Nos adhérents sont de retour de la Toussaint, fête familiale pour nous tous, merci d’être fidèle à notre Café Littéraire qui s’étoffe. Je reçois Louis, puis Jean-Jacques et Marcel qui se sont libérés de leurs obligations, Jean et Marie José nous rejoignent autour d’un café et des gourmandises, Macarons et Zezettes de Sète (Merci), Robert vient avec une amie peintre Françoise, Marie Françoise est là, Marie est accompagnée de Nadine et de Marie France, puis Mauricette nous fait l’amitié d’être présente avec un beau livre dont nous parlerons bientôt. Nous sommes treize mais pas à table !!!!
Je tiens mes lecteurs au courant de ma visite au centre du LIVRE VERT (https://www.lelivrevert.fr/) avec des flyers donnant l’adresse du centre de vente de livres d’occasion ; et de la présence chez moi, de livres disponibles pour un prêt facilité de lecture.
Louis souhaite continuer la réflexion sur le livre de Piketty, voici son document de synthèse : Th. PIKETTY « une brève histoire de l’égalité »
Notre café littéraire du 25 octobre nous a permis d’aborder certains aspects de l’esclavagisme et du colonialisme. La sortie progressive de ces deux faits constitue sans aucun doute une étape majeure vers l’égalité. Mais cela s’est fait au travers de conflits, par des luttes, et avec des injustices qui obligent aujourd’hui à repenser cet héritage, en particulier au niveau si important des réparations.
Avant d’aborder la question des réparations, un petit retour sur l’esclavagisme.
Un excellent documentaire sur la question est actuellement disponible sur ARTE, avec 4 épisodes (de 50 mn chacun environ) : « sur les routes de l’esclavage ». La 3ème partie traite la période de 1620 à1789 et permet de compléter les informations données par Th. Piketty. 1620 est l’époque de la ruée des Européens sur les Caraïbes pour le sucre. On observait une durée de vie de 30 ans au maximum pour les esclaves, la mortalité infantile chez eux était énorme, 90% des enfants meurent avant un an ! S’ensuit en Europe une transformation des grands ports maritimes pour participer à l’exploitation des terres colonisées avec les esclaves. On ne compte pas moins de 170 ports négriers. Nantes est la champion français, Bordeaux n’est pas en reste. La France est en compétition avec les Anglais et Louis XIV veut gagner la guerre du sucre : il fait construire 500 galions et 43 forts pour le stockage des marchandises et des esclaves. Le documentaire détaille les conditions particulièrement atroces dans lesquelles étaient pris les esclaves dans les zones côtières de l’ouest de l’Afrique. Les petits chefs locaux africains payés par les européens (argent, alcool, etc..) pratiquaient un terrorisme épouvantable pour enrôler les futurs esclaves. Des épisodes avec décapitations sont rapportés, pour convaincre les récalcitrants !
Revenons à la question des réparations traitées au chap. 4 du livre de Th. Piketty. Il rappelle d’abord que les iles esclavagistes françaises rassemblaient à la fin du XVIIIème siècle la plus importante concentration d’esclaves du monde euro-américain, avec environ 700 000 esclaves contre 600 000 côté britannique et 500 000 côté sud des Etats-Unis. La France comptait près de 450 000 esclaves à St Domingue (renommée Haïti après la déclaration d’indépendance de 1804), et près de 100 000 esclaves du côté de l’océan indien entre Maurice et la Réunion. Fait remarquable, dans ces iles, les esclaves constituent la quasi-totalité de la population (proche de 90%).
Le système esclavagiste est en phase d’expansion accélérée quand arrive la révolution française. Le soulèvement des esclaves débute en 1791 et leur émancipation est décrétée en 1793, étendue à l’ensemble des colonies l’année suivante (Schoelcher). Mais Napoléon rétablit l’esclavage en 1802, sauf pour Haïti qui devient indépendante en 1804. Charles X reconnait l’indépendance d’Haïti en 1825, contre une dette de 15 millions de francs-or pour dédommager les propriétaires d’esclaves ! Cette situation a plombé le développement d’Haïti pendant les 2 siècles qui ont suivi : la dette est définitivement remboursée en 1950 ! C’est le monde à l’envers : les compensations financières sont versées aux propriétaires d’esclaves, pas aux esclaves !
L’état Haïtien réclame actuellement le remboursement par la France de cette dette mais l’état français refuse toute discussion à ce sujet. Th. Piketty souligne que ce montant représente environ 300% du PIB Haïtien et en revanche seulement 1% de la dette publique française actuelle. Piketty estime qu’accepter une telle réparation solderait une injustice historique majeure. Pour lui, l’argument selon lequel tout cela est trop ancien pour être réparé n’est pas convaincant. La loi française reconnait la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité en 2001. Christiane Taubira avait proposé le principe d’une réparation : en vain.
