Café littéraire du 16/10/2023 📜📚

En ces temps de retour du Covid, plusieurs de nos lecteurs nous ont prévenus de leur absence : Louis Marie, Annick, Marie Françoise. Nous leur souhaitons meilleure santé. Sont venus nous retrouver pour ce Café où nous aimons écouter, comprendre, ressentir et débattre : Isabelle, Sylvie, Nicole C., Marcel, Jean, Marielle, Monique, Noëlle, Marie José, Aurore, Renée, Nicole S.  Mauricette, Françoise.

Nous n’évoquons pas les difficultés actuelles dans le monde, mais je sais que nous y pensons. J’aurais voulu parler des professeurs en difficulté, ils sont au premier plan des risques citoyens en face de la haine et des dangers. Un message de notre part au Café Pédagogique pourrait nous permettre de dire que nous les soutenons, ces enseignants à l’écoute des adolescents et des jeunes adultes, de leurs difficultés, de leurs chagrins, de leurs révoltes. Parents ou grands-Parents, Professeurs retraités bénévoles dans des associations sociales ou/et culturelles, nous pourrions leur dire ceci :

« Longtemps au service de ces jeunes, beaucoup d’entre nous savent que l’Ecole est un Monument de la République : que les Professeurs nourris de leurs savoirs, leurs engagements, leurs diversités représentent une liberté, une ouverture, une solidarité, une fraternité, c’est-à-dire des valeurs d’éducation, de citoyenneté, de conscience, et même de morale. Est-ce la raison des attaques qu’ils subissent actuellement ? Elles sont douloureuses, ultimes même ; mais le quotidien de l’enseignant est souvent dangereux, ils le savent. Peut-être faut-il le répéter, le redire dans les familles, dans les Instituts de formation, dans les instances de décisions politiques et sociales : ils ont besoin d’être reconnus, soutenus, respectés. Ce sont des citoyens qui forment des citoyens en devenir. »

Mauricette est venue nous parler d’une association et surtout d’un écrivain italien, Italo Calvino, né en 1923 et mort en 1985 à Sienne. La Dante, association qui diffuse la culture Italienne, de même que l’Alliance Française, propose une réunion-conférence à la Médiathèque de Bordeaux, samedi 21 octobre à partir de 10 heures. Des universitaires spécialistes de Italo Calvino, interviendront pour parler de ses œuvres, ses idées, ses engagements en politique, en littérature, et en art. Son influence est importante, vous serez les bienvenus à cette réunion-souvenir, samedi prochain.

Elle nous présente l’écrivain, une vie originale entre Cuba, sa famille scientifique, antifasciste, et laïque et la Ligurie. Il est confronté à la montée de Mussolini et se bat dans les rangs des partisans des brigades de Garibaldi. C’est un contact avec la violence, la mort, qui lui laisse des impressions douloureuses et puissantes. Cela paraîtra dans ses œuvres.  Il vient à Paris où il rencontre la femme qui l’accompagnera toute sa vie. Il se fait connaître et participe au groupe de l’OULIPO, avec Georges Perec et Raymond Queneau. Le groupe cherche de nouvelles formes d’écriture. Il adhère au parti Communiste qu’il quittera en 1956 lors de l’invasion de Budapest : « On ne peut pas être aveugle ! » Le livre qui nous intéresse paraît en 1957 et démontre sa fidélité aux idées généreuses : » Le baron perché », sorte de conte politique et social, où le héros, décrit par son frère, donne des solutions pour aider le peuple italien à mieux vivre, mieux évoluer, mieux comprendre ce que représente le changement en douceur vers un état plus libre et autonome. Ce que l’Italie du 18èmesiècle dans laquelle se situe l’intrigue, ne connait pas entre les pressions de l’Autriche, des Etats Pontificaux, des invasions espagnoles, françaises qui finissent mal. Longtemps l’Italie est ravagée, discontinue entre ses villes ducales ou princières. Dans cette œuvre une multitude de tiroirs s’ouvrent sur des sujets historiques, philosophiques et politiques, la révolution, les classes sociales, les Lumières Voltaire, Diderot, Rousseau et même l’écologie. « Tout se passait comme si, plus il était décidé à rester caché dans ses branches, plus il sentait le besoin de créer de nouveaux rapports avec le genre humain. » dit le frère de Cosimo. Et Mauricette conclut par une citation, « Chaque page ne vaut que lorsqu’on la tourne et que derrière, il y a la vie qui bouge, qui mêle inextricablement toutes les pages du livre. »

Quelques questions sont posées : comment vit-il dans les arbres ? Est-il éloigné du réel ? Beaucoup connaissent le livre et iront à la réunion-souvenir.

