Café littéraire du 24/01/2022 📜📚

Chez Nicole, ce lundi, beaucoup d’absents pour cause de santé ou d’affaires urgentes, nous pensons à nos amis et leur souhaitons une meilleure santé. Merci à tous ceux qui nous ont prévenus, Louis, Mauricette, Marie, Marcel, Suzel, Marie Françoise, Robert, Jean- Jacques...Cela nous conduit à changer un peu notre organisation, Jean, Nadine, Evelyne, et moi nous regroupons autour du Café et des Nonnettes…Nous évoquons les nouvelles, nos dernières réunions ; la visite de l’Arboretum qui a plu beaucoup à Jean ; Nadine a retrouvé un article de Sud-Ouest sur ce sujet ;…Mauricette nous a conseillé de voir un film sur les « Noirs en France » sur la chaîne 2 , replay « France-TV » qui est un recueil des bonnes émissions…Nous pensons à Marie José et nous regrettons son absence.

Les livres présentés aujourd’hui sont centrés sur l’immigration ou les coutumes africaines. Nous parlerons de Mohamed Mbougar Sarr et le prix Goncourt dans une prochaine réunion.

Aujourd’hui, Evelyne nous parle des « Impatientes », récit de 3 vies féminines, au Cameroun écrit en 2020 par Djaïli Amadou Amal, prix Goncourt des Lycéens 2020, de l’Orient, et de la Pologne…. Le récit se passe au Sahel, dans l’ethnie Peulh et musulmane, située au nord du Cameroun.

C’est l’histoire de 3 femmes qui sont liées au même homme ou à la même famille. La jeune Ramla est contrainte par son père d’épouser un homme âgé, déjà marié à une femme depuis 20 ans Safira, pourtant Ramla s’était promise à un homme plus jeune. Sa sœur Hindou est contrainte d’épouser un cousin débile mental. Ce livre est le premier à aborder ce thème des violences faites aux femmes : l’une devient la femme à tout faire d’une épouse âgée de 35 ans, maîtresse des lieux depuis 20 ans ; l’autre est victime de sévices, viols quotidiens, coups, jusqu’à l’infame. L’écrivaine a peut-être vécu ces sévices, elle les aborde avec sa révolte et sans pudeur. Si elles sont battues, elles doivent se taire, ne pas le faire savoir aux proches. Cela entraîne une sourde violence dans ce milieu familial où la fatalité musulmane est reine. Elles attendent, mais sont impatientes physiquement et moralement. Le seul petit espoir viendrait de l’éducation, de sortir grâce à la voiture, mais en apprenant à conduire. Ces femmes qui vivent dans la même maison, ne se soutiennent pas vraiment, elles prêchent la patience, chacune ayant souffert des mêmes contraintes. Cette organisation masculine est mise en place depuis des siècles, elle prévaut dans le monde des hommes de cette ethnie. (Voir l’origine du peuple Peul(h) en Egypte, Ethiopie).

Djaïli Amadou Amal est peulh elle-même d’une famille aristocratique, mariée à 17 ans à un cinquantenaire polygame qui l’a répudiée plus tard, elle a été remariée et a fini par fuir à la suite de violences sur ses enfants et elle-même.

En 2012 elle a fondé une association Femmes du Sahel qui aide les jeunes femmes à obtenir leur indépendance pour suivre des études. Son livre décrit une réalité qui donne envie de crier. Elle parvient à décrire le processus complexe du mariage traditionnel peulh qui répond à des principes ancestraux : dans le nord Cameroun, un enfant appartient à toute la famille (de même dans les peuples des îles Pacifiques et d’Amazonie), et notamment les oncles peuvent décider de donner leurs nièces en mariage pour satisfaire des intérêts personnels plus que familiaux. A la suite d’un chantage affectif intense, les jeunes filles sont amenées à donner leur accord. Depuis leur plus jeune âge, on leur inculque des règles à suivre pour rester en accord avec la communauté, sens de la dignité, la honte d’avoir honte, la patience. Ce qu’elles acceptent bien sûr…, la surveillance féminine se fait sournoisement pour que les rites se poursuivent.  (voir l’excision)( voir l’avinculat, rôle des oncles dans la famille, Levy Strauss, « Structures élémentaires de la parenté » « Tristes Tropiques »). Voir sur Henri Lhote, révélateur des fresques pariétales du Tassili, région rocheuse noyée dans les sables ; ses recherches nous informent sur des peuples néolithiques, les Touaregs du Hoggar, les Peul(h),(Peules, Foulani…)au Mali, Ethiopie, à partir des dessins vieux de 2000 ou 3000 ans conservés sur des blocs de grès.