Des abolitions-compensations britanniques et françaises ont eu lieu de la même façon en Guadeloupe (suite à l’exécution ou déportation de 120 000 esclaves suite à la révolte de 1802), en Guyane britannique (après une révolte matée dans le sang en 1815), en Jamaïque enfin (grande révolte de Noël 1831). A chaque fois est mise en place une compensation intégrale des propriétaires. Le principe d’une telle compensation était indiscutable pour les élites libérales de l’époque, à l’image de Tocqueville, sous le prétexte que l’esclavage avait pris place dans un cadre légal et qu’il ne fallait surtout pas mettre en cause le régime de la sacro-sainte propriété privée.
Outre la réparation financière à Haïti, la question principale en réparation pour Th. Piketty demeure celle de la réforme agraire à la Réunion, à la Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, afin de permettre aux personnes issues de l’esclavage d’avoir accès à des parcelles de terre. Rien n’a encore abouti : les propriétés terriennes et financières restent l’apanage de la population blanche issue des familles de planteurs ! Piketty estime que cette question ne peut indéfiniment rester sans réponse.
Du côté américain : les USA étaient une véritable république esclavagiste à sa création. En 1860 Lincoln est prêt à négocier avec les sudistes esclavagistes mais la guerre de sécession est déclenchée en 1861. Elle dure 4 ans, fait 600 000 morts. Elle se termine par la reddition des confédérés mais les nordistes pensent que les Noirs ne sont pas prêts à devenir citoyens, et encore moins propriétaires, les Blancs reprennent le contrôle du sud. La ségrégation raciale perdure jusqu’en 1965 ! A noter que les Démocrates étaient historiquement le parti de l’esclavage, situé dans les états du sud. Il n’y eu ni réparation ni compensation : la question est toujours posée en 2021. Des discussions sont en cours au niveau fédéral, où la comparaison est souvent faite avec la loi de 1988 d’indemnisation des Japonais-Américains. Merci à Louis de nous apporter ces informations essentielles pour comprendre l’état de la France selon TH. Piketty
Puis Jean-Jacques nous avait dit qu’il souhaitait parler de « L’ordre du Jour » de Eric Vuillard, prix Goncourt 2017 : ce livre manifeste l’engagement de l’écrivain journaliste, cinéaste et scénariste, à la plume acérée et brillante. La patte du cinéaste se perçoit dès la première page que nous lit Jean-Jacques : Il s’agit de la réunion de 24 silhouettes dont on découvre les identités peu après ; « les noms de Dietrich, Siemens, Von Opel propriétaire d’une compagnie industrielle, plus vieille que l’Allemagne (Sadowa 1866), plus vieille que la plupart des ETATS d’Afrique, plus vieille que le Bhoutan où les dieux sont pourtant allés se perdre dans les nuages. »
Toutes les identités sont commentées, affinées et E. Vuillard ajoute :« nous sommes au Nirvana de l’Industrie et de la Finance. » Une écriture presqu’épique qui témoigne du combat de l’écrivain contre l’expansionnisme nazi. « Ils (ces noms) sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d’entretien, nos radio-réveils, l’assurance de notre maison…Ils sont là partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur ».
Ecriture de combat, acérée, pleine d’un humour décapant, de cynisme même qui veut répondre au cynisme des années de « dumping » ou de colonialisme technique et économique, imposé par les nazis, sans compter la tragédie de la « solution finale ». Ce livre de 160 pages est une sorte de pamphlet sur le marchandage imposé par les hommes de Hitler pour que celui-ci puisse réaliser le rêve ou le cauchemar européen entre 1938 (Anchluss) jusqu’en 1945. (Première annexion forcée d’un pays, l’Autriche à l’Allemagne.)
Merci à Jean-jacques de nous rappeler, grâce à cette lecture amère, ce qui compose le monde qui nous entoure. Il est urgent de lire cette œuvre de combat. E. Vuillard a écrit également en 2019 « La guerre des pauvres », en voyant les manifestations de « gilets jaune ». Cet épisode de l’histoire des lands allemands se situe après la « Réforme religieuse » de 1525 initiée par Luther. C’est Muntzer qui reprend la lutte dans les campagnes contre les puissances religieuses et aristocratiques. Ils sont écrasés par la force militaire et la torture religieuse.
Marcel est venu avec un livre magnifique de Stanislas Dehaene : Face à Face avec son cerveau ». C’est un neuropsychologue de 56 ans, spécialiste des représentations mathématiques, lecture, langage, et conscience. Professeur au Collège de France en Psychologie cognitive expérimentale depuis 2005.
