En ce début de printemps, nous nous retrouvons à l’Ermitage : plusieurs de nos amies se sont excusées, des occupations, des soins de santé, des voyages…Anne, Evelyne, Marie-Jo, Isabelle, Marcel, Françoise, Maryse, Noëlle, Nadine, Jacqueline.
Heureusement, Eric vient renforcer notre groupe en adhérant, il est entouré de Louis et Jean, Sylvie, Marielle, Marie, Aurore, Nicole, Ida, Béatrice, Monique.
Louis anime notre réunion. Il pense parler du dernierfilm vu en groupe, « l’Attachement » avec une merveilleuse Valéria Bruni-Tedeschi et Eliot, mais on en a parlé déjà. Or nous avons des demandes de présentation de livres et de poèmes.
Présentations :
Eric a préparé une savante étude d’un jeune Héros de la guerre de 1914-18 Jean de la Ville de Mirmont. Il a pensé à la faire envoyer à l’avance pour faciliter les échanges dans le groupe. La voici un peu réduite :
L’Horizon chimérique. Auteur Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914) Editeur Grasset (Collection Les Cahiers rouges).
Présentation de l’auteur et de l’ouvrage.
Entre 1890 et le début de la Première Guerre mondiale, Bordeaux grouille de talents littéraires.
Certains auront une réputation nationale : les poètes Francis Jammes et Victor Segalen ; l’écrivain Jacques Rivière (beau-frère d’Alain-Fournier qui a écrit Le Grand Meaulnes) qui est à l’origine de la prestigieuse NRF (Nouvelle Revue Française), elle-même à l’origine des non moins prestigieuses éditions Gallimard ; …D’autres, une réputation mondiale : ainsi François Mauriac suit ses études de lettres à la faculté du cours Pasteur, tandis qu’Alexis Leger fait son droit à la faculté de la place Pey-Berland. Des décennies plus tard, ils obtiendront chacun le prix Nobel de littérature : le premier en 1952, le second en 1960 sous le pseudonyme de Saint-John Perse.
La plupart, une réputation locale, qui peu à peu est oubliée : André Lafont, Jean Balde, Despax, Piéchaud, … Michel Suffran les a classés dans cette génération perdue qui a été victime des tourments de la 1° Guerre mondiale. Parmi ces derniers, il y a Jean de la Ville de Mirmont. C’est un poète et écrivain né à Bordeaux en 1886, et mort en novembre 1914, près du Chemin des Dames, victime d’un obus allemand.
Le jeune Jean aime le spectacle du port, les senteurs marines et exotiques, le balancement des coques, l’emmêlement des vergues et des cordages. Depuis les quais il contemple les bateaux en partance, rêve d’évasions vers des destinations odorantes, des rivages enchantés, des peuples inconnus, …, mais reste à terre.
Ses études terminées, il monte à Paris où il réside sur l’île Saint-Louis, toujours près de l’eau, mais toujours à quai.

Alors, ce rêveur empli de sortilèges, ce voyageur immobile, ce corsaire condamné à ne pas courir les mers, face à ce renoncement, écrit des poèmes. Ceux-ci seront réunis en un petit recueil intitulé « L’Horizon chimérique », qui sera publié à titre posthume, par sa mère en 1920.
C’est cet ouvrage que je vous recommande.
On y ressent l’influence baudelairienne du voyage, l’envie de départs, l’appel du Large, les fantasmagories océanes, les féériques terres lointaines, … : on y trouve des vers qu’auraient pu écrire Emile Verhaeren ou Blaise Cendrar.
Parmi ces vers, ceux-ci :
<Je suis né dans un port et depuis mon enfance
J’ai vu passer par là des pays bien divers.
Attentif à la brise et toujours en partance,
Mon cœur n’a jamais pris le chemin de la mer.
…/…
Les ports ont un parfum dangereux pour les hommes
Et si mon cœur est faible et las devant l’effort,
S’il préfère dormir dans de lointains arômes,
Mon Dieu, vous le vouliez, je suis né dans un port.
…/…
Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse
Et roule bord sur bord et tangue et se balance.
