Ce lundi, de fin novembre nous nous retrouvons pour un nouveau Café Littéraire, Louis arrive en premier et nous prenons le café en attendant nos amis ; Evelyne revenue de voyage, puis Jean qui nous a tellement fait plaisir avec la promenade au Bois de Bordeaux (nous étions 18 adhérents), puis Marcel entouré de Marie, Nadine, Suzel, et Marie France enfin. Merci pour les chocolats de Nadine ; nous goûtons les canelés de Marie Françoise qui ne peut venir. Mauricette et Jean-jacques sont indisponibles ces jours-ci.
Nous rappelons que Anne-Marie Cocula nous a invités à sa conférence sur « Montaigne, 1588, l’Aube d’une révolution. » vendredi soir dernier, (nous étions 5 adhérents passerelles, au Café Historique qui se tenait au Café Français à Pey Berland). Nous la remercions chaleureusement.
Je prends la parole aussi pour commencer nos lectures et parler de :
» Lawrence Osborne, écrivain anglais, généralement traduit par l’excellent Eric Moreau : « Hunters in the dark.” Traduit par “Une Saison au Cambodge »
C’est un livre attachant d’une lecture aisée, classique. Il mérite notre intérêt pour plusieurs raisons.
- La qualité de l’auteur et du roman policier,
- Une intrigue romanesque sympathique,
- Dans un cadre exceptionnel, le Cambodge.
Lawrence Osborne a 72 ans actuellement, il écrit peu de livres, mais sa plume et ses créations reflètent particulièrement bien le type du romancier anglais, cultivé, un peu dandy, un peu aventurier. Il vit depuis 2017 en Thaïlande où il poursuit sa carrière d’écrivain.
Le héros de « Une saison au Cambodge, » selon la traduction française, c’est Robert Grieve, il arrive de Thaïlande, pendant ses vacances d’enseignant britannique.
Tout le premier chapitre « Karma » est construit de façon à faire percevoir au lecteur la personnalité du jeune homme de 25 ans, au fil de l’action. Il voyage « léger « , car il connaît les pays d’Asie semble-t-il. Sa première réflexion concerne l’argent qu’il doit trouver pour voyager au Cambodge à la recherche des temples et des aventures. Le casino lui semble un bon choix, il y revient après avoir trouvé un hôtel quelconque pour poser son sac. Un taxi le ramène au casino dont il semble connaître les règles du jeu. Discret au départ, puis plus audacieux, il va gagner une grosse somme qui le satisfait, toutefois il sait faire discrètement disparaître les billets dans ses poches. Le taxi le ramène à l’hôtel. Mais tout le pays sait aussitôt qu’un blanc a gagné le pactole et c’est à qui va le servir, le renseigner pour en obtenir des miettes.
Est-ce un hasard si le taxi qui se présente chaque matin est conduit par le même Cambodgien ?
Robert remarque les incidents, mais semble faire confiance.
Ouksa, le taxi, propose des excursions et Robert semble satisfait, peu à peu ils font connaissance et on comprend mieux les intentions du Cambodgien. Ils ont à peu près le même âge et chacun y réfléchit. L’insouciance de Robert renforce les hardiesses du Cambodgien dont la femme est malade ; leur niveau de vie est tellement différent !
Lors d’une excursion dans le temple bouddhiste de Phnom Banan, alors que Robert est transporté par l’atmosphère du lieu, les statues, les écritures, le silence, les parfums, l’encens…il remarque un gentleman en costume de lin blanc, chic ; celui-ci médite en regardant le paysage sans se détourner vers les visiteurs.