On peut trouver son discours de leçon inaugurale au Collège de France sur Google : « Vers une science de la vie mentale. » On trouve des vidéo YouTube sur France culture : « 13 leçons pour mieux apprendre », par exemple. « Le cerveau, les quatre piliers de l’apprentissage, » ;
Avec beaucoup de modestie, Marcel nous dit qu’il n’a pas vraiment tout compris, mais qu’il sort changé par cette lecture passionnante, le livre associe les « Images pour visualiser » à la page de gauche quand on regarde le livre ouvert ; et le texte sur la page de droite pour les auditifs qui se parlent en approfondissant la compréhension du texte.
« Voir son cerveau est une expérience émouvante et intime. Tout mon esprit, ma personne, mes souvenirs, ma volonté, tiennent-ils dans ce kilo et demi de matière molle ? tout ce que je ressens, tout ce que je suis même se réduit-il à la décharge de quelques dizaines de milliards de neurones- quand bien même ils seraient agencés avec soin par un demi-milliard d’années d’évolution et cinquante-six ans d’éducation ? Et en acceptant de les voir, vais-je découvrir dans mes circonvolutions quelques secrets cachés, de nouvelles recettes du bonheur ou au contraire quelque désordre passé ou à venir ? » En lisant ce texte, nous comprenons l’importance que représente ce livre pour chacun d’entre nous.
Il comporte une histoire des découvertes du cerveau grâce aux matériels d’imagerie, avec des représentations extraordinaires. Il est une somme de la conquête de cet univers complexe et passionnant, ouvrant peut-être les secrets de la vie intra-utérine, la complexification des zones du cerveau, l’organisation sensorielle, les relations entre synapses qui produisent des idées, le goût, les aires motrices, la vue ; comment aborder cette usine chimique passionnante ? Les acides aminés qui favorisent les liaisons, les transports d’informations sont essentiels pour grandir, s’organiser, apprendre, vivre en groupe… Mais le livre vaut mieux que tous les commentaires.
Je remercie particulièrement Marcel de nous offrir ce moment de réflexion sur ce que nous sommes et comment l’Intelligence Artificielle nous apportera des aides matérielles, numériques, et robotiques. Bien sûr qu’en ferons-nous, sagesse ou folie ? (Science et Avenir a donné la parole à St. Dehaene dans le mensuel d’Octobre 2021, article centré sur les apprentissages.)
Robert prend la parole pour présenter une amie Peintre Françoise Maugourd ; elle présente quatre peintures huile sur toile ou bois, (je n’ai pas pu voir). Quatre périodes différentes qui correspondent à son cheminement personnel et à des progrès de technicité, puisqu’elle se forme constamment. Elle peint au couteau et sa matière est fine et précise.
Le plus ancien des tableaux présente une sorte de « Baie d’Along » très soignée, inspirée d’une photo, précise Françoise. Alors que les autres sujets seront de plus en plus libérés au profit de son inspiration.
Un autre plus récent utilise une technique de « fondu » que Françoise aime beaucoup, elle facilite l’expression des émotions ou des ressentis de l’artiste. C’est un sous-bois coloré avec une partie finement ouvragée, fleurie, précise, comme si la brume ne l’atteignait pas ou s’était retirée, tandis que le centre très lumineux reflète les efforts du soleil pour réchauffer la mare d’eau centrale et transpercer la brume dorée.
Un paysage de neige, un lac gelé, dans une blancheur étincelante très suggestif du froid et de l’immobilité. Cela ferait penser à Verlaine : « Dans le vieux parc solitaire et glacé… »
Enfin la dernière manière qui plait particulièrement à Françoise, un sujet très coloré, audacieux dans sa facture : un fond bleu lumineux et transparent laisse surgir au centre du tableau une sorte de fleur aux teintes chaudes et puissantes qui s’impose au regard. Les épaisseurs montrent la force du sujet central, comme s’il s’extrayait d’un fond liquide bleu des mers tropicales, nuancé et raffiné.
C’est un grand moment de silence, de questions, d’émotions aussi. Il apaise les esprits fatigués par les échanges livresques de nos amis lecteurs ! Nous aimerions voir plus de tableaux, entendre plus de commentaires de la créatrice qui nous a si bien parlé de sa passion et de son chemin de vie à travers ses efforts pour mieux se connaître peut-être et mieux parfaire l’expression de son art.
Merci à Françoise et à Robert.
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Si vous le voulez bien, nous pourrons nous réunir à nouveau le lundi 22 novembre à 14h30 probablement chez Nicole, mais par la suite peut-être chez l’un d’entre vous. Pensez-y.
N’oubliez pas de lire sur le site « Passerellesass33.fr » toutes les propositions de sorties, de promenades, de concerts qui sont sélectionnées pour vous. Bonne quinzaine, bonnes lectures. Amitiés. Nicole.
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