Café littéraire du 24/04/2023 📜📚

 Nous retrouvons notre café littéraire, après des fêtes de famille et les voyages de printemps.

Plusieurs de nos lecteurs (trices) sont absents, des visages nouveaux… Nous sommes onze lecteurs et lectrices : Marie, Marcel, Isabelle, Marielle, Jean, Nadine, Marie José, Noëlle, Evelyne, Nicole et Louis.

Plusieurs de nos amis ont prévenu de leur absence : Renée, Annick, Sylvie, Michel, Jeannine, Christine, Marie-Noëlle, Nicole C, Nicole D et Arlette. Nous les en remercions.

 Louis souhaitait nous parler de Jean-François Mateï, et Marie- José nous avait promis de replacer les principes Freudiens de L’Inconscient, et une extension vers « La nouvelle économie psychique. »

 Marie- José a suivi des cursus de Psychologie et elle est intéressée par les évolutions actuelles de la Psychanalyse et des métiers de ce secteur. « La nouvelle économie psychique » s’occupe donc des formations proposées en Universités et en Sciences Sociales.

Elle nous parle avec une grande clarté de la source : la pensée Freudienne. (Je reprends en partie ses notes aimablement prêtées.)

L’inconscient : « il est inconscient ! » C’est celui qui ne sait pas ce qu’il dit ou ce qu’il fait. C’est Freud (1856-1939) qui nomme ainsi la part de notre personnalité qui nous est peu connue, notre part d’inconnu, d’insu, notre part d’ombre, par le substantif. En son temps, Freud fait scandale ; on ne peut admettre que l’on ne sache pas pourquoi on choisit telle solution, tel objectif, ou telle façon de vivre…Qui influence ? Qui se permet ? Qui prend la parole à notre place ? Une partie de nous-même s’impose, d’où vient-elle ? C’est difficile d’admettre qu’une partie de nous-même intervienne à notre place : « C’est plus fort que moi ! »

Où est la Raison magnifiée par Descartes et d’autres rationalistes des 17 et 18ème siècles.

Le « Moi n’est pas maître dans sa propre maison, dit Freud ». Cela remettrait en question la liberté de l’homme et sa maîtrise de lui-même. De plus, cette hypothèse de l’inconscient fait une large part à la sexualité, tabou social difficile à surmonter dans la Vienne autrichienne du début du XXème siècle.

Certes des prédécesseurs de Freud ont pressenti cette notion mais sans la nommer « inconscient » : Platon avec les Réminiscences, Leibnitz 1640-1716 avec ses « petites perceptions inconscientes dans « Essai sur l’entendement humain » ; et d’autres encore surtout en Allemagne, Bergson , en France, parle de la « Psychologie des profondeurs »… Mais c’est Freud qui conceptualise et définit cette notion dans « Leçons d’introduction à la Psychanalyse »1915.

Selon Freud, le psychisme comporte 3 instances :

  • le ÇA qui englobe l’ensemble des pulsions.
  • Le MOI qui essaie de réguler et de contrôler toutes les forces pulsionnelles présentes dans le ça.
  • Le SURMOI qui représente toutes les lois morales qui organisent notre vie sociale.

On objecte à cette théorie que rien n’est observable, mesurable, que ce n’est pas de la science.
Freud rétorquerait que l’inconscient est une réalité psychique, une dimension de l’esprit humain. Cette réalité psychique exclut la conscience et même lui résiste. Les éléments inconscients ne peuvent devenir complètement conscients, car il y a processus tels que le refoulement et la résistance qui s’y opposent.

Pourquoi notre inconscient reste-t-il obscur ? Pourquoi des forces en nous l’empêchent d’accéder à la conscience ? Pour répondre à ces questions, je reprends ces trois instances à l’œuvre dans notre vie psychique :
1 Le ÇA est le réservoir des pulsions refoulées, pulsions de nature sexuelle, ou ce qui est excessif, ou ce que la morale réprouve. C’est dans cette arène que s’affrontent pulsions de Vie et pulsions de Mort, toutes inconscientes, toutes héréditaires, innées, ou acquises et tout ce qui vient du refoulement. C’est dans cet espace psychique que réside une part de notre vérité, celle dont nous pouvons avoir honte, celle qui nous fait peur… C’est pour cela que des forces en nous la  maintiennent bien cachée, refoulée. Mais elle fait des excursions dans la réalité consciente par les rêves, les oublis, les erreurs, les lapsus, les fautes…
2 Le Moi, deuxième instance de l’appareil psychique peut noter ces remontées du ça : on raconte ses rêves, on rit d’un lapsus… Le moi est la partie de la personnalité la plus consciente, elle est en contact avec la réalité extérieure, la société. Vous avez souvent entendu : « CA a été plus fort que moi ! » phrase intéressante qui renseigne sur la force de la pulsion contenue dans le ça et sur la nature du MOI qui veille pour ne rien laisser filtrer, ne rien laisser passer.
3 La troisième instance, c’est le Surmoi, c’est le juge, le censeur, il opère sur le Moi et bien sûr, sur le CA ; il est le support de tous les interdits, les contraintes sociales, culturelles, il est féroce, intransigeant. Il dit la loi, celle de l’interdit, de l’inceste, du complexe d’Œdipe. Les dix commandements de Moïse qui organisent toute notre vie en société. C’est le lieu du Père, le garant de l’autorité, celui qui met un frein à la jouissance. Le SURMOI permet l’entrée dans la culture et nous sort du Naturel.