A l’étape suivante, un lieu incertain, sous la pluie, presqu’à la nuit tombée, le taxi rencontre une moto rapide, mais qui s’arrête près du taxi : « Tu es perdu ? » – « A moitié, » répond Robert qui souhaite bavarder…Ils se présentent : « je m’appelle Simon Beauchamp…Tu viens d’Angleterre ? » Beauchamp dégageait une aura d’argent, d’aisance, er de familiarité avec des lieux reculés. » Et Simon propose son aide au jeune voyageur, le taxi va attendre et boire un coup ! » Ouksa s’inquiète : »Ce n’est pas un barang (blanc) comme toi…. Il fait pas bonne impression N’allez pas avec lui« …Robert s’interroge sur cette mise en garde : « auquel puis-je me fier ? »
Cependant il va boire un verre avec Simon qui est américain, à l’aise partout, il parle Khmer et semble prendre Robert en amitié. Il semble avoir des informations sur le voyageur, et l’invite à séjourner chez lui. Simon demande à Ouksa d’aller chercher ses bagages à l’hôtel. Cette initiative satisfait Robert qui pare aussitôt l’américain de toutes les qualités.
Mais l’instant d’après Simon dit à Robert : »Il n’empêche, tu devrais être plus prudent et ne pas te balader avec une somme pareille. Avec Ouksa, tu ne crains rien, mais d’autres n’ont pas les mêmes scrupules. »
Le danger perçu est-il réel ? Robert débute son voyage et il souhaite se valoriser aux yeux de son hôte et du taxi. S’il y a piège, comment fonctionne-t-il ? Robert joue le risque presque consciemment.
Il va aller de difficultés en difficultés, mais avec une certaine confiance en soi, et beaucoup de chance ; il pense se tirer des pièges assez classiques. Mais….c’est aussi un roman policier autant qu’un roman d’apprentissage.
Une écriture fine et précise, bien traduite par Eric Moreau, exprime les désarrois du personnage de Robert apparemment imperturbable. Mais l’Américain est intéressant lui aussi et c’est par lui et gràce à deux amies inattendues que l’intrigue va rebondir et se complexifier. C’est à un jeu du chat et de la souris que l’on assiste et Robert est fort à l’esquive.
On peut y voir une influence de l’écrivain américain Graham Green (1904-1991) dont vous vous rappelez sûrement les livres et les films essentiels : » La puissance et la gloire » ; « Le troisième homme » ; » La fin d’une liaison » ; » Voyage avec ma Tante »…
Ce qui m’a intéressée aussi c’est la magie du Cambodge ; j’en ai beaucoup entendu parler et surtout j’ai lu le livre de André Malraux « La voie royale », paru en 1930. Il s’agit de l’aventure au sens fort du terme ; les Français se sont battus pour entrer au Tonkin, et au Cambodge avant 1910 pour de nombreuses raisons, mirages des pays d’Asie et de leur culture, chefs d’œuvre des pays khmers et les trafics, la route de la soie vers la Chine, la voie royale.
Ces aventures ont traversé la littérature lorsque la TV n’existait pas tout à fait, et j’ai entendu à la radio des émissions déjà « cultes » ; au théâtre par exemple, la pièce « Goupil Mains Rouges »1943 de Pierre Véry, filmé par jacques Becker et rediffusé souvent. Il montre les difficultés du soldat « Goupil Tonkin » revenu après une guerre difficile dans les jungles du Tonkin, c’est un soldat traumatisé qui ne se guérit pas de ses angoisses. Dans un contexte de famille patriarcale, ces agriculteurs français sont aux prises avec des conflits de générations, le souffre-douleur est un jeune parisien, surnommé « Goupil Monsieur » !
De même, le premier ministre assez influent à l’époque de ce conflit, Jules Ferry fut surnommé « Ferry Tonkin ».
A la seconde guerre mondiale qui se terminait en 1945, succédait une guerre coloniale en Indochine, menée par le Viet-Cong dirigé par le communiste Ho Chi Minh qui refusait le colonialisme…Une guerre longue, dure et sanglante, en plusieurs épisodes ; elle débute juste après les premiers Accords de Genève 1946, sorte de transition qui semblait terminer une guerre apparemment coloniale ; Mais, elle s’est poursuivie pour les Français jusqu’à la défaite de « Dien Bien Phu » 1954, bien transcrite au cinéma dans le film du même nom en 1992 par Pierre Schoendoerffer (écrivain et cinéaste)
La France, après cela, allait faire face à un énorme changement d’influence : attentats sur son territoire même, découverte peu à peu des horreurs du nazisme, économie en redressement difficile, changements fréquents de gouvernements et guerre d’Algérie, département français.