Mes pieds ont oublié la terre et ses chemins ;
Les vagues souples m’ont appris d’autres cadences
Plus belles que le rythme las des chants humains.
A vivre parmi vous, hélas ! avais-je une âme ?
Mes frères, j’ai souffert sur tous vos continents.
Je ne veux que la mer, je ne veux que le vent
Pour me bercer, comme un enfant, au creux des lames.
Jean de la Ville adorait sa mère d’une tendresse infinie : c’était son plus grand amour. Lorsque la 1° Guerre mondiale est déclarée, Jean, qui a été précédemment réformé, va tout faire pour être incorporé et y arrivera. Le 28 novembre 1914, un obus allemand l’ensevelit. Son capitaine le fait déterrer, mais il est mourant ; ses derniers mots seront : Maman, maman !
Sur sa table de travail, après son décès, sa mère trouvera cet écrit :
Cette fois, mon cœur, c’est le grand voyage ;
Nous ne savons pas quand nous reviendrons.
Serons-nous plus fiers, plus fous ou plus sages ?
Qu’importe, mon cœur, puisque nous partons !
Avant de partir, mets dans mon bagage
Les plus beaux désirs que nous offrirons.
Ne regrette rien, car d’autres visages
Et d’autres amours nous consoleront.
Cette fois, mon cœur, c’est le grand voyage.
L’Horizon chimérique, ce titre mystérieux où on peut mettre tant de rêves, ce coquillage où gronde un océan comme l’écrivait son ami Mauriac, qui parlant de l’auteur disait que la poésie avait gardé intact en lui la grâce de l’enfance, ne sera pas oublié. Gabriel Fauré mettra en musique un de ses poèmes ; Julien Clerc en fera de même en 2002 ; une maison d’édition portera ce nom, …Par contre l’auteur est quelque peu tombé dans l’oubli. Sa tombe a failli disparaître : elle fut heureusement sauvée par des Bordelais reconnaissants.
Si un jour vous passez devant le cimetière protestant de Bordeaux (qui curieusement se trouve rue Judaïque), entrez et allez-vous recueillir sur sa tombe (H42) pour lui lire à voix douce un de ses poèmes. Je suis sûr que ce jeune homme éternel, qui avait conservé en lui la sensibilité et l’émerveillement de l’adolescence, vous en sera reconnaissant. Les poètes ne meurent pas ; même quand ils ne sont plus là, ils continuent à nous parler.
Bonne lecture à tous. Nos lectrices et lecteurs écoutent avec émotion Eric qui restitue à Bordeaux, son port, les voiliers sur le fleuve, les Hangars, les odeurs des marchandises venues des Tropiques, les marins, les débardeurs, les cris, les bruits divers, tout un univers disparu. Sans les quais, les rues débouchaient directement sur les rives du fleuve. Les écrivains et les poètes habitant les maisons riveraines se délectaient de toute cette vie de nuit et de jour. Merci à Eric pour cette reconstitution poétique. On parle de Alain Fournier, de Mauriac. Nous reviendrons sur ce dernier, lors d’une prochaine visite à Malagar.
Louis demande à Ida de présenter sa recherche. Elle a retrouvé un petit livre consacré à des écrivains divers « Histoires de Lectures », l’un d’eux a accroché son regard : Richard Della Rosa, né à Mézières, professeur de Latin et de Grec, connu plusieurs romans et un roman mi-réaliste, mi-fantastique « La double vie de Véronique ».Il reprend la « fascination des doubles » selon la double vie de Krysztof Kieslowski ; Un film a été produit en 1991. La réalisation du film est franco-polonaise. Une histoire double de deux femmes, appelées Véronique qui vivent dans des pays différents, Varsovie et Paris, elles se ressemblent psychiquement et physiquement. A Cracovie, Weronica meurt d’une crise cardiaque, à Paris une jeune femme se sent profondément triste, sans savoir pourquoi ? Plus tard, il met en scène les couleurs, « Bleu,Blanc, Rouge, » 1997 qui lance Juliette Binoche. L’écrivain recherche les effets de la lecture sur le psychisme du lecteur :<Lire, c’est partir un peu> <Tout oeil qui se pose sur un texte se l’approprie et ouvre la voie> <l’instinct créateur est impalpable, il renaît dans les Mémoires> <Il se fait un grand partage des représentations>. On retrouve sa jeunesse dans le Grand Meaulnes, avec Alain Fournier ; Virginia Wolf voyage dans sa chambre… l’écrivain ajoute : « Je les aime comme des êtres vivants ».