La recherche d’un équilibre est nécessaire, comme le décrit le couple Yin et Yang du Taoïsme, en Chine, les principes masculin et féminin. Dans notre réalité, l’image du père a changé beaucoup, la loi est moins suivie, le CA n’est plus tenu fermement ; la loi symbolique n’est plus suffisante. Marie-José pense qu’il faut restaurer l’image du Père, les chansons des jeunes s’interrogent : « Papa où t’es ? (papaoutai)», traditionnellement c’est le Père qui transmet, s’il n’est pas là la chaîne s’interrompt. Les femmes n’ont pas le même rôle et pourtant elles essaient de remplacer, mais leur rôle est mal reconnu.

C’est le dynamisme de l’Homme(l’humain) qui fait l’évolution et qui oblige à revoir les principes de la Psychanalyse. Marie-José insiste sur la notion d’effort pour accompagner les dons créatifs, en Art particulièrement.

Marie-José est applaudie pour cet exposé très clair et les échanges se produisent :

  • Rimbaud à 18 ans, est déjà un poète accompliApparemment sa famille ne l’a pas accompagné. Peut-être son modèle de Verlaine… Et Verlaine, lui est en complète opposition à son Beau-Père le Général !!!  Le peintre J.M.Basquiat(1960-1988) peu compris par le public est adulé par le peintre Andi Warhol. L’Art Brut est-il le jaillissement de l’inconscient de ses créateurs ? (on sait que s’y expriment des Handicapés, des Autistes, sans formation des techniques picturales).
  • Le rôle de l’autorité est battu en brèche : Moïse revenu du Mont Nébo est contesté par son peuple et il est pourtant perçu comme l’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Dans le livre sur « Moïse et le Monothéisme » Freud parle de « Tuer le père » et les hommes deviennent Frères… Est-ce vrai de nos jours ?
  • La femme est impure, elle existe à peine : voir le rôle du sang qui rend impur dans le Deutéronome et les livres de la religion juive.
  • Et pourtant elle est créative, humaine par ses émotions. Les artistes femmes souvent étonnantes sont restées peu connues. Lucile Chateaubriand, Suzanne Valadon, Camille Claudel…
  • Voir une bibliographie : E. Badinter « X et Y » ; « Malaise dans la Culture » Freud. « Le deuxième sexe. 1949 » Simone de Beauvoir.

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Louis est bienvenu avec la « déconstruction », thème prégnant aujourd’hui qui inquiète sur beaucoup de plans.

Je propose quelques réflexions sur « la déconstruction en littérature et philosophie », à partir essentiellement du livre de J.F MATTEI  « L’homme dévasté » paru en 2015 (chez Grasset),  du Podcast France Culture du 27 janvier 2023 « Mais qu’est-ce que la déconstruction ? » et de mes lectures anciennes de certains ouvrages de Deleuze et Derrida (dont j’ai eu du mal à me remettre).

Qui est Jean-François MATTEI ? Il est né en 1941 en Algérie, à Oran, et décède en 2014 à Paris. Il est issu d’une famille française d’Algérie, qui devra la quitter au moment de l’indépendance en 1962. Formation Sciences Po, puis agrégation de philosophie. C’est un spécialiste de Platon et de la philosophie antique. Il porte un diagnostic sévère, mais à mon avis lucide, sur notre monde contemporain, en particulier dans « L’homme dévasté » dont nous allons parler. Il est regrettable  qu’il soit peu connu du grand public car c’est un humaniste, disciple de Camus et de Platon bien sûr, qui prend ses distances par rapport à l’antihumanisme contemporain. L’Homme dévasté : C’est un livre testament philosophique, bien écrit, qui me semble à la portée du grand public, même si on peut être dérouté à certains moments (introduction et chapitre I sur la construction de l’homme) par des exposés peu accessibles aux gens non formés à la discipline philosophique. L’exposé des idées dans les chapitres suivants portant sur la déconstruction reste d’une grande clarté dans un style agréable.  Ces chapitres sont relatifs à

 1) La déconstruction du langage,
2) la déconstruction du monde,
3) la déconstruction de l’art et
4) la déconstruction du corps.