Merci à Mauricette de venir nous tenir au courant d’initiatives aussi riches, proposées par la Dante.

Renée prend la parole pour nous présenter un énorme volume de Dominique Scali, jeune écrivaine Québècoise de 39 ans, paru en 2022 « Les marins ne savent pas nager ». Un grand roman d’aventures, mais assez original, car l’écriture tient compte des divers langages qui se croisent au Canada : « New Babylon. » des nombreuses visions du monde également. Elle est journaliste.

Sur l’ Ile d’YS, ( Le nom de l’Ile engloutie) qui ressemble à Ouessant aussi bien qu’à Terre Neuve, vivent des habitants étranges sur les rives, longeant les mers du Nord. Ils sont marins et courageux, c’est une sorte d’obsession. Même les terriens se vantent d’être marins ; Il y a une sorte de Château fortifié où seuls les plus braves peuvent accéder, ceux qui survivent aux grandes marées d’équinoxe. Danaé est assujettie à ces règles mais elle a un savoir unique, elle sait nager. Elle peut survivre comme une femme libre, tantôt sauveteuse, tantôt naufrageuse, elle est obsédée par l’honneur et le courage ; elle a des aides, femmes seules et orphelins qu’elle mène, fait vivre des restes de bateaux naufragés ; ils dépouillent les morts, pillent les épaves. Ces enfants n’apprennent pas à nager, car on ne survit pas en nageant dans les eaux froides, il vaut mieux mourir vite. De temps en temps elle rencontre un compagnon, mais une fois seulement elle s’attache et trouve un compagnon à sa mesure.

Cette jeune écrivaine nous parle aussi de ses coups de cœur : « j’avais 19 ans quand j’ai lu la Route ; le lire a été un choc : j’ai été soufflée par un texte où tout n’est que description, où les intentions des protagonistes sont tenues à distance, où les personnages ne sont pas des individus mais l’incarnation des différentes facettes de nous… les livres de McCarthy sont comme une bible : indéchiffrables et hypnotiques… » Ce moment de réflexion m’a beaucoup intéressée, vous allez comprendre pourquoi.

Merci à Renée qui semble adhérer à cette morale de la force et du mérite. A des degrés moindres que dans le roman, nous nous disons que si nous écrivions notre histoire personnelle, nous pourrions être auteurs, ou autrices de témoignages. Marcel m’avait parlé de cette expérience qu’il mène en retraçant la vie de sa famille, de son enfance, de son métier. Cela produit un effet réflexif sur notre vie, permettant de la mieux comprendre, même si l’écriture est modeste. Sylvie qui mène l’atelier d’écriture, est favorable à cette perspective. Toutefois, beaucoup d’entre les lecteurs ne pensent pas avoir plaisir à se lancer dans ce travail de rédaction. Disséquer sa vie, c’est se reposer des réflexions parfois un peu difficiles pour ne pas dire douloureuses. Marcel nous reparle de l’humour et de la dérision pour ne pas se prendre au sérieux ou se perdre ! Tous, nous sommes concernés et les réactions sont nombreuses.

Se posent alors des questions plus fondamentales, « Les écrivains comme Hugo, Zola, Balzac sont des artistes, ils créent de l’Art ; ce dont nous parlons est l’écriture personnelle, témoignage ou chronique sans idée de se faire éditer. Marie-José s’implique sur une définition de l’Art d’écrire, elle a raison ; pour nous, l’artisanat domine nos lectures, nos écrits, c’est autre chose. Pourtant certaines écoles d’écriture font florès et permettent à des artisans courageux d’atteindre … l’Art… ?

Cela fait penser Isabelle au film que nous devons aller voir : « Anatomie d’une chute », film primé d’une palme d’or à Cannes. Nous en parlons un peu et évoquons la définition de « Anatomie » que lit Sylvie : un travail de « dissection » pour analyser chaque élément d’une situation ou d’un squelette ou d’un corps. Dans le cas du film, c’est d’un couple dont il s’agit aux prises avec une « chute » mortelle. L’un d’entre nous a été sensible au style du film, prises de vues, angles, à la finesse des liens, une remarquable technicité. Est- ce de l’Art ? d’autant plus qu’il a été primé ? question… ?

Je peux alors aborder un livre qui m’a paru difficile : « Le Passager » de Cormac McCarthy 2022. Celui -ci même dont parle Dominique Scali, dans une interview.

