Café littéraire du 19/09/2022 📜📚

Nous nous réunissons, aujourd’hui, Jour des obsèques de Sa Majesté la Reine du Commonwealth et de Grande Bretagne. Beaucoup d’entre vous souhaitent admirer cette organisation exceptionnelle, un savoir-faire cérémonial qui n’existe qu’en Grande-Bretagne, pour une monarchie très ancienne, un pays traditionnel et pourtant tellement évolutif.

Nous sommes revenus à l’Ermitage, au premier étage. Un panneau indicatif donne l’orientation de la réunion. Les portes ferment à 17 heures.   

 Evelyne et Gérard sont en voyage, Louis est très occupé. Nicole C. est repartie pour quelque temps. Christine F. et sa personne de confiance Marie-Odile sont avec nous aujourd’hui. Nos amies fidèles sont là, Nadine, Jean, Marie José, Marie-Françoise et nous rejoignent pour la première fois Annick A., Sylvie B., Marielle J., ainsi que Patricia B. pour la deuxième fois.

Nous sommes onze et après quelques mots d’introduction sur nos objectifs et nos valeurs, les lecteurs se présentent et font connaissance. Je leur rappelle que l’adhésion à Passerelles leur permettra de voter à notre Assemblée générale, samedi prochain 24 Septembre, à 11heures. L’apéritif qui suivra devrait favoriser les rencontres.

Puis, Marie-José prend la parole pour présenter Hans Fallada, un Allemand, qui écrit en Mai 1940 : « Seul dans Berlin » ou « Chacun meurt pour lui seul », un livre exceptionnel de vérité et d’humanité. Il est publié à Berlin Est, après la mort de l’écrivain en 1947, à 54 ans. Puis le livre est oublié, et retrouvé en 2000.  Il est tiré d’une histoire vraie, celle de Otto et Elise(Anna) Hampel, exécutés le 8 avril 1943, pour actes de résistance, à partir du dossier retrouvé par Hans Fallada, c’est donc une histoire vraie qu’il retrace. Ce couple a le malheur de perdre son fils à la guerre et le même jour, dans son entreprise, le poste de Otto lui est retiré malgré sa réputation, au profit d’un nazi… Dés lors, ils entrent en résistance d’une façon secrète. Ils inondent de tracts dénonçant les malversations et crimes, dans les boites aux lettres des responsables de ces exactions. Ils dénoncent les bassesses de la nature humaine soumise à la peur et à la haine. Ils ne paraissent pas dangereux avec leurs mines tristes et endormies. Pendant 3 ans, ils parviennent à créer un milieu de résistance antinazie. Ils s’aiment profondément et s’engagent en n’ayant plus rien à perdre. Marie José est très émue par leur courage et par leur engagement pour des valeurs humaines qu’ils défendent. C’est une formidable leçon d’amour et de résistance. Arrêtés, faits prisonniers, condamnés à mort, Otto meurt seul, mais suivi de peu par Anna. Ils sont victimes du totalitarisme.

Primo Lévi, grand résistant, marqué par son passage à Auschwitz, disait de cette œuvre, « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie. »

Des commentaires intenses succèdent à cette présentation passionnée. Merci Marie-José. Sylvie qui a vécu en Allemagne ajoute qu’il y a une échelle des relations face au Nazisme : 1* les fanatiques de la force nazie. 2* les adhérents. 3* les « Malgré-nous. » 4* les Victimes. Mais, comme en Ukraine, les rôles sont complexes.

On peut citer un livre audacieux, longtemps anonyme, de Martha Hillers : « Une femme à Berlin », journal du 22 Avril au 22 juin 1945.

Sylvie reprend la parole pour présenter Magda Szabo, 1917-2007, écrivaine hongroise de « La Porte » 1987, traduit en français en 2003 Prix Femina Etranger.

Un superbe roman autobiographique de Magda Szabo qui relate la relation complexe, et presque silencieuse avec Emérence, sa domestique, une femme mutique et volontaire. Magda a 70 ans et elle s’entend bien avec cette jeune femme qui sait à peine lire, alors que Magda est une écrivaine reconnue. La jeune femme est farouchement attachée à sa liberté, ses silences, sa solitude.  Généreusement, elle donne ses plats cuisinés, et sans compter, elle se rend indispensable. En revanche, elle refuse à tous, l’accès à son domicile. Quels secrets sont cachés derrière la Porte ?