 L’écriture de ce livre est simple, sobre, c’est un témoignage, mais aussi une œuvre littéraire ; la dénonciation est rigoureuse sans passer par le mélodrame. Pourtant chaque portrait de femme décrit les souffrances physiques et morales de la femme selon ses âges. La polygamie crée des rivalités impitoyables entre les femmes, les enchaînant par des liens qui résistent aux années et aux générations. C’est un roman terrible et cela se continue actuellement. (Convention d’Istanbul sur l’excision. Décembre 2014)

Merci à Evelyne de nous ouvrir sur ces documents souvent peu connus, qui se rattachent à des rites sociaux anciens.

Une image totalement différente nous est donnée en lisant le livre de Imbolo Mbue : « Voici venir les rêveurs !» paru en 2014.

 C’est un roman américain, édité chez Belfond, (Robert Lafond), centré sur les conséquences sociales de la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, composé peu après par une jeune femme de 39 ans d’origine Camerounaise, (LIMBE, ville balnéaire). Née en 1982, Imbolo Mbue part en 1998 faire ses études aux USA. Très impliquée dans le monde littéraire africain, elle partage ses goûts avec Toni Morrison, Gabriel Garcia Marquez qui sont eux-mêmes écartelés entre ces tendances culturelles. C’est un premier roman qui a eu un succès important aussi bien au Cameroun qu’aux USA ; Elle le compose sur cinq années, selon le temps de l’expérience de ses personnages dans le monde complexe de New-York et sa finance. Lancée grâce à la Foire de Francfort en 2014. Son roman remporte un prix important la signalant aux éditeurs américains. Ce manuscrit est retravaillé pendant 3 ans pour donner le livre dont Nicole vous parle.

L’intrigue est assez complexe, plutôt sociologique puisqu’il s’agit d’un couple camerounais qui arrive en Amérique, en provenance de la ville anglophone de Limbé. C’est une histoire d’immigration vers le rêve américain, celle de Jende Jonga et sa famille qui souhaite que ses enfants obtiennent la « carte verte » pour être à l’abri des misères sociales. Grâce à un compatriote bien installé, il obtient un poste mirifique, « chauffeur d’un banquier » du groupe Lehman Brothers. Mais c’est bientôt la tourmente financière, avec la crise des « subprimes ». 

L’écrivaine obtient sa carte verte en 2014, seulement, après le succès de son ouvrage. Le titre initial : « The belongings of Jende Jonga » devient « Behold the Dreamers » mieux adapté au public américain. Le premier milieu social est constitué de familles camerounaises immigrées. Une sorte d’environnement amical, social qui apparait aux moments de difficultés de cette famille. Arrivée de Neni, compagne de Jende, enceinte de trois mois ; emménagement, soirées amicales camerounaises. Puis Jende entre dans le deuxième milieu, professionnel celui-là, une banque de New-York, le service de Clark Edwards, patron amical, ouvert à la multi-société ; Il ne s’embarrasse pas quand Jende lui arrange la vérité concernant ses papiers et la « green carte ». Jende est un homme aimable, généreux avec sa compagne Neni dont il paye les études à l’université, elle souhaite devenir pharmacienne. Il a un fils Liomi et bientôt un deuxième enfant. Son salaire est splendide, 35000 dollars par an. Un certain Boubakar, avocat, va s’occuper de lui obtenir une carte verte…

Le lecteur se met à vivre au rythme des expériences de Jende, de Neni, de l’évaluation des situations sociales et économiques qu’ils peuvent faire à partir des informations et des obligations de Jende concernant la famille de son patron ; il s’occupe en effet des transports de toute la famille du banquier. Une relation amicale se noue entre Jende et Clark Edwards. « Parlez-moi de Limbé, lui dit Clark, j’aimerais que vous me décriviez l’endroit où vous avez grandi. » La confiance installée, c’est Jende qui rapporte à Clark les allers et venues de sa famille qu’il transporte dans leurs divers lieux d’activité.  Vince le fils aîné de Clark, est un sujet de surveillance puis d’inquiétude. Dans le même temps, du fond de sa voiture, Clark gère les affaires dangereuses de la banque, et ses affaires de famille, ce qui renforce la familiarité entre les deux hommes ; mais Jende sait se taire, être discret pendant son service. L’écrivaine fait un tableau de la vie au Cameroun qui nous intéresse et explique mieux l’émigration vers les USA, « le rêve américain » est bien exprimé.