L’écrivain est américain, 1933-1923, après des études à l’université du Tennessee, il rejoint l’armée pour quatre ans, en Alaska où il anime ensuite une radio locale ; puis il épouse Lee et reprend la faculté sans aller jusqu’au bout, puis il s’installe à Chicago pour écrire ; il divorce et retrouve assez vite une compagne Anne DeLisle ; ils voyagent en Espagne et écrit plusieurs romans, ils ont un fils, reviennent en Tennessee, et se séparent en 1976. Il déménage pour le Texas à El Paso. Et là il parvient à écrire et publier des romans importants, « Blood Méridian» une trilogie, et la « Route » roman de fin du monde 2006, Prix Pulitzer de la fiction ; en tout une douzaine de romans  souvent très appréciés par le public. Plusieurs sont adaptés au cinéma, par les frères Cohen : « Non ce pays n’est pas pour le vieil homme »2005. Il vit jusqu’à sa mort au Nouveau-Mexique, avec une troisième épouse dont il a un fils en 1999. Ses talents de journaliste, sa curiosité, des amis de qualité lui ouvrent des champs de connaissances dont il nourrit ses romans.

Un livre étonnant, « Le passager » à la mesure de l’homme qui le crée. 536 pages. Edition de l’Olivier, version française 2023.

C’est une sorte d’énigme à résoudre par un Américain d’une trentaine d’années, Bobby Western, sportif de haut niveau, exceptionnel plongeur en grande profondeur. Mais avant de rencontrer le héros, il faut rentrer dans ce livre complexe d’abord par sa composition.

*Une introduction courte, (incipit, un tableau remarquable) centrée sur une femme morte : lecture. Un moment étonnant de lecture d’un texte esthétique.

*Puis une sorte de flash-back en italique, d’une écriture différente, personnage étrange, comme dans un rêve, ou une scène de théâtre burlesque entre The Kid et une femme qui part en voyage vers Stella Maris. Le « Thalidomide » Kid est le monstre lucide, pré-voyant, qui parle de l’envers des décors, des personnages.

*Puis bien plus tard, 10 ans peut-être, Western fait une plongée sous-marine profonde avec scaphandre vers un avion disparu depuis des années, mais signalé par un pécheur comme un cas à contrôler. Western ne semble pas savoir qui paye la mission qu’il a accomplie.  Ses compétences sont mises en valeur avec le fameux savoir-faire américain, humour, précision, gouaille dans un langage mesuré. Seraient-ils obligés au secret ? lecture de la rencontre avec des agents secrets.

Bien que peu-disant, nous comprenons les situations par la « voix off » du Plongeur qui se pose intérieurement les questions essentielles, puis il devient pour le lecteur, le « Héros » du roman.

Personnage de grande classe, physicien, homme du monde, sportif rompu à la course automobile. Il serait le personnage que l’écrivain aurait aimé être. Il est adoré par les femmes qu’il connaît, mais il reste apparemment seul, centré sur ses recherches à travers les USA, au volant d’une Maserati exceptionnelle qu’il cache avec soin. Il cherche sa petite sœur disparue il y a longtemps, il prenait soin d’elle, une super mathématicienne, Alicia.

Ce jeune homme est une sorte de James Bond, mélancolique, taiseux, qui va subir des échecs, Il est un peu Orphée à la recherche d’Eurydice. On pense au Mythe, par la force créatrice de l’écrivain qui écrit ce texte depuis longtemps. Western est un peu son fils spirituel, ou « son moi idéal » qu’il enrichit par des souvenirs de son expérience professionnelle et personnelle. C’est un livre «Testament » que nous propose l’écrivain de 90 ans. Il décrit la vie aux Etats Unis dans un milieu privilégié, et pourtant dangereux, surveillé, comme si la liberté individuelle était un leurre. Journaliste, humaniste, citoyen engagé dans la société, Western-Cormac livre une image intéressante, assez rare, de la vie aux USA.

Un grand livre à découvrir, une photo de la vie intime d’un écrivain riche d’expériences, surtout si on peut relier le livre à « Stella Maris », centré sur la merveilleuse Alicia et écrit 10 ans avant le Passager. Le deuxième livre est annoncé dans les moments de méditation vécus par Western. Cela donne une profondeur au personnage comme au livre, intrigue à double fond.  C’est un vrai double livre.

*Un excellent résumé-analyse par Léon-Marc Levy, du 07 03 2023 dans la « Une des livres.Liens internet N°ISSN : 2257-6711 mardi 10/10/23. »

Bonnes lectures à vous tous. Bonnes vacances. Nous nous retrouverons le 13 novembre pour le Café Littéraire.