C’est livre attachant, émouvant, remarquablement écrit commence par ces mots : « C’est moi qui ai tué Emerence, je voulais la sauver, non la détruire, mais cela n’y change rien. ». C’est un livre « confession » de 344 pages. C’est une histoire d’amour entre les deux femmes, et à travers leurs différences, elles s’écoutent et se comprennent. Merci à Sylvie pour ce premier livre qui est un beau choix.

Les commentaires sont nombreux et nous évoquons la notion d’incertitude que nous reprendrons peu à peu. Elle est présente dans les recherches littéraires et philosophiques. A ce propos, Marie José me demande si nous parlerons de livre de Mohamed MBougard Sarr : « De purs hommes » (livre de poche 35776). Nous le présentons à nos lectrices nouvelles et son thème ne laisse pas nos amies sans réaction. J’avais aussi demandé de lire un petit livre riche et discret de Laurent Petitmangin : « Ce qu’il faut de nuit ». Nous en reparlerons.

Nicole prend la parole pour présenter un livre du terroir et en même temps une évocation d’un fait historique peu connu. Les Lorrains au Banat, territoire de la Hongrie au 17ème siècle. « Les héritières de la Salamandre »2021, de Françoise Bourdon, collection Terres de France, aux Presses de la Cité.

C’est un roman complexe quant à la structure, mais plein de vie dans l’écriture. Une chronique sur les femmes et les hommes qui ont participé à l’histoire de notre pays et à l’aventure de l’Europe. Sa lecture reste longtemps en mémoire.

Je le rattache à notre livre précédent de Sandor MaraÏ qui se passe en Hongrie. ( « Ce que j’ai voulu taire. »)

Connaissez-vous le « Banat » une région entre la Hongrie et la Serbie, autrefois dans l’Empire Austro-Hongrois. Au 16ème siècle, sous le règne de Soliman le Magnifique, les Turcs ont approché de Vienne par esprit de conquête ; le 12 septembre 1683, les Turcs sont boutés hors de Vienne et du centre de l’Europe, grâce à  une coalition : Eugène de Savoie et Jean III Sobieski, roi de Pologne qui soutiennent l’armée impériale autrichienne commandée par Charles de Lorraine. Le siège de Vienne est une date européenne, il débute en juillet 1683 et dure plusieurs longues semaines ; c’est l’issue de la guerre austro-turque qui fait suite à d’autres conflits initiés par les Turcs. Probablement descendants des Huns, ces hordes font des tentatives pour obtenir des terres vers l’ouest. Ce n’est qu’en 1699 que le traité de Karlowitz met fin à la domination turque en Hongrie.  C’est aussi une réponse aux conflits générés par les croisades des siècles précédents, Chrétiens contre musulmans.  Grand soulagement de voir la fin des exactions séculaires en pays Austro-Hongrois où les turcs tuent, pillent, rendent esclaves, chaque année, une centaine de jeunes européens.

Dès Louis XV, les incitations à repeupler ces régions sont annoncées, avec des aides. En Lorraine, les princes proposent d’aller coloniser le Banat : 1767. La ferme des Mayer dans un village de Lorraine, près de Metz, a brûlé en partie, des épizooties déciment les paysans :  Marie, veuve de Corentin, ses deux petits -fils : Frédéric 22 ans environ et Marcus 16 ans, accompagnés d’une famille amie, les Mosse, décident de prendre la route.

Avant de partir, Marie se souvient des années passées dans cette maison qu’elle va quitter. Les tombes de Corentin son époux, de Jeanne sa belle-mère, une femme forte au caractère bien trempé ; de son fils Antoine et sa femme, morts de maladie qu’elle va visiter une dernière fois. Et voilà, ils sont sur la route avec deux bons chevaux attelés à la charrette où Marie pourra se reposer, elle a 64ans, c’est la doyenne des marcheurs ; peu à peu d’autres familles les rejoignent, un instituteur, un prêtre. Ils font leurs ablutions dans les rivières ou le Danube, qu’ils suivent vers les pays de l’est. Ils achètent des vivres, se les partagent. Ils se protègent des maraudeurs, des voleurs de chevaux. On leur a promis des aides ainsi qu’aux familles lorraines et allemandes qui prennent le chemin de l’exil, laissant tout derrière eux, avec plusieurs mois de voyage à pied. A l’arrivée, une masure, des moyens pour construire et assainir les terres, planter, récolter, s’implanter dans la région, à côté des autochtones qui ne reçoivent pas les mêmes aides, et, les conditions sanitaires…

A Phalsbourg, ils restent huit jours sous les remparts, pour se reposer et prendre contact avec les autorités administratives. Depuis de longues années, la Lorraine a connu des guerres ou des coups de mains. Les terres de Bourgogne liées à l’Autriche, avaient des oppositions fréquentes avec le  Royaume de France. Les groupes de colons restent prudents.

