Compte-rendu de Nicole qui nous a accueillis pour ce premier rendez-vous littéraire.
Nous sommes réunis chez Nicole, par un bel après-midi de l’automne naissant. Nous avons près de nous Michèle, Secrétaire de Passerelles, Jean- jacques qui est accompagné d’un voisin ami, Marcel architecte et écrivain, Annick qui est passionnée de livres et de réunions littéraires, Jean qui sait lire les paysages, Suzel qui accompagne Marie, notre fidèle amie lectrice, Mauricette très attentive amie, et Marie-Christine en Zoom qui a créé une structure d’action sociale.
Louis et Marie -Françoise se sont excusés pour cette séance.
Je remarque que je devrais me présenter plus précisément peut-être à la prochaine séance, mais pour chacun des lecteurs présents la présentation a été discrète, puisque j’ai demandé que l’on choisisse un personnage de la vie réelle ou un personnage de roman pour se faire un peu connaître. Surprise !
Mauricette choisit Simone Veil, femme politique qui a connu les camps de concentration, elle s’est battue pour soutenir les femmes ; Marie et Suzel sont un peu surprises et passent ; Jean -Jacques choisit Edgar Morin notre philosophe centenaire ; Jean est attiré par Théodore Monod naturaliste biologiste, explorateur, humaniste ; Annick aime aussi Simone Veil, mais elle se souvient de Nelson Mandela qui l’a impressionnée pendant son voyage en Afrique du Sud ; Marcel choisit Robert Badinter pour son courage et son humanisme, sa volonté d’en finir avec la peine de mort ; Marie Christine est attirée par les héros de nos jeunes, Ivanhoé, Zorro. Pour moi, j’avoue que chaque semaine en lisant de nouveaux livres, je suis passionnée par tel ou tel Héros : Laure Adler me plait bien…Michèle est absorbée par les aspects techniques du Zoom… !
Mais nous sommes là pour parler des livres…
Marcel nous présente un aspect de son goût de la lecture, s’affronter avec des livres « durs » par exemple « La gana » de Fred Deux. C’est un récit romancé de l’enfance de l’écrivain, artiste peintre né en 1925 dans la misère, confronté dès son jeune âge à la promiscuité, aux scènes violentes dans la cave où vit sa famille… C’est Maurice Nadeau qui l’a sorti de l’oubli, l’écriture et la peinture lui ont permis de dépasser ses souvenirs difficiles. Livre que Marcel associe à Kakfa, il est d’une écriture aisée.
Marie nous montre le dernier livre de Ken Follett, « Le crépuscule et l’aube », qu’elle a lu pendant les vacances. La vie quotidienne dans l’Angleterre des années 997- 1050, juste avant le débarquement de Guillaume le Conquérant. C’est un beau livre qu’elle a lu avec plaisir, l’intrigue est constamment renouvelée, avec des personnages sympathiques qui se heurtent aux opposants dangereux : Les Vikings sanguinaires qui violent, détruisent, brûlent les villes et villages construits avec peine. Les suzerains souvent injustes, mais des amitiés se nouent et des soutiens se créent au plus haut niveau. Marie ne veut pas dévoiler les ressorts du livre pour laisser aux lecteurs la découverte. Le titre nous interroge…
Jean nous parle d’un livre sur la vieillesse et ses maladies en Inde. C’est peut-être à approfondir ?
Marie Christine nous parle de Yasmina Khadra : « Le sel de tous les oublis ». C’est un écrivain algérien connu, prix Goncourt des lycéens. Le héros du livre voit sa femme s’en aller, elle emporte le monde avec elle. Il ne supporte pas sa vie et rompt ses liens, quitte ses élèves et part sur les routes, devient vagabond. Il est en proie au désespoir. Que va-t-il devenir ?
