marielle m’a confié un texte sur l’amour, extrait du blog composé par un curé chargé de l’église du Bouscat il y a quelques années. Nous le lisons avec étonnement et admiration devant l’ouverture de pensée de ce prêtre âgé qui ose dire ses réflexions, ses expériences au contact des divers groupes de personnes qu’il a rencontrés et conseillés. Nous avons transféré le texte sur les adresses e-mail de ceux qui le désiraient.
Je rappelle que nous avons une date de réunion pour le Café littéraire au milieu des vacances du deuxième groupe, le lundi 26 février, chez moi ; ou au cinéma pour celles et ceux qui auraient envie de se retrouver. Le jeudi précédent 22/02/24, je vous enverrai un mail avec une proposition de sortie.
Puis, le 11 mars, à l’Ermitage, comme nous le faisons d’habitude.
Bonnes vacances. Nicole.