Plus loin à Ulm, ils restent deux semaines, des habitudes s’installent : et Maria pense que Frédéric devrait se marier pour qu’il y ait une femme auprès de ses petits-enfants, si elle devient malade. Le hasard met sur le chemin de Frédéric une jeune femme poursuivie par des personnes qui veulent l’emprisonner pour sorcellerie. Il la protège et l’emmène au campement. Toute la famille décide de la protéger, elle s’habille en homme. C’est Loretta. Dans sa besace de cuir qu’elle ne quitte jamais, elle a des plantes, elle sait soigner, car son père était médecin. Elle est guérisseuse. Elle se rend utile et s’insère dans le groupe de colons. « J’aime soigner dit-elle, et encore plus soulager la douleur…» Le voyage et ses événements se poursuivent avec pour but la création de la Salamandre, avec tout leur courage.

En 1965, deux cents ans plus tard.  Esther, pianiste renommée vit en Angleterre avec son frère médecin. Elle a appris par la TV qu’en France, une colonie de Banatais revenait s’installer en Provence, appuyée par le gouvernement français, qui reconnait ses citoyens. Elle sait qu’une partie de sa famille a vécu au Banat, ou en Autriche, à Vienne. De là, certains ont fui vers la Grande Bretagne pour échapper au nazisme. D’autres sont restés à la Salamandre pour protéger, les murs, le nom, leurs souvenirs.

En 1919, le traité de Paris divisait l’Autriche et la Hongrie et faisait de cette dernière un pays mutilé en trois parties, l’une rattachée à la Slovaquie, une autre à la Roumanie et au centre une petite Hongrie. Le Banat perdait sa protection autrichienne et devenait territoire roumain près de la ville de Timishoara.

 Après la deuxième guerre mondiale en 1945, les Banatais se font rapatrier par l’intermédiaire de Robert Schuman et un député de Lorraine, ils peuvent s’installer dans des villages à restaurer par exemple à La Roque sur Pernes, en Provence. Ils échapperont ainsi à la dictature de Ceausescu et à la révolution. Mais pas tous, que sont-ils devenus ?

La problématique du roman à travers Esther est double : d’une part, connaître les aventures des Banatais pendant ces deux cents ans, d’autre part, rencontrer ces colons revenus et percevoir les signes qui pourraient lui paraître familiers, retrouver un peu de sa famille. Dans les années 1965 -1969, les mouvements de population se font vers l’ouest pour éviter la dureté de la vie soviétique sous l’influence du pacte de Varsovie et l’hégémonie de l’URSS.

Délaissant sa carrière de pianiste internationale et son frère Nathan, Esther, rencontre rapidement Alexandra, créatrice de Santons provençaux. Alexandra ressent une impression confuse de « déjà connu ». Mais il ne faut pas brusquer. Elles sont cousines, les documents familiaux le disent, mais il faut laisser parler ces voyageurs qui ont vécu des moments difficiles. Ont-ils envie de raconter ? le frère d’Alexandra, Christopher se tait, il a souffert de la faim, du caractère dur de son frère aîné : Werner…et plus encore.

J’ai aimé lire ce livre. Sa structure est complexe, cela est dû aux flash-backs signalés par les dates ; le livre possède une carte montrant le voyage des colons le long du Danube et de la Tisza ; le style est énergique, avec une large part consacrée à la musique ; on comprend aussi que les deux cents ans soient évoqués selon les souvenirs les plus lourds à vivre, les plus marquants. Certains personnages prennent plus de place que d’autres, plus touchants peut-être. Maria, la Matriarche est remarquable, Loretta est bien sa disciple… Les deux femmes modernes, Esther et Alexandra sont agréables à suivre dans les méandres d’une communication plus intime.

A lire, ce roman féminin est intéressant, inondé par la musique qui habite Esther, émouvant par les difficultés expliquées simplement, assez révoltant par les choix de vie ou de comportements de certains personnages.