Eric intervient pour citer le petit Musée dans la petite école de Sainte-Agathe dont le père de François Seurel, ami du Grand Meaulnes, enseigne à ces adolescents. Il y est passé personnellement pour retrouver des souvenirs, des émotions. Devant la belle Yvonne de Galais, on a tous les yeux de François et d’Augustin.
Merci à Ida de donnerà travers le texte de Richard Della Rosa, une forme de réflexion psychologique sur les effets de la lecture sur l’individu. La culture qui nous est si chère, en Europe est produite par l’immense production de livres qui nous passionnent, nous font vivre d’autres vies à travers la nôtre, vivre d’autres pays grâce à notre imaginaire, ressentir les douleurs des autres par notre sensibilité ou notre expérience. Le texte est un peu complexe, mais très intéressant.
Louis donne la parole à Aurore qui a lu un livre passionnant de David Lelait-Helo : « Il était une femme étrange » paru en janvier 2025… Nous connaissons déjà cet écrivain original par trois de ses œuvres « Poussière d’Homme », « Je suis la maman du bourreau ». L’écrivain est connu, par ses nombreuses biographies qui l’amènent à vivre auprès des stars ou des femmes illustres. Il a un doctorat de littérature et civilisations hispaniques. Il enseigne l’Espagnol à Montpellier. Né en 1971, il publie son premier roman en 1997 « Evita, le destin de Eva Peron. ». Passionné d’art lyrique, en 1997 encore, il écrit une biographie de Maria Callas qui est traduite en 7 langues. Il devient journaliste dans des magazines féminins, et produit de nombreux articles sur la musique. En 2006, il écrit un roman autobiographique bouleversant « Poussière d’homme » à la mort de son compagnon.

Le roman se déroule à la fin du 19éme siècle au Mexique, dans une petite ville : Amapolas, (coquelicot en espagnol). A la nuit tombée, Eusebio, un sacré conteur, promet un voyage étourdissant à ses auditeurs. Il raconte sous un arbre de leur village, une incroyable histoire qui lui est arrivée autrefois. Ce Thanatopracteur se rend dans la maison d’une morte dont le beauté ancienne et effarante déchaîne en lui une obsession pour le reste de sa vie. Il raconte la vie de Maria Dolores Pinta de las Aguas Dulces, ou plutôt ses vies, mais il ne dira pas comment cette femme le hante.
Les chapitres alternent entre les passages racontés par Eusebio et ceux de Maria Dolores. Mais une troisième partie du livre, secrète explique le sort de ses enfants. C’est un livre passionnant nous dit Aurore, fascinée par l’étrangeté de ce roman. Merci à Aurore de nous faire connaître ce beau texte.
Nous suggérons à Sylvie de nous dire des poèmes pour respirer plus calmement. Notre amie a trouvé un petit livre : Marie HUOT : MIMOSA, RELIQUES ET RÉVOLUTION
Marie HUOT est née en 1965 (60 ans) au bord de la mer et vit actuellement à Arles où elle travaille en tant que bibliothécaire.
Elle s’est nourrie de littérature russe et de Giono entre autres.
Elle a tenu pendant quatre ans une revue de poésie.
Elle envisage l’écriture comme une mémoire. Elle pense que ses livres sont des boîtes pour les voix perdues, des refuges contre l’oubli.
A ce jour elle a publié une quinzaine de recueils. Elle lit volontiers ses poèmes, ici ou là et travaille parfois avec des peintres pour des livres d’artistes.

MIMOSA, RELIQUES ET RÉVOLUTION paraît en 2024.
Souvenirs, reconnaissance des paysages et des moments de vie traversés par Marie Huot. Déambulation au gré d’une mémoire non chronologique.
