Les divers lundis fériés du mois de Mai nous ont conduits à décaler le Café au mardi 9 Mai 2023. Cela a gêné certains de nos lecteurs et ils nous ont prévenus de leur absence. Merci à Evelyne, Marcel, Michel, Marie, Marie -José, Noëlle, Nadine, Nicole D, et Nicole C., Christine, Jeannine. Dans le salon de Nicole, Louis est arrivé, suivi de Marielle et Sylvie, de Jean, de Renée, et Annick.
C’est Sylvie qui aborde le thème de l’amour qu’elle avait appelé à notre attention.
Jean a fait le choix d’un livre du philosophe A. Comte-Sponville : (« Petit traité des grandes Vertus ») que nous avons vu récemment à la Grande Librairie en conversation avec E.E. Schmitt. C’est le petit livre : « L’amour, la solitude » qui l’a attiré. Et il semble en être un peu déçu. Le désespoir semble un complément de l’amour, et pourtant il écrit : « C’est l’Amour qui donne une valeur à l’Aimée…», « L’Amour et la solitude vont ensemble : ce ne sont pas des contraires, mais comme deux reflets de la même lumière qui est vivre. » Il présente les trois formes reconnues en Philosophie, EROS, PHILIA et AGAPE.
Qu’il veuille bien me pardonner si je l’ai interrompu pour donner deux exemples littéraires de l’Amour que j’aime beaucoup, comme s’ils répondaient aux définitions idéales de l’Amour :
Un poème de V. Hugo extrait des Contemplations :
« Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t-en venir dans les champs ?…
Un poème de Gérard de Nerval : El Desdichado, extrait des Chimères.
Je suis le Ténébreux, -le Veuf, -l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie….
Je ne propose que les premiers quatrains, mais ils soulignent deux degrés de l’amour, Eros pour le premier, et plutôt Agapé pour le poème de Gérard de Nerval : Solitude, regrets, respect presque magique devant la Reine disparue…
Merci à Jean d’avoir permis ce complément qui pose des cadres pour nos réflexions.
La parole est reprise par Sylvie : elle a beaucoup réfléchi pour cette intervention qu’elle a voulue, pour partager des expériences. Elle dit « quand on vit une épreuve on se dit : <pourquoi cela m’arrive à moi ? > et en fait il vaut mieux s’interroger sur <Comment cela m’arrive et que puis-je en faire ?> ; A ce moment de nos réflexions, on peut comprendre que la vie doit continuer et que l’on peut transmettre une sorte d’Empathie, d’écoute, de compréhension positive qui peut être utile à d’autres, amis, confident, personne déprimée.
Une période d’échanges s’ouvre au sein du groupe analysant *le concept d’Empathie que nous connaissons un peu, *celui de Résilience que nos lectures du Psychiatre Boris Cyrulnik ont bien étayé, *le concept de travail de Deuil bien décrit par Mme E.Kübler Ross, et que nous pourrons reprendre si nécessaire.
Plus précisément Marielle et Sylvie souhaitent partager deux compétences,
- Marielle une lecture du Cantique des cantiques, (Bible, Ancien Testament, inséré vers 347-420 avt JC) :
« Qu’il me baise des baisers de sa bouche.
Tes amours sont délicieuses plus que le vin ;
L’arome de tes parfums est exquis,
Ton nom est une huile qui s’épanche,
C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment.
Entraîne- moi sur tes pas, courons !
Le Roi m’a introduite en ses appartements ;
Tu seras notre joie et notre allégresse,
Nous célébrerons tes amours plus que le vin ;
Comme on a raison de t’aimer. »
Que vient faire un poème d’amour aux accents érotiques, dans la Bible ?
Cela répond à la culture grecque et aux diverses formes de l’amour que nous avons analysé plus haut. Le Judaïsme et la Torah n’ont pas de tabou à l’égard de l’éducation sexuelle, sauf en réguler l’excès. L’église Catholique remet le corps à sa place en acceptant son image dans les rites et le culte, à l’inverse des Musulmans qui ne supportent pas les images ou icones. En revanche ils peignent les lettres, les textes et les « arabesques » sont dominantes…
Je passe sur les critiques et exégèses qui fustigent un Dieu sur la croix, la maternité virginale de la vierge, et les positions du Christ à l’égard des institutions ou des rites anciens. Il aime les gens qui sont honnis, les prostituées, les femmes …
Marielle pose la question : « Que pensez de l’amour dans notre vie, à partir du Poème biblique ?