Pendant ce temps, en Asie, les conflits larvés se sont transformés en guerre contre le communisme à partir de la bataille de Coa Bang 1950, aux confins de la Chine. En 1953, Pierre Mendes-France, premier ministre, souhaitait une négociation simple avec « cesser le feu », mais il est obligé d’accepter une conférence incluant les forces « des quatre grands », France, URSS, Royaume Uni, USA et participation de la Chine, juillet 1954, ce sont les seconds Accords de Genève, qui ne seront pas finalisés, (excepté sur la reconnaissance de l’Etat du Viet-Nam décidés en 1949 par la France).
Pendant toutes ces négociations, presque deux ans, les combats se poursuivent, engageant des troupes fatiguées, dans des lieux difficiles.
Les films français de P. Schoendoerffer « 317eme section »1965 ; « Le crabe-Tambour 1977 » ; » L’honneur d’un capitaine 1982″ ; « Dien Bien Phu » 1992, ont eu une grande aura dans le public français.
Pour ceux que cela intéresse, la relecture de la Voie Royale produit un certain étonnement par sa brutalité, sa liberté de ton, le style sans détour, Je vous conseille de le relire, nous pourrions en parler ensuite. Malraux étudie l’Asie à l’Ecole des Langues Orientales à Paris, il y part de 1923 à 1927 et participe à des expéditions archéologiques, puis il va en Chine et se mêle aux combats du côté du Kuomitang, parti nationaliste chinois, présidé par Sun Yat-Sen1912-19, puis il suit Tchang kaï Chek vers l’exil à TAIWAN.
André Malraux est un grand écrivain de la littérature « engagée », trois œuvres sont dominantes 1930 La voie royale, 1928 les Conquérants, La Condition Humaine,1933 Prix Goncourt.
Ces livres ont ouvert l’histoire de la Chine et de l’Asie du Sud Est au public français avec un souffle épique qui convenait aux événements de cette période de conflits, de destruction des valeurs traditionnelles. : l’introduction du communisme et son influence sur les intellectuels de l’Asie du Sud-Est ; les assauts de la culture occidentale ont déconstruit les traditions millénaires et engendré des révolutions, la grande Marche et des purges effroyables. Marie rappelle le livre de Lucien Bodard « Monsieur Le Consul 1973 » qui écrivit « la guerre d’Indochine 1963 », je pense aussi à la vie de l’écrivain Franco-chinois François Chen.
Une discussion s’engage à partir de l’expérience de Marcel qui partit en Algérie dans les années 1958-62. Il repositionne les premiers Accords d’Evian 1962 (Indépendance de l’Algérie décidée par le gouvernement du Général De Gaulle) par rapport aux seconds Accords de Genève juillet 1954 qui signent la fin de la guerre française contre le Viet-Nam et la fin de l’Indochine.
Il nous semble que les événements que nous vivons actuellement sont en partie une suite ou une réponse des pays d’Asie et du Moyen Orient à nos objectifs nationalistes et colonialistes des siècles passés devenus objets de repentance. Nous citons nos sources de réflexion : des films, des souvenirs.
En voici quelques-uns sur la période guerre Américano-Viet-Nam : « Apocalypse Now 1977 » ; « Platoon 1986 » ; « Good Morning Viet-Nam 1987 » ; Full Metal Jacket 1987 » ; « La déchirure 1985 de Roland Joffré ».
Suit un moment de confidence de Louis sur son service militaire 1967-68 dans une activité de contrôle de l’espace aérien au CEA, (analyse des nuages de particules issues d’explosions nucléaires).