 L’ensemble de ces sujets est passionnant et, en particulier, le thème 3 sur l’art me semblerait pouvoir être l’objet d’un débat d’un prochain Café Littéraire, mais limitons-nous ici à la seule question du langage (qui conditionne d’ailleurs en grande partie les autres). 

La déconstruction : elle est apparue dans les milieux universitaires français dans les années 1960. Le terme a d’abord été utilisé par le philosophe allemand Heidegger, mais J.F.Mattéi considère que ses artisans principaux ont été Maurice Blanchot, Gilles Deleuze et Jacques Derrida, tous les trois philosophes français.

C’est une question complexe difficile à vulgariser. Mais il faut l’aborder car, sans que l’on s’en rende compte, elle a eu – et continue d’avoir – des effets considérables dans le monde occidental (Europe et Etats-Unis en premier lieu) : d’abord au plan culturel (enseignement dans les universités, littérature, philosophie, arts etc…), ensuite au plan sociétal et politique.  Elle occupe en permanence un espace médiatique considérable car, pour les philosophes du podcast de France Culture et d’autres philosophes, elle semble à l’origine du « wokisme ». (terme défini plus loin).

Mais qu’est-ce que la déconstruction ?

Le Larousse nous dit : en philosophie, c’est une opération critique consistant à montrer que les discours signifient autre chose que ce qu’ils énoncent. (Notion-clé chez J. Derrida). En fait ce point de vue est très insuffisant car il semble indiquer qu’il s’agit d’une analyse critique classique. Pour bien comprendre ce dont il s’agit, Mattéi nous rappelle que la culture européenne a promu, depuis l’antiquité grecque, un double modèle pour l’homme : il a été identifié comme être rationnel (logos) et comme être politique (polis). Cette culture a permis l’édification du monde : modèle scientifique, modèle éthique, modèle juridique etc… qui vise à élever l’homme à la hauteur de l’idée, de la vérité, de la justice, du bien et du beau. Selon son analyse, la déconstruction « vise à abattre la forme de construction intellectuelle qui a porté le concept d’humanité à partir de l’Europe » (à savoir logocentrisme et européocentrisme comme l’indique Derrida lui-même). L’objectif de Blanchot, Deleuze et Derrida est d’en finir avec les récits fondateurs en philosophie, en littérature et en religion, qui imposaient la primauté d’un sens.

Mattéi voit plusieurs étapes dans cette destruction du langage :

  1. Disparition du sujet avec Blanchot (philosophe, romancier et critique littéraire, 1907-2003) qui avance l’idée de neutralisation de l’écriture. Il n’y a pas de sens à rechercher, « concept de l’absence » : l’auteur n’est plus lui-même et le lecteur devra le suivre sur cette voie impersonnelle
    (Lecture extrait sur Blanchot p. 94 de l’homme dévasté)
  2. Abolition de l’univers de la représentation avec Deleuze (philosophe français, né en 1925, décédé en 1995) : c’est un anti-platonicien. Pour Platon, ce qui est important est le vrai ; il met à l’épreuve les 3 personnages : le philosophe, le politique et le sophiste. Deleuze est à l’opposé. Son centre est le faux : le modèle, la copie, et le simulacre. Pour Mattéi, ce renversement du platonisme signifie l’abandon de toute hiérarchie du sens, l’abandon d’un principe initial qui est l’idée.
    (Lecture extrait p. 105)
  3. Plus radical encore avec Derrida (philosophe français) : Jacques Derrida est né en 1930 en Algérie, il décède en 2004 en France. Il est le 3ème enfant d’une famille juive algérienne, de nationalité française. Sous Vichy, sa famille est déchue de la nationalité française pendant 2 ans. Il voit les métropolitains comme oppresseurs et normatifs. Il dénonce la primauté traditionnelle de la parole sur l’écriture, sous sa triple forme, logocentrique, européocentrique et phallocentrique. C’est le maitre de la déstructuration dont les thèses ont marqué les spéculations universitaires, littéraires et philosophiques dans les domaines de la sémiotique (recherche du sens), de la sexualité, du féminisme, des ‘gender studies’, et des ‘cultural studies’, donc tout ce qui alimente aujourd’hui plus ou moins le wokisme. Son maitre mot est « dissémination » en tant que processus de destruction du discours.

      Pour Mattéi, la déconstruction cherche à ébranler l’édifice rationnel de la pensée. Il observe que P.  Valery annonçait déjà en 1939 le séisme à venir sur le capital de notre culture, en péril selon lui. Et la suppression du cap (tête : décapitation) est une constante de la pensée déconstructrice : étrange fascination pour la mort.   Derrida dit qu’il faut décapiter tout ce qui tient au cap : le capitaine, le chef, qu’il soit père, roi, principe, soleil, fondement, idée, origine etc… !

