Café littéraire du 11/12/2023 📜📚

Malgré la pluie, le Covid à l’affût, la grippe très présente, nous nous réunissons vers 14h.

Nous recevons, grâce à Evelyne, le Poète, écrivain, Joël Mansa qui avait déjà eu la gentillesse de venir jusqu’à l’Ermitage pour nous parler de ses poèmes. Aujourd’hui, il a de nouvelles œuvres à nous présenter. Il arrive dans notre salle de l’Ermitage, habitué déjà aux lieux où il est le bienvenu.

Notre groupe n’est pas complet encore, Marcel, Annick et Marie nous ont prévenus de leur absence. Nous arrivons : Sylvie, Louis, Nicole, Marielle, Marie-josé, Jean, Isabelle, Monique, Aurore, Noëlle, Evelyne, Jacqueline, Ida. Nous entourons Joël, pour l’assurer de notre cordial accueil.

Quelques informations pour nos lecteurs et lectrices : Jean-jacques fait un travail de diffusion de la « Fresque du Climat », si vous souhaitez participer, Michèle vous orientera, selon les dates et les places (« michele.dordet@gmail.com »).

Grâce à Françoise Bertrand, un de ses amis serait heureux de partager ses savoirs et en particulier ses travaux de « toponymie », noms de famille et de lieux, histoire, origines, localisations. Jean Rigouste, histoire médiévale, langues occitanes, agrégé de lettres. Nous serons heureux de l’accueillir.

A Paris, Place Saint-Sulpice, les 7,8,9 juin, le marché de la Poésie aura lieu, comme tous les ans, Joël Mansa y présentera ses ouvrages. Si la « journée de Talents de Passerelles » a lieu à une autre date, Joël sera heureux d’y participer.

 Joël nous parle de ses projets et particulièrement du prochain livre qu’il prépare sur le thème du « Murmure», ce mot français si étonnant possède 14 significations (entrées) dans le dictionnaire  auquel il souhaiterait en ajouter deux nouvelles pour faire œuvre d’enrichissement. Notre groupe est passionné.

Sur la table où il a dressé ses recueils, il présente un volume de son Molière à propos de « L’Ecole des Femmes 1662», « cette œuvre si particulière sur les mœurs de 17ème siècle  dit-il. A l’époque, la gent masculine peut épouser une jeune fille de 13 ans et devenir son tuteur, bien sûr ! Agnès à peine plus âgée est une jeune mineure fine et audacieuse. La pièce a un tel retentissement que Molière doit écrire une seconde pièce, « La critique de L’Ecole des femmes ». Puis il s’expliquera avec « L’impromptu de Versailles ». Cet ensemble m’a conduit à écrire une pièce pour des élèves qu’un professeur, comme Samuel Paty, veut initier au théâtre, en classe. Lecture, organisation des lieux, du temps, personnages à conduire pour être fidèle au message de l’écrivain. Tout cela donne vie à un ensemble de réflexions et de jeux de scènes. (Quelqu’un suggère : « comme la journée de la Jupe, » film de J.P. Lilienfeld, 2009, avec Isabelle Adjani). De même Joël a prévu de faire une lecture ou des adaptations d’une scène du « Manteau d’Elisée ». Il prévoit de donner un spectacle « seul en scène » en 2024, à Cambes 47, Théâtre du Jonchet. Cette solution est peu onéreuse et permet de faire vivre les théâtres et les auteurs.

Il présente, maintenant, « La terrasse des égarés », une image de solitude, une habitation de pierre isolée dans un espace de sable ocre, est en première page. C’est là que vit son héroïne, notre amie Evelyne la connaît déjà, à la suite d’une soirée de gala au Château Duplessis. Joël pense que son livre anticipe des événements avec des thématiques lourdes, dictature, manipulations, et pour le bonheur, quelques poèmes attribués au personnage maternel. L’ensemble se situe en 2050, mais peut-être vivons-nous ces troubles dès aujourd’hui. Pour donner une épaisseur à ces temps futurs, il reprend des souvenirs d’une enfance douloureuse en pays éthiopien, misère, disette, mais fraternité, entr’aide et beauté étonnante de l’environnement naturel. Il rappelle le roman de Victor Hugo, « L’homme qui rit », ce malheureux enfant qui est sauvagement blessé pour attirer la pitié du public de la foire, il a un sourire extrême. Il repense à Khartoum avec ses petits villages situés sur les terrasses des immeubles ou dans les sous-sols, comprenant quelques familles d’employés, de service, mais parfois organisés avec un chef de village. Joël repense à une sourate dans laquelle Moïse dit : « j’étais du nombre des égarés ». Ses personnages lui ressemblent, exilés sans le vouloir.

