Café littéraire du 10/01/2022

Nous nous retrouvons pour le premier café littéraire de l’année nouvelle.

Nous nous installons autour de la table pour ouvrir la bouteille de Prosecco de Passerelles, Café littéraire 2022. Louis est arrivé en premier avec une galette frangipane, puis Evelyne se joint à nous, Marie accompagnée de Nadine, chargée d’une boite de friandises, puis Jean, et enfin Marie Françoise qui apporte une bouteille de Prosecco. Nous voici prêts à fêter la nouvelle Année, Toasts, bavardages. Nous regrettons Marcel, cas contact, Jean-Jacques occupé professionnellement. Robert, Marie José, Suzel, Annick sont occupés.

Nous faisons le point des activités proposées :

  • Visite de l’Arboretum, le 13 janvier à 17h ;
  • Les concerts proposés par Passerelles, à consulter sur le site ;
  • Le prochain Café littéraire se tiendra le 24 janvier, à 14h30 chez Nicole, en l’absence de Marcel.

Marie et moi sommes allées au cinéma « Utopia », ensemble, et Marie va nous présenter le film : « La panthère des neiges » avec Sylvain Tesson. Elle nous parle de Sylvain Tesson qui est bien connu par le groupe, Nadine, Louis, Nicole, Evelyne.

Géographe de formation, DEA de géopolitique, écrivain journaliste, « stégophile », aventurier, il voyage à pied, en traineau, dans beaucoup de pays montagneux de l’est, escalade des façades d’immeubles. En 2014, il perd sa mère qui le soutenait moralement, Il tombe lors d’une escalade, il est gravement blessé, visage, membres… Mais sa volonté est intacte et ses amis le soutiennent. Chaque année il publie plusieurs travaux, livres, essais, depuis 1994 jusqu’à maintenant, « On a roulé sur la terre » avec Alex Poussin 1994 ; « L’axe du loup » voyage à pied en Inde, le livre paraît en 2003 ; « L’énergie vagabonde » après 5000km à pied ; « Lac Baïkal »2008 ; « La panthère des neiges » en 2009 en revenant par la Chine, puis « Dans les forêts de Sibérie » 2011.

Après la mort de sa mère et sa chute, il publie des livres douloureux : « Sur les chemins noirs »2016 ; et juste dans la même veine « Bérézina »2015, ; il se mobilise pour remarcher en se rééduquant seul, (monter tous les jours les 422 marches de Notre Dame de Paris)….Il fait des émissions de TV et de radio, sur Homère , fait le tour du monde avec son ami Alexandre Poussin, reprend un voyage à travers les steppes, pour valider les le parcours d’un groupe d’évadés d’un goulag 2003-2004 avec un film : « The long walk » de  la ville de Iakoust à la Chine en vélo. En 2019, il reçoit le prix Renaudot pour la ¨Panthère des neiges » publiée chez Gallimard. C’est un homme courageux.

Marie recentre sur la Panthère des Neiges : animal solitaire vivant dans les hauts plateaux du Tibet. Protégée contre l’extinction, il ne reste que 5000 spécimens de cette bête dangereuse.

Elle « miaule », mais avec force, elle s’enroule dans sa longue queue pour dormir et se protéger, se cache dans les rochers et n’est vraiment visible que grâce aux caméras thermiques la nuit. Plutôt solitaire, elle a 2 ou 3 petits qu’elle élève pendant deux ans pour les sauvegarder. Le film est conduit par François Munier, photographe, il recherche l’animal qui a été vu en 1970 par le biologiste américain G.B. Schaller qui l’a photographiée. Sur cette preuve se noue toute une rêverie poétique, dite à mi-voix par Sylvain Tesson. L’intérêt ne faiblit jamais, nous apprenons à vivre dans le camp de base, nous progressons dans les marches de haute montagne en découvrant des paysages inattendus ; nous apprenons à voir en approchant la longue vue, ou en scrutant différemment « L’homme de plume apprend à se tapir, silencieux, à régler son pas sur ceux des preneurs d’image, rodés aux longues heures d’attente solitaire… »

 Certains moments témoignent de la fragilité humaine devant les Yacks, énormes et tonitruants, et la fragilité de la vie devant les drames de la fuite pour survivre. Le spectateur lâche prise, la musique l’entraîne doucement dans la contemplation ; il reste le doute parfois que l’entreprise puisse réussir….