      Dans « Lettre à un ami japonais » en 1962 : il écrit : « Ce que la déconstruction n’est pas, mais tout. Ce qu’est la déconstruction ?  mais rien).

      Mattéi demeure un éternel optimiste malgré tout, songeant que « si le soleil est à l’origine de l’ombre, alors, cette dernière témoigne, envers et contre elle-même, de la présence de l’astre »

      Quittons Mattéi pour l’émission de France Culture qui traite de ce même thème de la déconstruction. Ses intervenants (Anne-Emmanuelle BERGER, Professeur de littérature et d’études de Genre et Denis KAMBOUCHNER, Professeur à Paris-1 Panthéon-Sorbonne, estiment qu’elle a eu une influence sur l’après mai 68, et sur le mouvement Woke et son actualité.  

      Conséquences sur mai 68 :

      Les théories déconstructivistesn’ont pas été à l’origine de mai 68, provoqué plutôt par une mise en cause des structures d’autorité. De sorte que mai 68 a provoqué une libération des enseignements ‘institutionnels’ universitaires sous leur influence, comme le souligne Michel Foucault (autre philosophe français plus ou moins associé à la déconstruction) et de nombreux thèmes nouveaux ont été abordés. « Il est interdit d’interdire… »

      Conséquence sur le mouvement WOKE :

      Woke (éveillé) désigne le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale. Ce terme était utilisé en 1960 dans le monde afro-américain. Il a refait brutalement surface au moment de la naissance du mouvement Black Lives Matter (mort de George Floyd) en 2014. Le wokisme prend alors sa forme actuelle en s’étendant à d’autres inégalités sociales telles que les discriminations par rapport aux LGBT, aux femmes, aux immigrés et autres populations marginalisées, et il a même inclu des mobilisations pour le climat. Il s’attaque particulièrement aux stéréotypes (genre, race etc…). Berger comme Kambouchner estiment toutefois que la déconstruction a été aux origines du wokisme. Un article du journal Le Monde daté du 26.02.2022, dont le titre était « Aux origines françaises du wokisme », va dans le même sens. Il évoque une conférence de Foucault, Deleuze et Guattari (disciple de Derrida) à un colloque en Californie en 1975.  Mais ce point peut être discuté car l’Europe hérite invariablement, tôt ou tard, de ce qui arrive aux Etats-Unis.

      Ce mouvement woke se caractérise par son caractère dogmatique, très autoritaire et n’acceptant pas le débat : mise à l’écart de ceux qui sont en dehors du mouvement (cancel culture). La liberté d’expression en est la première victime. Les opposés à ce mouvement critiquent l’antagonisme provoqué : homos contre les hétéros, femmes contre les hommes, races instrumentalisées les unes contre les autres etc… Certes beaucoup de choses restent à faire contre les discriminations mais il ne faut pas fragmenter les sociétés et il faut au contraire privilégier le vivre ensemble. J’ai noté que Frédéric BEIGBEDER était ces jours-ci le nouvel homme à abattre du féminisme français (mâle, blanc, hétéro, ça fait en effet beaucoup…) et la librairie Mollat de Bordeaux qui devait l’accueillir a été recouverte de tags dans la nuit du 20 au 21 avril 2023. Cela laisse perplexe ! Au Québec en 2017, ont été brulés, suite à une action Woke, 5000 BD (Tintin, Lucky Luke etc…). C’est très inquiétant et fait penser à « Fahrenheit 451 » : roman dans lequel les livres sont interdits par un régime totalitaire…

       Je laisse volontiers la conclusion au président OBAMA pour qui « la course à la pureté idéologique définie comme « woke » est contre-productive » et « il ne suffit pas de juger et critiquer pour faire avancer les choses »

      Enfin, il me semble aussi important de savoir garder l’humour et l’ironie d’un Voltaire, très malmené actuellement.

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      Merci à Louis de lire des livres difficiles et de nous les rendre accessibles par un effort de synthèse important.

      Nos deux intervenants ayant apporté tant de savoirs, un réconfort est nécessaire pour nos participants. Thé et café, cakes aux fruits permettent de retrouver la richesse des interventions dans des échanges plus individualisés.

      Nous avons promis à Nadine et aux lectrices plus attirées par les romans que le 9 mai, un mardi, à 14h30, nous serons chez Nicole pour parler, avec Sylvie et tous ceux qui interviendront, d’un livre aimé, ou d’un poème d’amour, symbole des émotions amoureuses que notre Inconscient nous permet de vivre, en cachette du Surmoi bien sûr, pour la plus grande satisfaction du MOI….

      Merci à vous tous qui faites vivre notre café littéraire, pour notre grand plaisir et notre enrichissement.

      Amitiés, Nicole.