Café littéraire du 05/06/2023 📜📚

Nous sommes dans la salle de l’Ermitage, par un temps orageux, et beaucoup de nos lecteurs sont partis déjà en voyage ou vers l’océan. J’ai préparé du thé et quelques tranches de cake ; Sylvie, Marielle, Louis, Renée me rejoignent ainsi que Isabelle et Jean, Marie, Marcel et Noëlle. Se sont excusées Evelyne, Marie-José, Marie-Françoise, Nicole C. Nicole D, Nadine, Christine, Annick, Arlette.

Nicole évoque la préparation de la réunion du 22 juin, qui a été envoyée aux 85 adhérents de Passerelles. Le bureau a fait parvenir à tous un mail précisant les conditions de participation et l’organisation. La réunion se passera à la Maison de l’Autre au Bouscat. Une belle organisation est mise en place autour de 7 intervenants et des participants que nous souhaitons nombreux. 

La question du film « The quiet girl » est abordée par Sylvie qui nous avait incités à voir ce film à l’Utopia. Nicole et Louis ont pu le voir, et d’autres lecteurs souhaitent le découvrir. Merci à Isabelle de nous préciser les dates possibles pour voir une sorte de « Huis clos » entre deux familles alliées et une enfant au jeu exceptionnel : 4 séances sont encore possibles : mercredi 7 juin à 14h15, mardi 13 juin à 13h15, vendredi 16 juin à 17h et samedi 17 juin à 17h. Nous sommes tous d’avis que nous ne pouvons échanger nos opinions sur le film qu’après l’avoir vu, c’est-à-dire au prochain café littéraire le 19 juin.  

Nicole rappelle l’invitation chez Louis à Saint Médard pour un apéritif dinatoire le lundi 3 juillet auquel participeront les lecteurs du café littéraire disponibles ainsi que les membres du bureau également invités et qui seraient aussi disponibles. Marcel nous indique qu’il ne pourra pas venir le 3 juillet : il nous manquera !

Une visite passionnante de Nicole et Louis aux églises d’Andernos et d’Arès nous ont permis de découvrir les magnifiques vitraux du Raymond Mirande, frère de Marcel.  Marcel est sollicité par Nicole pour organiser s’il le souhaite une visite à l’intention des lecteurs pour la prochaine saison de Passerelles, proposition acceptée par Marcel qui en précisera plus tard l’organisation. Nicole ajoute cependant que des activités Passerelles ont lieu en cours d’été. 

Jean est également sollicité pour nous présenter l’un de ses films réalisés sur l’Anapurna (dans l’Himalaya). La proposition est acceptée par Jean qui l’intégrera dans la nouvelle saison. Il précise qu’il aura besoin d’une salle noire pour la qualité de la projection. 

Nous abordons dans la suite les sujets préparés par nos lecteurs. 

Le premier concerne Cormac McCarthy sur lequel Marcel revient en évoquant le fameux film « The Road » et son livre « Le passager ». C’est un auteur un peu « brutal » (cowboy nerveux…). Une suite éditée récemment « Stella Maria » nous permettra d’y revenir de manière plus approfondie au prochain café le 19 juin. Le magnifique « Belhazar » de Jérome Chantreau présenté par Isabelle devrait aussi nous attacher davantage.

Jean nous parle de Sorj Chalendon, journaliste à Libération pendant de nombreuses années et journaliste depuis 2009 au Canard Enchainé. Il a publié de nombreux romans et s’est fait particulièrement remarquer avec « Le quatrième mur », prix Goncourt des lycéens 2013. Un livre assez dur.

Nous remercions chaleureusement Jean pour la leçon de Botanique vécue samedi dernier au bois de Bordeaux, et je lui demande s’il accepterait de nous faire connaître ses voyages autour des Annapurna et de l’Everest.  Ce sont des expériences exceptionnelles dont il construit des films. Il nous parle rapidement de ses déambulations savantes sur le littoral de Quiberon avec un grand groupe et Marcel !