A ne pas manquer… Merci Marie pour ces recherches précises sur un écrivain passionnant.

Louis souhaite nous parler d’un livre qui l’a intéressé et parfois effrayé par sa dureté. « L’Aveuglement » de José Saramago. Suzel nous a parlé de cet écrivain qui la passionne depuis longtemps. Il s’agit d’un conte philosophique en quelque sorte. Il m’a confié ses notes que je vous transmets.

 L’aveuglement, de José SARAMAGO voir sur le CR N°A8, les informations sur l’écrivain, prix Nobel Portugais.

« Le récit commence avec une voiture qui ne démarre pas au passage du feu au vert : le conducteur est devenu soudainement aveugle. Cécité anormale : il voit tout blanc (une mer de lait). Il se fait raccompagner chez lui.L’homme qui l’avait ramené chez lui vole sa voiture mais devient aveugle à son tour. Puis, le médecin ophtalmologiste qui ne lui trouve rien d’anormal lors de sa consultation. Une jeune fille aux lunettes teintées, venues en consultation devient aveugle également. C’est le début d’une épidémie qui se propage à une vitesse fulgurante à travers tout le pays. La décision d’isolement des malades aveugles est prise pour éviter la contamination : mis en quarantaine, privés de tout repère, les hordes d’aveugles tentent de survivre à n’importe quel prix. Seule la femme du médecin échappe à la contamination.

L’histoire se concentre alors sur la façon dont va vivre, ou plutôt survivre, le groupe d’une dizaine de personnes initialement atteintes par la cécité, accompagné par la femme du médecin, qui garde la vue. Ce récit est d’une violence inouïe, commençant par une opération éclair de ratissage menée pour rassembler les aveugles connus – ainsi qu’un certain nombre de contaminés présumés – avec mise à l’isolement dans un asile d’aliénés désaffecté. Il leur faut apprendre à se battre pour obtenir et partager la nourriture, à faire face aux problèmes de l’utilisation des installations sanitaires, de l’enterrement des cadavres etc…Et surtout faire face au groupe des aveugles oppresseurs qui veut tout contrôler à son avantage. S’installe alors un sentiment de ne plus se savoir qui on est et une peur permanente des autres. Ils sont quasiment ravalés à l’état de bêtes. Même dans leur état handicapé, les aveugles oppresseurs établissent un mode de fonctionnement où le pouvoir, l’argent et le sexe restent les principaux moteurs de leurs actions, reproduisant ce qui se passe trop souvent dans notre monde dit « normal ». Des scènes d’horreur absolue s’enchaînent, à la lecture parfois difficilement soutenable, montrant une fois de plus que les hommes sont capables du pire, c’est-à-dire du mal infligé aux autres parfois avec une sauvagerie, une bestialité ahurissante. Un sommet est atteint quand le groupe des aveugles oppresseurs exige du groupe de la femme du médecin : « amenez-nous des femmes » espérant obtenir de la nourriture en contrepartie d’une réponse négative. Mais une part d’humanité parvient toutefois à subsister au sein du petit groupe constitué autour du médecin et de sa femme. Celle-ci a le rôle très particulier de guide, qui partage profondément le sort des autres : elle ne veut à aucun moment tirer avantage du fait qu’elle n’est pas aveugle. Peut-être Saramago veut-il nous dire que l’humanité ne peut pas s’en tirer sans guides qui éclairent les autres et qui agissent avec amour.

Comme pour la Peste de Camus le récit est allégorique : la cécité représente l’incapacité d’indignation, de résistance et de révolte face aux tyrannies et dictatures de tous types, communiste, fasciste ou autre ; on pense forcément aux camps de concentration en lisant ce texte. On retrouve  toutes les situations d’enfermement, d’humiliations, de déshumanisation vécues ici de l’intérieur : le système extérieur gouvernemental prive les aveugles de tout  le nécessaire -ou à peu près  ; et ceux-ci montrent comment peuvent réagir les humains lorsqu’ils n’ont plus rien, que tout repère est perdu, que se trouve éradiqué tout ce que la civilisation a pu établir en des millénaires pour réguler les rapports entre les hommes et qu’on revient de ce fait à un état primitif où la force prime tout.  Saramago semble poser la question : que reste-t-il de notre humanité lorsque manque l’essentiel ? Ceci dit, il faut quand même observer que, dans des situations moins contraintes que celles exposées ici, les hommes sont capables en permanence du pire comme le montre l’histoire de l’humanité ; le problème du mal absolu est une nouvelle fois posé ici. Toutefois, je trouve que la femme du médecin joue un peu le même rôle que le Dr Rieux de la Peste : elle fait tout ce qu’elle peut pour atténuer les souffrances du groupe, en sorte que tout espoir ne soit pas définitivement perdu. Dans cette fiction incroyable, Saramago montre avec un talent fou les deux faces de l’homme, à la fois « ange et bête », sans porter de jugement : la civilisation n’apporte rien de nouveau…