Manuel DAULL accueille ses poèmes dans ce livre qu’il a imaginé entr’ouvert comme un album de photos. Une photo d’une femme de dos dans la campagne, en observation…
Lire Marie, c’est la connaître, depuis longtemps, peut-être depuis toujours, depuis des temps immémoriaux dit-il. Car à la première lecture, il nous semble la reconnaître (du moins apprendre à la connaître) et nous trouver ?
Cela vient peut-être de son attention aux entités (qui parfois nous échappent), de son écoute bienveillante aux voix englouties dont elle se fait l’écho, ce qui nous rapproche d’elle dans son écriture frêle, cette écriture qui sans cesse tourne et tourne pour qu’advienne le Poème !
Dans Mimosa, reliques et révolution elle nous souffle :
« Cela m’a rappelé que ce que j’écrivais était obscur, obscur en surface, mais éclairé en dedans. N’oublions pas : Les livres nous tiennent debout, la Poésie nous tient debout, les voix qui nous traversent nous tiennent aussi debout. J’en suis presque certaine. »
NB : Son homonyme Marie HUOT était une poétesse née en 1846 et décédée en 1930, grande militante des droits des femmes et des animaux. Les voix sont là… On retrouve aussi Francis Jammes, poéte et romancier, Grand Prix de la Littérature Française à l’Académie Française « J’aime l’âne si doux… » « Nous avons besoin de papier et de vent » Cela s’accorde magnifiquement avec tous les souvenirs retrouvés dans notre moment poétique. Grand merci à Sylvie.
Marie a écrit quelques lignes qu’elle peut nous lire :
<Le Déménagement
Ce n’était pas pour partir ailleurs. La maison devait se vendre, il fallait la délivrer de tout son passé.
Le jour J arrive et les déménageurs expérimentés, efficaces, décidés, pressés, envahissent la maison et accomplissent les tâches prévues.
Tout se passe normalement jusqu’à ce que l’armoire qui m’était destinée fasse un caprice.
Elle ne voulait pas partir ni par les portes ni par les fenêtres.
Les déménageurs n’ayant ni le temps ni la compétence pour la démonter, plutôt la décheviller, repartent sans elle. Je me suis rapprochée d’elle pour la réconforter. En effet, elle s’étonnait de tout ce remue-ménage et je comprenais son désarroi. Depuis plus d’un siècle personne ne l’avait obligée à changer de place.
Elle ne voulait pas bouger. Elle se trouvait bien à cet endroit.
Elle repensait aux générations successives qu’elle avait connues, mes ancêtres avec qui elle avait partagé leurs joies et leurs peines. Elle se souvenait des enfants qui passaient souvent devant elle. Ils ouvraient ses grandes portes à la recherche d’un trésor caché qu’ils ne trouvaient pas et elle s’en amusait beaucoup.
Je ne pouvais vraiment pas l’abandonner.
Elle incarnait un important témoignage du passé.
Mais comment faire ? Ceci représentait pour moi une grande difficulté. Tout le monde me disait : « Ça va te coûter cher ».
Mais parfois je suis têtue ou bien j’ai de la suite dans les idées.
Par chance, je connaissais Caroline et Jean-Laurent menuisiers-ébénistes formés aux Compagnons du Tour de France. Je ne pouvais pas mieux tomber.
Je suis allée les voir et Jean-Laurent comprenant mon attachement à ce souvenir volumineux est venu, malgré ses nombreux chantiers, poser un diagnostic.
Afin de me rendre service il m’a proposé de confier à Caroline cette délicate intervention : démontage, transport jusqu’à mon domicile et remontage sur place.
Il m’enverrait le devis.
J’étais soulagée (pas pour le devis)
Comme prévu, dans un premier temps, Caroline arrive à la maison accompagnée d’un collègue pour l’aider.
Au fur et à mesure j’ai vu l’armoire se décomposer. Elle ne disait rien comprenant qu’elle était entre de bonnes mains.
Deux heures après elle partait dans la camionnette.
Caroline m’a rassurée en me disant à très bientôt.
Effectivement, quinze jours après, Caroline et son collègue arrivaient à mon domicile au Bouscat pour la livraison.