Jean-Jacques reprend un livre de Alice Zeniter qu’il a terminé maintenant et il l’approfondit :« L’art de perdre » nous parle des Harkis, justement mis à l’honneur ces jours-ci. L’autrice est une jeune française souvent primée par les éditeurs et le public. Son père est Kabyle d’origine et sa mère Sarthoise. Normalienne, elle a vécu la réussite de l’ascenseur social par les études et se penche sur sa famille. « L’art de perdre » retrace le destin d’une famille venue d’Algérie Française en 1962. Son Grand Père fut considéré comme Harki par les Algériens et les Français le percevaient comme Algérien. La perception des rôles sociaux ne coïncide que rarement avec leur réalité. Elle tente de réunir les deux familles qui étaient scindées depuis deux générations, et cela donne des moments très positifs.
Autour de ce thème s’engage une discussion, Marcel a vécu une partie de la guerre d’Algérie et il nous en parle. Les silences qui entourent cette période de la fin de la France coloniale sont encore actuels, il est difficile d’approfondir…
Merci à vous de nous parler des livres que vous aimez, cela ouvre des horizons nouveaux et nous permet de prendre la parole et de nous rencontrer.
Nicole souhaite parler d’un beau livre : « Les femmes qui lisent sont dangereuses » ; il est riche d’une iconographie originale choisie par Stéphane Bollmann, et une pensée centrée sur la culture féminine par Laure Adler qui défend les « écrivaines » depuis une cinquantaine d’années. Laure Adler est née en 1950, a passé sa jeunesse en Afrique et fait des études de philosophie et un doctorat d’histoire centré sur le combat pour l’égalité des hommes et des femmes. Elle épouse Fred Adler, ethnologue, puis se lance dans le journalisme ; elle écrit des biographies de femmes combattantes : Simone Weil 1909-1943, philosophe humaniste, Hannah Arendt politologue et philosophe 1906-1975, et Françoise Giroux 1916-2003, journaliste à L’Express, Secrétaire d’Etat à la Condition Féminine puis à la Culture.
Puis Laure Adler devint conseiller du Président F. Mitterand et en 1993 crée le « Cercle de Minuit » puis dirige France Culture pendant une mandature.
Le livre qui nous intéresse comporte une introduction de Laure Adler et un exposé de Stéphane Bollmann sur les œuvres picturales témoignant que les Femmes lisent mais de façon différente des Hommes. Des indices concrets montrent que les livres sont familiers dans l’univers féminin : Livres pieux, livres moralisants, livres romanesques : « Un gaspillage insensé, une crainte insurmontable de tout effort, une propension au luxe, un refoulement de la voix de la conscience et un dégoût de vivre, et une mort précoce, » fustige un archéologue et philosophe du 18ème siècle, sur les façons de lire féminines. « En bref, un renoncement aux vertus bourgeoises et une régression dans les vices aristocratiques, logiquement punis par une diminution de l’espérance de vie » dit encore en 1791 Karl Bauer, pédagogue. Et pourtant la lecture a pris une place importante dans la vie des femmes et constitue un des processus de formation des sociétés modernes.
Aujourd’hui les jeunes lisent pour leurs études, leur profession mais peu dans un but culturel. La lecture prend du temps, suppose une atmosphère relativement calme pour s’introduire dans le fil du récit ; alors que le smartphone, la tablette et les images télévisuelles sont plus rapides et plus captateurs de l’attention de l’individu. L’image fascine plus rapidement que les mots qui demandent une activité motrice, une réflexion mentale et une interprétation de synthèse. Et peut-être des ressentis plus subtils que les émotions provoquées par des images filmiques.
C’est une des raisons pour lesquelles « La nuit de la lecture » prend place dans les activités culturelles des médias. On peut dire cette préoccupation est essentielle dans la période actuelle tentée par la facilité, la distraction pour échapper aux menaces écologiques et économicopolitiques.