Il y a une fête du corps qui nous rattache à la vie, nous sommes issus de la terre, avec un esprit, une âme, et cela fait un tout, grâce à une étincelle de vie. L’amour est le moteur de la quête du bonheur. Dans le tableau de la Création d’Adam de Michel Ange, le doigt de Dieu et celui ne l’Homme ne se touchent pas : est-ce un espace de Liberté ? ou de Manque ? cela donne l’espoir de se lever (re-surrection) plutôt que l’abattement de ne pas être capable….
Marielle ajoute : pour ma part, je me suis toujours attachée à un juste équilibre entre ma foi et ma raison dans ma pratique religieuse ; en me méfiant de la vision moralisante de l’éducation religieuse, pour me centrer sur l’essentiel l’Amour de Dieu et des Autres. (Cf. la lecture des Béatitudes).
Plusieurs de nos lecteurs partagent la réflexion de Marielle, tout en cherchant à rendre compatible son message avec leur formation scientifique, souvent de haut niveau. Notre époque n’est plus scientiste comme l’étaient la fin du 19ème Siècle et surtout le XXème Siècle. Il y a une sorte de renversement dû à l’exigence écologiste qui nous impose un réalisme, un matérialisme même pour sauver la planète, nos cultures, nos enfants ; ces tendances deviennent obsédantes au point de nous rendre un peu étrangers à des principes religieux. Ils restent sous une forme syncrétique que nous appelons humanisme, pour le moment. « Le XXI ème siècle devrait devenir religieux ou mystique » pour certains philosophes comme A.Malraux. Que sera-t-il en fait, face aux dangers ?
*Sylvie, pour compléter notre recherche, nous propose une introduction au soufisme grâce à un beau livre de Elif Shafak : Soufi mon amour.
Elle nous introduit dans une atmosphère de douceur avec ce livre que lui a fait connaître une amie africaine. Elif Shafak est la fille d’un lettré Ivoirien, un homme tolérant que l’on vient consulter. Sa mère est une diplomate turque qui voyage en Europe et dans le monde. Elif a fait de longues études aux USA, elle se dit « Citoyenne du monde » et militante convaincue de la cause des femmes. Elle vit à Istanbul avec ses deux enfants. Elle écrit en Turc et en Anglais. Son livre a eu un grand succès en 2010, elle a reçu une vraie reconnaissance en 2019.
Le thème est l’amour entre le poète Rumi et Shams, au 13ème Siècle de notre ère. L’environnement est mystique, dans le respect du Coran. Rumi rencontre Shams de Tabriz, le derviche le plus célèbre du monde musulman, et leurs vies en sont transformées. Héroïne du roman de Elif Shafak, Ella se passionne pour la découverte de AZIE Z Zahara « Doux blasphème » livre qu’elle doit annoter. A travers le Soufisme, Ella découvre le refus des conventions, la splendeur de l’amour, loin de tout extrémisme religieux. Elle met alors en place une correspondance avec l’auteur du roman, Z. Zahara. Peu à peu, la magie se développe : l’écrivaine, en faisant alterner les deux récits, les deux époques, donne beaucoup de rythme à la lecture et tout son relief au récit historique. Ce double niveau ou « mise en abyme » donne de la profondeur à l’intrigue et peut produire un effet hypnotique sur le lecteur. A vous de lire ce roman qui vous fera passer par les 5 étapes de l’expérience soufi (ou soufiste ?) :
- La terre : symbolise le solide, l’absorbé, immobilisme, puis
- L’eau : le fluide, changeant, imprévisible, puis
- Le vent : ce qui bouge, évolue, nous défie, puis
- Le feu : qui abime, dévaste, détruit, enfin
- Le vide : qui est présent à travers l’absence.
Cette complexité de la démarche soufiste rend la mission de parvenir à l’état 5, l’extase presqu’impossible. C’est l’amitié de Shams qui va permettre à Rumi d’atteindre l’oubli total de soi, l’acceptation de la perte.
Ce roman propose un voyage intérieur dans l’amour et la spiritualité : vous trouverez toutes les nuances de cette « agapè » qui donne une voie et une grande douceur à notre vie. ( partager une ou des agapes).
Merci à Sylvie de nous faire rencontrer une voie d’évolution spirituelle : « L’Autre est mon miroir, il m’est nécessaire ( khaleb Bentounes, Le Temps 2010)…
Nos échanges se sont poursuivis, les uns s’interrogeant, les autres recadrant les tendances mystiques de notre café littéraire du 9 Mai. Mais on dit « En Mai, fais ce qu’il te plait… »
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Le 22 Mai, notre prochain café reprendra son cours, Nicole vous présentera entre autres propositions, de E. E. Schmitt, le tome 3, « Soleil Sombre ».
Nous nous retrouverons à l’Ermitage à 14h30, avec grande joie.