L’orage gronde dans les étages supérieurs de Lehman Brothers. La secrétaire de Clark en parle à Jende et l’inquiète en lui disant que si des restrictions de personnel se posent, les victimes seront le petit personnel. Boubakar lui dit que sa demande de carte verte sera rejetée, les services de l’immigration pourront le faire partir, toutefois il veut faire appel et Jende doit lui faire confiance. Premier lourd désespoir. Neni est très sensible à cette anxiété et sa santé en souffre. Elle travaille chez Mme Edwards, en plus de ses études en fac, de sa vie de famille et de sa grossesse. Jende s’interroge sur l’efficacité de Boubakar qui temporise et lui conseille de faire le plus d’économie possible. Neni apprend que son professeur principal est gay, et elle comprend la liberté de vie de ce pays. Jende, de son côté, fait comprendre à Mme Cindy Edwards ce que représentent les besoins d’argent de la grande famille camerounaise. Cindy l’aide et lui remet un chèque pour le Cameroun.

 Cindy craint que son mari ne la trouve trop âgée et ne la quitte. Que fait Clark au long des soirées de travail ? La question va devenir essentielle pour la vie de Cindy qui porte un complexe depuis de longues années : en se comparant à ses autres relations féminines, elle sait que ses origines sociales sont moyennes, elle ne sait pas se vêtir avec autant de chic que les autres épouses de directeurs de la société. Peu à peu la connaissance des personnages s’approfondit, on perçoit les zones de fragilité, celles que Neni qui est au courant de tout par ses amies servantes de grandes maisons, va collecter sans objectif précis. Elle remarque peu à peu des critères de société qui les font réfléchir. « Nous sommes assis au centre du monde… dit Jende, Columbus Circle est au centre de Manhattan, Manhattan est le centre de NY et NY est le centre de l’Amérique et L’Amérique est le centre du Monde… »

Le lendemain, Jende saisit une conversation : Le grand patron lâche Clark, « A l’heure actuelle c’est nous qui sommes en faute, et le Security Exchange Commission ferme les yeux, mais tu sais aussi bien que moi, que si cette merde nous explose à la gueule, ils nous jetteront en pâture à l’opinion publique et clameront qu’ils n’ont jamais été au courant de rien, alors que nous savons tous que c’est faux… »

Vince, le fils de Clark, est honteux de cette situation, il en parle à Jende puis il lui révèle, « Je vais partir en Inde. » Neni demande une aide à sa patronne, une assurance pour son congé de naissance. L’écrivaine se décrit à travers ce personnage de jeune femme énergique, travailleuse et intellectuellement forte. Neni part avec Cindy et la famille Edwards en vacances. Elle se rend compte que Cindy Edwards est très dépressive. Elle découvre un jour sa patronne alitée, dans un état lamentable, avec des comprimés, de l’alcool, elle semble morte…  Cindy la réveille doucement, la soigne, et comprend la cause de tout cela : « Clark ne rentrera pas ce soir finalement, Vince ne sera pas là à partir de ce soir, vous pourrez servir le jeune Mighty quand il le voudra… » Cindy en parle calmement avec Neni, elle raconte ses origines., et Neni lui parle des siennes… Elles se font confiance amicalement.

A la maison, Neni est réprimandée par Jende : leur fils Liomi a entendu qu’ils allaient rentrer au Cameroun. La famille Edwards se disloque, Vince part en Inde, Clark ne rentre plus le soir et se querelle avec son épouse Cindy. Cette dernière se sent dévalorisée, elle donne à Neni tous ses vêtements chics, une aubaine pour la jeune femme. Elle va faire envie à ses compatriotes !