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Beaucoup de nos amis aiment cette initiative d’un « Café Littéraire » que vous faites vivre par votre présence et vos échanges, même épistolaires…

*L’un d’entre vous m’a posé une question sur l’écrivain Patrick Modiano qui fait paraître « Chevreuse » le 07/10/2022. Prix Nobel de littérature en 2014 pour la façon dont il retrace les vies des Français pendant la guerre de 39-45. Une quête sur sa « jeunesse perdue » pendant l’occupation. « L’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation. Un Marcel Proust de notre temps ». Ses œuvres majeures sont nombreuses :

Depuis en 1978 « Rue des boutiques obscures » prix Goncourt ; Plus de 25 livres sur une trentaine d’années.  Et 2021 « Chevreuse » cf : Wikipédia.

Son épouse est Hongroise et Belge, comédienne en Belgique.

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J’essaie d’initier un café littéraire avec des lecteurs lointains. Le service par mail fonctionne déjà avec des personnes de l’association qui ne peuvent pas suivre nos échanges « in vivo », mais sont adhérentes et intéressées. Que pensez-vous de cette idée, à gérer doucement, selon nos forces….

Un lecteur de Vannes, Bruno m’a envoyé ce commentaire sur un film connu : « La guerre des mondes » de Spielberg , à partir du roman éponyme* écrit en 1897 par H.G.Wells.

<<  J’ai regardé une deuxième fois le film « La guerre des Mondes » de Spielberg d’après le roman de H G Wells avec l’acteur Tom Cruise.
Je trouve que le livre n’est pas seulement de la science-fiction. Il évoque la destruction de l’humanité qui peut, à l’ère nucléaire se produire à n’importe quel moment !
La peur de l’extinction de l’humanité est représentée par l’invasion de la Terre par les Martiens.

Dès la fin XIX° siècle, Wells anticipait-il une guerre mondiale qui aurait conduit à la destruction de l’humanité ?
Le génie de l’écrivain est de terminer son roman par la mort des Martiens tués par nos microbes contre lesquels ils ne sont pas protégés. 
L’humanité sauvée par ces microbes avec lesquels nous avons co-évolué et contre lesquels nous sommes protégés ! On a toujours besoin d’un plus petit que soi…
 Lorsque Wells écrit son roman, les travaux de Pasteur sont reconnus dans le monde entier, il ouvre l’ère de la microbiologie. Le docteur Roux (1853-1933) de l’Institut Pasteur, sauve les enfants de la diphtérie avec le sérum antidiphtérique. La sérothérapie et la vaccination font leur apparition. Des chercheurs rejoignent l’Institut : A. Yersin (1863-1943) héros du livre « Peste et Choléra » de P. Deville. Seuil 2012.Les grandes principes de l’immunité sont connus.
Biologiste de formation et enseignant, H.G. Wells a cette idée de génie de faire intervenir les microbes pour sauver l’humanité.

Le parallèle avec ce que nous vivons actuellement est frappant.
Guerre Ukraine/Russie qui peut conduire à la destruction de l’humanité. Guerre nucléaire
Covid 19, autre menace pour l’humanité ou bataille contre la montre entre des virus variants +/- pathogènes et les défenses de notre organisme. 
A une époque, on aurait dit que les Martiens représentaient les Allemands pdt les deux guerres mondiales. Aujourd’hui ils représentent les Russes avec la menace d’une troisième guerre mondiale.
Ni les mesures économiques prises à l’encontre de la Russie, ni la diplomatie ne semblent apporter de solution au conflit.
La solution est peut-être, comme dans le livre de Wells, à chercher du côté d’un variant coronavirus plus virulent ou d’un autre pathogène opportuniste qui déstabiliserait la Russie au point de mettre un terme au conflit… !!!

Les pestes et les grippes se sont toujours développées pendant les guerres. C’était toujours une double punition, militaire et sanitaire pour les populations. C’est toujours la même histoire qui se répète à chaque conflit militaire de grande ampleur.

Ici l’ennemi est représenté par les Martiens mais cela peut être n’importe quel belligérant.

Merci beaucoup, Bruno, pour ce rappel qui nous oblige à rester en éveil.

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Nous nous retrouvons le lundi 3 octobre, puis le lundi 17 octobre, puis le 7novembre, en suivant le calendrier posé sur le site de « passerellesasso33.fr » à l’Ermitage, 14h30 -16h30. Fermeture des portes de l’Ermitage à 17h.

Retrouvez la liste des livres cités au café littéraire en cliquant ici