L’école a un grand programme d’apprentissages : les professeurs enseignent des savoirs, mais il n’y a pas de relais suffisants par la suite, travail personnel des jeunes ou implication des familles. Dire ainsi que les familles ont une responsabilité dans l’acculturation de leurs enfants peut revienir à les culpabiliser et c’est assez injuste sur le plan social. Les associations peuvent jouer ce rôle, aider à créer des liens entre ces environnements ; nous nous engageons bien sûr à promouvoir la lecture auprès des enfants que nous côtoyons, mais faut-il encore adapter nos choix de livres ( dit Jean-Jacques…).
Dans la vie quotidienne qui de l’Homme ou de la Femme lit le plus ? choisit des textes qui font comprendre l’Autre et ses idées ? On dit souvent que les hommes s’impliquent davantage dans la société et lisent ce qui concerne la vie juridique, ou économique, commerciale, financière, scientifique. Ces savoirs sont essentiels pour l’évolution de la société, mais disent peu de choses sur l’Autre, l’Ami, le Voisin, le Jeune.
Les femmes qui ont été longtemps mises en tutelle dans la famille patriarcale, lisent pour comprendre la société, ses rites, ses lois ; « Orgueil et préjugés » de Jane Austen par exemple, dans l’Angleterre du 19ème siècle, « Jane Eyre » de Charlotte Brontë, roman gothique d’apprentissage démontrant le courage et la volonté d’une femme… Plus classique et datant du 17ème siècle : « La Princesse de Clèves » de Madame de la Fayette décrit une jeune femme et son désir amoureux, la qualité humaine du Prince, son mari, et le modèle janséniste de sa mère pour qui la Cour est tentation et faiblesse… Bien sûr, les moralistes et les écrivains sensibles masculins ont un immense prestige, mais la pensée féminine se structure au fil des siècles et des libérations successives. (Lycées mixtes, baccalauréats mixtes, droit de vote, droits de la femme concernant son corps, ses idées, ses activités sociales et professionnelles…)
Ce que nous pouvons apporter à notre groupe d’adhérents lecteurs, ce sont les recherches que nous pratiquons dans le domaine littéraire en général ; les repères que l’on peut installer pour comprendre les objectifs d’un écrivain, ou d’un courant littéraire ; les influences historiques, philosophiques ou scientifiques ou humoristiques que nous pouvons reconnaître grâce nos formations, et une pensée que je voudrais positive au maximum pour écouter, encourager, valoriser les choix de chacun.
Un long échange nous a permis de mieux discuter, nous expliquer sur ce qui a été dit ou choisi. Jean nous a parlé de sa compétence à lire les paysages lors des promenades, en géographe, écologue, herboriste… Annick nous a parlé de ses expériences de lecture en groupe ; Marcel a répondu aux questions de Jean-Jacques sur ses expériences de lecture « dures ». Son objectif n’est plus la distraction mais l’acceptation des images, des mots de la souffrance, de l’injustice, des sévices, pour s’y habituer et ne pas être naïf.
J’abonde dans son sens en évoquant « Les Bienveillantes » Goncourt 2006 de Jonathan Littell, (dont le père Robert Littell est lui-même journaliste-romancier après avoir été proche de la CIA et du KGB) ; Ce livre dur est important pour moi, enfant de la guerre et de la débacle en juin 1940. Un autre livre m’a paru plus dur encore : « Le pont sur la Drina »1945, un roman historique serbe du prix Nobel de littérature1961, Ivo Andric (1992-1975).
Si vous voulez bien, nous nous retrouverons lundi prochain 27 septembre 14h30, dans les mêmes conditions, chez moi, au Bouscat, nous pourrons mieux nous organiser, aborder de nouveaux livres, et ensuite nous programmerons les cafés littéraires tous les 15 jours, pour vous donner le temps de lire et de faire d’autres activités, musique, théâtre, musées, promenades en covoiturage si besoin…etc. Bonne semaine, et bonnes lectures. Amitiés. Nicole.