A la fin du récit, les aveugles recouvrent la vue. Et revient la question de l’aveuglement. Est-ce que voir la vie relève seulement de notre vue ? Bien sûr que non pour Saramago. Pour lui, peut-être faut-il devenir aveugle pour être transformé et voir enfin le monde. L’homme d’aujourd’hui croit voir mais sa vision est superficielle, s’arrête aux apparences, on est trop souvent dans le « tout, tout de suite » de notre monde de consommation, dans la société qualifiée « d’épileptique » par Sylvain Tesson dans le magnifique film, « La panthère des neiges ».

Deux aspects du texte me semblent particulièrement frappants :

  1. Une certaine acceptation de son sort : «il fallait bien reconnaitre que les autorités avaient fait preuve de clairvoyance en décidant de rassembler les aveugles…). Et encore : « les pires maux renferment une part suffisante de bien qui permet de les endurer avec patience » : on reste dans l’aveuglement…
  •   Le discours très froid semblant plus ou moins justifier les actes les plus odieux : ils deviennent quasiment explicables, et il n’y a pas de jugement possible à avoir dans ces conditions-là. L’exemple le plus remarquable concerne la demande faite par les aveugles scélérats qui font savoir qu’ils veulent des femmes, avec plusieurs pages dignes d’une anthologie… (p. 191 et suivantes). Il n’est pas interdit de faire le parallèle avec les discours de propagande des tyrans ou dictateurs : les mots sont utilisés pour « tordre » la réalité.

Merci à Louis, alors s’engage un ensemble de commentaires. Sur le plan politique, la dictature de Antonio de Oliviero Salazar(1889-1970)commence en 1926 avec le soulèvement du général Costa ; Le général Marcelo Caetano gouvernera  de 1970 jusqu’en 1974, renversé par la révolution des Œillets. Le pays risque de passer de l’extrême droite à l’extrême gauche. Mais la démocratie gagne et se heurte à la décolonisation en Angola, Mozambique, Timor et autres possessions. Cela rend le Portugal exsangue.

Nous revenons par associations d’idées au nazisme et à la « SOLUTION FINALE » avec les camps de concentration. Me reviennent les noms de livres sur ces camps si inhumains : nos amis se souviennent de « Une journée de Ivan Denissovitch 1962 » de Soljenitsyne, je le faisais étudier à mes élèves de BTS. Et surtout « Etre sans destin » de Imre Kertesz , écrivain hongrois qui écrit la biographie de  sa jeunesse dans les camps. Le livre sera publié en 1975, parviendra en France en 1997 chez Actes Sud. C’est un roman proche de l’absurde, au début du livre le jeune homme de 15 ans, semble assez indifférent à ce qui se passe autour de lui, il est comme hébété par tout ce qui lui arrive alors qu’il partait un matin, dans sa Hongrie natale, vers le lycée. Arrêté dans une rafle, Il passe de Buchenwald à Auschwitz-Birkenau. Cet état d’indifférence au monde extérieur produit de nombreux étonnements : « la tête de ma belle-mère quand elle se rendrait compte qu’elle m’attendait en vain pour dîner. » Le décalage entre ce que sait le narrateur de 15 ans et ce que sait le lecteur produit une sorte d’absurdité. Au début il donne entièrement raison aux allemands. Puis au bout de quelques heures, il est transféré dans un camp secondaire à Zeitz. Peu à peu c’est tout le tableau de la Shoah qui se révèle au lecteur.

Nous sommes un peu las de ces douleurs, heureusement Nadine nous fait goûter des « orangettes » apportées par une amie et nous la remercions chaleureusement. Nous nous quittons pour quelques jours.

Au lundi 24 janvier, une nouvelle réunion chez Nicole.

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