Mêlant la politique à la vie sociale, l’écrivain explique qu’un barrage sur le Nil édifié par les Ethiopiens va priver d’eau les espaces de vie du Soudan. C’est la mort des soudanais et de ces camps d’exilés qui sont nombreux dans ce Pays délaissé aux factions militaro-religieuse qui se battent entre elles.

Que peut-on faire ? Et le poète philosophe laisse au groupe un grand moment d’échanges sur les dangers actuels, les difficultés de former des jeunes qui sont un peu en déshérence, qui se sentent différents, ne partagent pas les valeurs du groupe dominant, qui refusent l’héritage :(Bourdieu et Passeron « Les héritiers 1964 », « la reproduction « 1970, « la domination masculine 1998 »). Les divisions sociales s’accentuent depuis 50 ans. Toutefois certaines prises de conscience se manifestent au milieu des affrontements au Moyen Orient, ou entre les dictatures et les démocraties.

Et Joël reprend le personnage du dictateur dans ce pays des « Egarés » : Al Mokhtar, beau, élu, destructeur des valeurs et des environnements. La petite fille Izraéla, vient des Hauts Plateaux où l’on peut respirer, où les cultures permettent de vivre, d’élever des familles même pauvres, proches de l’Erythrée. Cela rappelle la Reine de Sabah, Salomon et les juifs, époque où toutes les religions n’en faisaient qu’une, où les humains s’unissaient pour survivre.  Mais les autres dictateurs élus ont brisé tout cela, en obligeant les diverses croyances à se séparer. Dès lors les Juifs et les Arabes s’opposent, ne se comprennent plus, favorisant ainsi les exigences de la dictature. C’est bien un des messages que souhaite délivrer le poète écrivain. Il est là pour témoigner.

Il rappelle que les Afars et les Issas, deux populations d’Erythrée-Ethiopie, sont en conflit grave et pourtant les relations avec les Afars dont il se souvient sont agréables et généreuses. Actuellement le territoire de Djibouti où ils vivent, devient indépendant. Joël se souvient d’une enfance où il était battu, les livres étaient son refuge, grâce à eux il a reconstruit sa vie et son projet de vie.  Il évoque un peu sa vie d’écrivain, ses horaires, sa disponibilité aux autres. Il évoque les conséquences de la sédentarisation qui peut restreindre les façons de penser et de se situer dans le monde. Le nomadisme est perçu, vécu comme la liberté.

Il cite Fernando Pesoa, le poète voyageur qui devient connecté à tous les êtres, les autres : « Je porte en moi tous les rêves du monde, » en pensant plutôt que les rêves de tous les êtres sont dans le cœur du poéte. F.Pesoa, encore, inaugure « une recherche intérieure » une longue marche vers soi, vers la connaissance d’un soi qui se révèle multiple. Ce qui devient un journal intime puis un drame « Tragédie subjective » avec le personnage de Faust.  Mais Nicole ne peut s’empêcher de dire, « l’égotisme n’est pas une voie d’évolution ! » Isabelle évoque Edvard Munch : « Je peins pour comprendre mon rapport à la vie. » Joël reprend et exprime le sentiment qu’il peut incarner le rôle d’une femme comme celui d’un homme, il devient l’universel. En écrivant son livre, il était pénétré de la condition de la femme en Afrique et ailleurs, qui est une victime de la société menée par des dictateurs ou des pouvoirs masculins. Une voix s’élève pour dire que dans certains états américains, aujourd’hui encore un homme peut épouser une fille nubile, (environ treize ans).

Pour clore ce grand moment, Joël nous lit un des poèmes que son héroïne a composé, magnifique, profond et courageux. Plusieurs questions lui sont posées sur sa façon d’écrire, de lire, de créer des audiolivres.

En réponse à cette longue présentation, Sylvie avait prévu de nous lire un conte de sa composition, c’est un cadeau pour remercier Joël, il est magnifique. Pourrons-nous un jour le trouver dans nos lignes ? voir en page suivante.

Un thé permet de bavarder en petits groupes, de trouver des échanges, de découvrir des points de rencontres, de faire « groupe ». De délicieux petits gâteaux sont fabriqués par nos lectrices.

Puis nous nous souhaitons de vivre des fêtes de fin d’Année heureuses et familiales et nous nous retrouverons en Janvier 2024 : le 8 janvier pour l’atelier d’écriture, le 15 janvier pour le Café littéraire et le 22 janvier pour l’atelier scientifique, toujours à L’Ermitage de 14 heures à 17 heures.