Le drame va se nouer autour d’une demande de Cindy à Jende : tenir un cahier lui permettant de suivre tous les rendez-vous de son mari. Jende ne sait comment faire à l’égard de Clark qui est presqu’un ami pour lui. Vers le 10 septembre Lehman Brothers est mis en faillite. Neni ne peut plus travailler elle va bientôt accoucher, tout s’effondre autour d’eux. Ils prennent conscience de la catastrophe sociale qui se produit. Il leur faut de l’argent pour un avenir incertain. Cindy les rassure et leur affirme qu’elle les garde à son service. Mais…Clark ne rentre plus chez lui, Cindy devient plus exigeante. Le cahier n’est plus nécessaire. Le bébé nait le 10 décembre, et Jende annonce la nouvelle à Clark et à Cindy, à son avocat qui lui paraît peu fiable. Neni se rapproche d’un église Baptiste pour demander de l’aide. Jende ne sait plus quoi faire, il ne comprend plus son épouse. Clark le licencie avec beaucoup d’égards. Il lui donne un chèque avantageux.

Cindy devient le point de focalisation de la colère de Neni. Pendant ce temps, Jende a trouvé du travail dans la plonge du restaurant où il travaillait autrefois. Travail éreintant, avec des distances à marcher en pleine nuit, il est à bout de forces. Neni décide d’aller parler à Cindy et lui donner un cadeau de remerciements pour tous les mois de travail : « Vous venez me demander d’aider votre mari ? » Vous êtes une drôle de fille… ! » Neni lui présente une photo de l’été dernier où Cindy git sur son lit de douleurs, elle lui promet de la faire passer sur Google. Peu à peu Neni lui demande une contrepartie et Cindy s’exécute… Neni lui donne son téléphone et la photo pour la rassurer.  Neni rentre avec un sac rempli de dollars.

Jende est outré de ce procédé, il se fâche très fort contre son épouse qui se défend vigoureusement. Dix mille dollars représentent une belle somme pour les difficultés à venir. Anna, une amie de Neni lui raconte quelles conséquences Cindy donne à cette situation. Elle meurt cinq semaines après cet épisode, bien seule. Son mari et ses enfants vont changer de vie pour atténuer les souvenirs difficiles et réagir après la faillite. La famille camerounaise est attentive aux amitiés, aux secours qu’ils ont reçus, et chacun se conduit avec courtoisie.

La mort du Papa Jonga à Limbé, change la situation. Jende doit revenir au pays, s’occuper des funérailles de son père, il utilise un peu du trésor construit pendant son séjour à NY pour aider la famille, de plus il est sommé de rentrer dans son pays par les instances de l’immigration. Neni prend peu à peu le pouvoir dans cette famille où Jende accepte les changements et va devenir un nabab dans un quartier de LIMBE.

 Mais Neni reste centrée sur l’avenir de ses enfants ; elle confierait même son fils à une famille américaine pour qu’il puisse faire ses études aux USA. Elle s’interroge, s’affole à cette décision.  Jende et Neni risquent de se séparer. Elle réunit tous les amis de Jende et d’elle-même avant de partir, les enfants de Clark aiment venir goûter les plats camerounais ; puis, Jende va saluer et remercier son ancien patron.

L’influence de Natasha, directrice de l’église Baptiste, reste importante pour Neni, elle perçoit une reconnaissance sociale de leur situation, lors d’un sermon : « Cette famille était venue en Amérique dans l’espoir d’y rester. Ils rentrent parce que nous, Américains, avons oublié comment accueillir chez nous les étrangers de tous les horizons. ». Elle est apaisée et retrouve ses forces positives. Leur voyage de retour vers Limbé se passe heureusement.

Entre étude sociologique et littérature, ce gros roman minutieusement écrit, est très bien accueilli par le public américain, il se lit facilement et l’intrigue est bien nouée. Jende est un homme courtois d’une bonne éducation et surtout d’une intelligence du cœur. Neni est plus réaliste, capable de faire une grave indélicatesse pour obtenir de l’argent. Elle peut mentir, mais revient à la raison sous la pression sociale de l’église Baptiste. On sent que le travail de l’auteure est important.

Son deuxième livre est paru en 2021 « Puissions-nous vivre longtemps. ! » elle explique la lutte entreprise pour sauvegarder une petite ville contre une firme pétrolière américaine.

Nous nous retrouverons, le Lundi 7 février 2022, à 14h30, probablement chez Nicole, puisque nous n’avons pas décidé ensemble de nouvelles organisations. A très bientôt la joie de vous voir.

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