Puis nous revenons à nos lectures. Evelyne nous présente Franck Bouysse : « Né d’aucune femme » 2019.Un livre étrange qui l’a passionnée et troublée, il a reçu le prix des libraires . L’écrivain est âgé de 56 ans d’un Père agronome et une Mère institutrice. Il étudie le Droit puis la Biologie, qu’il enseigne actuellement.
« A la mort d’une vieille femme pauvre, à l’asile, le curé chargé de son enterrement découvre des cahiers, récit de ses malheurs et de ses réflexions : ils racontent l’histoire de Rose et de sa famille d’origine, très pauvre, dont le père est obligé de vendre sa fille aînée à un riche marchand pour la soustraire à la misère et faire survivre ses trois autres filles. Le « maître » est Maître de Forges, brutal et sans humanité pour ses compagnes.
La composition du livre est déroutante puisqu’elle fait la part des récits des parents, des personnes qui environnent le marchand concernant l’aventure de Rose, la femme du marchand, dans la France de la fin du 19ème siècle. Evelyne est touchée particulièrement par ce texte de Rose la jeune femme qui devient esclave : le livre est un hymne à la force de cette femme qui résiste aux pires horreurs grâce à l’écriture. Comment a-t-elle appris à écrire ? en repérant des mots et peu à peu leur sens sur les journaux que lisait son Maître. : « Les mot, j’ai appris à les aimer tous, les simples, les compliqués,( je les lisais sur le journal du maître) ceux que je ne comprenais pas toujours et que j’aime quand même, juste capable de m’emmener ailleurs, de me faire voyage, et faire apparaître du rêve »(sic) « Je les appelle des mots magiciens : utopie , radieux, jovial, maladrerie (léproserie), miscellanée (textes littéraires), mitre, et tant d’autres que j’ai retenus sans effort sans pourtant connaître leur sens…Ils sont ma nourriture, ma musique à moi, c’est peut-être ce qu’on appelle une âme. » Nos amis aussi connaissent cet auteur prolifique qui a publié : « Buveur de vent 2020 », « Requiem en sous-sol 2017 » et d’autres, souvent reconnus par des prix littéraires.
Suzel et Marie souhaiteraient présenter leur livre, et nous l’envisageons pour la prochaine séance le 6 décembre. Toutefois Suzel souhaite nous parler de José Saramago,1922-2010, écrivain portugais que j’aime beaucoup. L’Aveuglement est considéré comme l’un des cent meilleurs livres de tous les temps, et le roi Manchot est sur la liste des 50 livres essentiels du Portugal. « L’autre comme moi » m’a beaucoup intéressée.
Suzel sait nous accrocher à sa passion pour le prix Nobel 1998 portugais, sa voix est colorée, pressée de dire l’originalité, l’humour, de l’homme, la présentation des textes sans beaucoup de marques de ponctuation, juste les virgules et les points pour donner de la respiration au texte et clarifier la succession des idées. Elle nous parle un peu de L’évangile selon Jésus, avec tout l’humour inscrit dans le livre…. Elle nous parlera de Caen, lors de la prochaine réunion.
Notre lieu de réunion va s’aérer :
- Le 6 Décembre, à 14h15, nous serons accueillis par Marie.
- Le 22 décembre à 14h30, nous serons accueillis par Evelyne.
- Le 10 janvier 2022, nous saluerons la nouvelle Année, chez Nicole.
- En janvier 2022, le 24 probablement, nous serons accueillis par Marcel. Il nous parlera d’architecture, et d’écriture aussi…
- Le 10 janvier 2022, nous saluerons la nouvelle Année, chez Nicole.
- Le 22 décembre à 14h30, nous serons accueillis par Evelyne.
Merci à vous tous de nous permettre de vivre non seulement de belles histoires, de beaux souvenirs, mais aussi d’accepter de nous recevoir dans votre home. Vous êtes formidables !
Amitiés. Nicole.
Informations :
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