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« En attendant Kiona » , composé et lu par Sylvie

À quoi ça sert « ça » dit le petit garçon en posant son doigt sur le nombril de sa maman.

« Ça » trône au beau milieu de son ventre rebondi d’une grossesse très avancée.

C’est une petite ouverture dit-elle où on a placé un bouton. Les bébés poussent dans le ventre à l’abri de tout. Tu as été dans cette cachette et tout ce que je buvais et mangeais était pour toi. Nous étions reliés par un cordon magique et nous ne faisions plus qu’un. Quand tu es sorti on a coupé le fil pour que tu apprennes à te débrouiller tout seul.

C’est vrai que je sais sauter au-dessus de la pierre ronde maintenant dit le petit garçon fièrement. Et mon bouton à moi maman, il ne peut plus s’ouvrir ?

Non mon petit, c’est ce qui nous reste du cordon magique, chacun a le sien, comme un talisman que l’on garde sur soi.

Satisfait le petit garçon s’élance vers la rivière en bas du campement. Il va rejoindre les hommes occupés à la pêche. Leurs chants s’élèvent en chœur pour louer les esprits de l’eau. Leurs grands harpons scintillent et volent vers les poissons qui tentent la remontée de la cascade. A chaque prise ils implorent leur pardon et les remercient.

O’FAHA les observe de loin un long moment en caressant doucement son ventre. Elle sait à présent que le repas du soir sera joyeux et abondant. Il est temps de préparer le feu. Les autres femmes ont déjà commencé à rassembler le bois.

La nuit s’annonce au-dessus de l’horizon effiloché de rose. C’est la pleine lune. La Grande ourse ne brille qu’en demi-course cachée par un nuage en forme de montagne. C’est un bon présage.

La vieille mère qui a enfanté le grand sorcier dit que ce sera une fille.

Parce que ton ventre est rond comme une ceinture d’eau précieuse a-t-elle dit.

Tu sais que ton nom O’FAMA signifie la force du jour qui se lève avec le soleil. Ton enfant prendra tout cela de toi et éclairera de joie nos vies.

Le bébé pèse plus bas que d’habitude. O’FAHA sent ses hanches s’écarter imperceptiblement dans sa marche mesurée et précautionneuse. Le moment est venu.

Elle se dirige vers sa hutte et place la grosse pierre ronde devant l’entrée. Puis elle referme derrière elle la lourde peau d’antilope. Dans la pénombre, elle allume au fond d’une coupe une mèche baignée de graisse brune. Puis elle pare son cou d’un collier de cories, les coquillages porte-chance offerts par la mer. Elle enfile trois bracelets aux poignets. L’un en or pour la joie, l’autre en bronze pour le courage, le dernier en fer pour l’endurance.

Puis elle s’empare du plus précieux, celui que l’on se transmet de femmes en femmes pour ce moment précis. Un minuscule flacon cachant un parfum venu d’ailleurs, là où dans la forêt pousse vers le ciel le grand arbre sacré. Elle verse dans le creux de sa paume une goutte de l’essence d’Ylang Ylang. Les yeux fermés elle se met en prière et se propose en offrande au grand esprit de la fleur royale, fleur des fleurs. Le parfum puissant et sucré aux accents de fruits et de camphre l’inonde en un instant. Elle caresse chacun de ses seins et demande l’abondance. Forme un signe en étoile sur son front pour la clairvoyance, et enfin pose la main sur son cœur.

Là se construit notre amour, murmure t’elle, NATANE ma fille, AMA mon eau précieuse.  Je te donne ton nom à l’accueil de ta vie, toi KIONA  « colline dorée »  puisses-tu avoir la force de ce nouveau jour qui se lève au soleil.

Puis elle s’accroupit. Elle apaise sa respiration lente et profonde au creux de son ventre et laisse venir les vagues à l’assaut du passage.

Dehors les braises du feu crépitent et enflamment de leurs reflets dansants la peau brunie des hommes prostrés et silencieux.

Le petit garçon s’est endormi dans les jambes de son père.

Seule la vieille mère psalmodie des incantations en égrenant des cailloux ronds et blonds de la rivière.

Les femmes sont absentes.

Chacun observe la nuit qui se déchire, la lune est encore là et déjà l’aube pointe préparant la venue de l’astre tout puissant. Les nuages se regroupent en une immense montagne aux versants colorés. Une colline aux eaux ruisselantes d’étoiles auréole la tente à la pierre ronde.

 Un cri accueille ce nouveau jour qui se lève.