 Louis nous entraîne alors à la découverte d’un auteur allemand Bernhard Schink et son dernier roman « La petite fille » paru au début de 2023. 

Bernhard SCHINK est un écrivain allemand né en 1944. Il grandit à Heidelberg dans une famille allemande protestante. Son père est pasteur et professeur de théologie à l’université, relevé de ses fonctions par le régime nazi pendant la guerre. Bernhard, lui,est juriste de formation et sera professeur de droit puis juge. Il est membre du Parti social-démocrate (SPD). 

Il commence une carrière d’écrivain vers les 40 ans, avec des romans policiers. Il publie « Le liseur » en 1995, partiellement autobiographique, qui deviendra un bestseller traduit dans 37 langues. Ses ouvrages sont en permanente traversés par la question du nazisme et de ses conséquences dans l’Allemagne, jusqu’à la question de la réunification entre la RDA et la RFA en 1989, à la chute du mur de Berlin.  

Son nouveau roman « La petite fille ». Le premier personnage du roman est Kaspar, qui possède une librairie à Berlin. A la mort brutale de son épouse Birgit, qui se suicide, Kaspar découvre petit à petit tout un pan de la vie de Birgit qu’il avait jusqu’ici ignoré : avant de quitter la RDA où elle vivait, Birgit avait abandonné un bébé à la naissance. Kaspar part à la recherche de la fille de Birgit, Svenga ; il la retrouve mais le contact est difficile car elle est restée en RDA, a épousé un néo-nazi et l’idéologie associée. Svenga a eu une fille, Sigrun et tout le roman est centré sur la relation difficile qui s’établit entre Sigrun et son grand-père d’adoption Kaspar. Kaspar cherche à l’arracher à l’idéologie toxique du néonazisme.  

Je vois plusieurs intérêts à ce texte qui entremêle deux drames : d’abord celui du traumatisme résultant de l’abandon par Birgit de son enfant à la naissance. Ensuite celui de l’Allemagne divisée entre la RDA et l’Ouest, avec en toile de fond le douloureux problème du néonazisme. Kaspar finit par retrouver la fille de sa femme Birgit, Svenga, et sa fille, Sigrun,14 ans au moment de ces retrouvailles, totalement endoctrinée par ses deux parents. Kaspar n’aura de cesse de rétablir un lien fort avec Sigrun et de lui faire découvrir un autre monde que celui du nazisme en l’amenant à la tolérance. 

Mais s’ajoutent à ces drames deux thèmes majeurs qui soutiennent le roman : *celui de la corruption par l’argent. Kaspar y a recours en inventant un faux testament de Birgit dans lequel des sommes importantes d’argent seront versées aux parents de Sigrun, à certaines périodes, à condition toutefois qu’ils laissent Sigrun venir chez lui à Berlin. Les parents de Sigrun ne sont pas dupes, mais accepteront : que n’accepte-t-on pas quand on est pauvre ? Ce pouvoir de l’argent appartient jusqu’ici à l’occident bien plus qu’aux pays de l’est de l’Europe. *Celui enfin de la puissance du contact avec l’art et la littérature dans l’évolution de tout être humain.C’est par là que se produit l’évolution de Sigrun : elle se rapproche petit à petit de son grand-père, très vite passionnée par la musique et le piano. Sigrun s’ouvre alors à une autre perception du monde ; Kaspar devient le « passeur » en lui offrant des leçons de piano, avec un professeur, de surcroit, juif !  

La seconde partie du livre est la plus intéressante. Elle montre d’abord le traumatisme de l’abandon, vu du côté de Svenga, l’abandonnée, qui a vécu des choses très dures, alors que sa mère se l’imaginait – par confort sans doute – comme une jeune femme pleine de vie. Elle nous montre l’évolution des relations avec celui que Sigrun considère vite comme un vrai grand-père et cela avec une grande finesse psychologique.

 De nombreux ouvrages, romans, films, livres d’histoire, ont bien sûr déjà été produits sur cette question du nazisme et de ses prolongements actuels. Celui-ci a l’intérêt majeur d’être écrit par un écrivain allemand. Et il aborde la question de l’endoctrinement d’une enfant avec des composantes qu’on perçoit rarement. Les parents de Sigrun n’apparaissent pas comme des monstres et certains de leurs arguments face au monde occidental semblent recevables (occident plus centré sur l’argent, l’individu et non le collectif, etc…).  En revanche, leur réécriture de l’histoire hitlérienne et de la Shoah en particulier n’est pas acceptable : Kaspar va tenter de l’infléchir malgré toutes les difficultés de communication : Sigrun est en effet « très politique », elle ne correspond en rien aux adolescents occidentaux, uniquement soucieux de leurs copains et de leur dernier smartphone, pour la plupart d’entre eux. 

Si l’histoire racontée est passionnante, en revanche, l’écriture n’est pas particulièrement attractive, pas de style, c’est assez « sec ». Cela est-il dû à une traduction qui ne semble pas de très bonne qualité. Cela pourrait empêcher d’en faire un grand livre. Mais ses autres qualités doivent pousser à le lire par les réflexions qu’il impose et je le recommande.  

Renée aborde ensuite un livre passionnant sur Jacques Cœur, écrit par Jean-Christophe Rufin « Le grand cœur » (NRF, Gallimard).

 L’écrivain, né en 1952 à Bourges, est médecin, écrivain, devient Ambassadeur au Sénégal et en Gambie, il est un pionnier de l’aide humanitaire MSF avec B. Kouchner et Claude Malhuret. Il intervient dans des missions humanitaires en Bosnie- Herzégovine, Nicaragua, Afghanistan, Philippines, Rwanda.

Il est écrivain, comme il le dit lui-même : « Comme le disait Milan Kundera, il y a deux sortes d’écrivains : l’écrivain musicien et l’écrivain peintre, Moi j’ai été formé dans le sens du visuel. Quand on écrit, soit on écoute, soit on voit, on ne peut pas faire les deux en même temps… Prix Goncourt pour « Rouge Brésil » 2001. Il intervient dans des responsabilités nombreuses dans les entreprises, dans les affaires culturelles. Il a écrit beaucoup d’essais, de politique et de société : « Katiba »2010 , « L’Abyssin » 1997 Prix Goncourt du premier roman ; « Un léopard sur le garrot »2008, (autobiographie)2010 « Le grand Cœur »2012 ; le collier rouge » 2014 …

« Le grand Cœur » est une fiction historique, un pseudo-mémoire du financier Jacques Cœur, Argentier du Roi Charles VII, personnage éminent de la Renaissance en Europe.

Dans une île grecque, un homme se cache et écrit ses mémoires pour se libérer de la peur d’être poursuivi par des sbires et tué comme un condamné de droit commun. Il a pourtant un incroyable destin. Fils d’un pelletier de Bourges, il reçoit une éducation modeste mais est doté de charme et d’une honnêteté réelle qui le fait choisir par la fille du DUC, riche « changeur » en argent. Attentif à son beau-père qui le forme dans sa compétence, il devient très jeune fondeur de monnaie puis Argentier de Charles VII, jeune roi menacé par les Anglais, les Bourguignons et ses propres difficultés à s’imposer dans sa charge royale.  Les compétences et les visions de Jacques Cœur (1395-1456) à Chios vont permettre à ce jeune homme de vivre ses rêves, d’ouvrir les routes de l’Orient, de trouver des marchés dans tous les pays, en sachant promouvoir les produits originaux commercialisables. En faisant confiance à des amis, fiables et créatifs, il apporte au roi les moyens financiers, le confort, et l’assurance qui lui manquaient. Celui-ci peut mettre fin à la présence des Anglais, terminer la guerre de cent ans, permettre à l’économie française de s’épanouir, grâce à l’organisation financière et bancaire de Jacques Cœur qui deviendra un modèle.

Il devient grand Argentier en 1439. L’élan donné par les Croisades qui n’avait pas eu de retombées économiques dans les pays d’origine, au contraire même, se transforme en courants commerciaux positifs, particulièrement en France, avec des villes centrées sur la Marine, Marseille, Gènes, des villes de Marchés et d’Universités, Aix, Montpellier, Lyon, Bourges, Tours. Et dans de nombreuses villes, des fondeurs d’argent et d’or s’installent pour payer ces transferts de valeurs. Les chemins commerciaux n’étaient pas seulement tournés vers l’Orient, l’Afrique, mais aussi vers les drapiers et lainiers du nord, les objets d’art, les bijoux d’Europe Centrale. Ces achats, faits à crédit, supposaient une remarquable gestion et des modifications de la sociologie de l’argent et des biens. La jalousie du Roi et des grands seigneurs, de plusieurs brigands dangereux le stopperont dans ses efforts et l’anéantiront finalement.

La présence d’Agnès Sorel donne à cette fresque de notre histoire une humanité véritable, une Renaissance grâce aux « Cours d’Amour » qui se développeront par la suite. La guerre de Cent Ans avait asséché toute sensibilité.  Cette jeune femme qui est une grande figure féminine, est morte à 28 ans. (cf la rencontre de Jacques et de Agnès qui a 17ans à peine.(page 277). (Voir le portrait par Fouquet de la Dame de Beauté ,1446 environ.)

Ce roman est remarquable par sa densité, la clarté et l’élégance de son écriture, avec une force, une énergie qui le rendent impossible à quitter. Il pourrait être l’illustration de l’adage « Avoir un rêve et vivre son rêve ».

L’écrivain dit qu’il a écrit ce roman au retour d’un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle ; il aurait vu, ce faisant, « une maison d’enfance de Jacques Cœur qui aurait pu voir et méditer sur le destin qui lui a été donné de vivre. Prénommé Jacques lui-même il aurait voulu faire le Chemin, même si cela ne lui fût pas possible, Jacques Cœur, comme les pèlerins de Compostelle apprend à connaître la liberté en perdant tout. Et comme il avait auparavant tout acquis, argent, pouvoir, luxe, cette privation radicale confère à son destin, une grandeur particulière qui n’est pas étrangère à l’esprit du Chemin. »… Nous sommes tous fascinés par la qualité du texte, la finesse des observations et la magie du « coup de foudre »… vécu par Jacques et par l’écrivain.

Un très beau livre.

Noëlle lance une discussion sur le plaisir de retrouver dans les romans que nous présentons des souvenirs de voyages ou de lectures passées. Visiter l’Egypte et lire E.E. Schmitt ou Christian Jacques nous aide à évoquer des lectures qui enrichissent notre vie quotidienne.

J’ai évoqué J.M.Coetzee «  la Disgrâce » 1999, Prix Nobel de littérature, prix Booker, décrit la vie d’une famille anglaise, intellectuelle dans la société multiethnique de l’Apartheid. Willbur Smith, reprend Noëlle, est passionné par ce continent et ses contrastes. On évoque d’autres écrivains engagés comme Ismaël Kadare, écrivain albanais  « Avril brisé »… Nos amis citent des livres, des thèmes qui nous intéressent ; Olga ToKarczuk, romancière polonaise, Prix Nobel 2018, avec un dernier livre « Dieu, le temps, les hommes et les anges ». Pascal Picq cité par Noëlle, avec « Et l’évolution créa la femme » 2020… et bien d’autres.

Merci à vous tous de venir animer avec passion ces moments de partage. Nous sommes heureux de nous retrouver le 19 juin pour un Café littéraire qui n’est pas le dernier : Nous nous retrouvons le 22 juin, pour la « soirée des Talents ».  Puis dans diverses activités qui vous sont proposées !