Tout de suite ils ont procédé au remontage qu’ils considéraient comme un amusant jeu de construction ou plutôt de reconstruction.
Deux heures après l’armoire renaissait et prenait place dans sa nouvelle demeure.
Je n’ose pas le dire pourtant elle m’a fait penser à Notre-Dame.
PARDONNEZ-MOI.
Je l’ai vue en mille morceaux et la voilà ressuscitée.
Dorénavant, quand je m’adresse à elle, je lui dis avec déférence :
« Ma très CHÈRE belle armoire »
Dans le déménagement, je n’ai pas oublié l’ours en peluche de notre enfance.
Il vient d’effectuer un séjour en clinique esthétique afin de retrouver sa belle apparence d’antan.
A la sortie, son petit fauteuil en bois l’attendait dans ma chambre.
Dorénavant, quand je m’adresse à lui, je lui dis avec déférence :
« Mon très CHER bel ours »
Je suis comblée.
Épilogue :
Pour le voyage d’agrément prévu il s’en trouve retardé de quelque temps.
« OBJETS INANIMÉS AVEZ-VOUS DONC UNE ÂME QUI S’ATTACHE À NOTRE ÂME ET LA FORCE D’AIMER ».
- de Lamartine.
Tous nos amis applaudissent Marie, son humour, sa simplicité, sa sensibilité. Merci à toi.
Louis donne la parole à Nicole. Elle présente : « Tenir debout » de Mélissa Da Costa.
Nous connaissons déjà Melissa Da Costa, « Tout le bleu du ciel », « Les femmes du bout du monde » ont été présentés. C’est une féministe, ses personnages sont essentiellement des femmes qui se protègent ou qui aident pour un temps mesuré. Elle a écrit une dizaine de romans et « Tenir debout » est très récent 2024, chez Albin Michel.
Elle a reçu des Prix : « Alain Fournier » pour « Tout le bleu du ciel ». Prix Babelio pour les « Douleurs fantômes » en 2022. Elle n’a que 34 ans, vit à Clermont-Ferrand. Le journal Sud-Ouest parlait de « son succès foudroyant » en juillet 2022. La presse parle d’elle, <la femme la plus lue en France 2023 ; l’inconnue la plus lue de France>, un film a repris « Tout le bleu du ciel », certains l’ont vu, moi aussi ; mon avis est plutôt mesuré dans la transcription qui en est faite..

Notre roman débute simplement, une jeune femme d’à peine 20 ans, Eléonore, tombe amoureuse d’un acteur de théâtre parisien, devenu star pour son physique, sa voix, son attitude hautaine, inaccessible, François Louvier. Il est entouré par une cour de copains, d’amies, de sorte qu’un vendredi soir parmi d’autres, il lui dit : « Tu seras mon Porte- Feu » en lui donnant sa cigarette à allumer. Ce jeu d’adolescent devient un rituel qui la distingue des autres et l’inclut dans le groupe des fans. Mais il a le double de son âge. Elle s’enflamme, souhaite devenir essentielle auprès de lui, malgré une épouse Isabelle et les conseils discrets de Camille, son amie fidèle.
Un vendredi matin, François en scooter est accidenté par un bus qui le laisse avec de graves blessures. Vertèbre abîmée, paralysie du tronc inférieur : il ne pourra plus marcher. L’épouse de François est près de lui, elle semble assumer la situation ; mais Léo est devenue la maîtresse, la jeune maîtresse de François qui est séduit par cet « amour fou ». Léo prend sa place auprès de lui, s’impose auprès de l’hôpital, des soignants, cherche même à écarter Isabelle qui se plie aux désirs de François. Rationnelle, Isabelle sait que les difficultés sont lourdes et prendre François en charge est complexe, d’autant que le couple d’amants souhaite l’indépendance. Alors ?
C’est la première grande étape de ce grand livre (600 pages) souvent émouvant grâce à l’analyse fine des situations vécue par François qui doit faire son deuil. Période lourde décrite par l’écrivaine qui sait comprendre les sentiments, décrire avec attention et souplesse les comportements excessifs d’un grave accidenté ; Léo et ses 24 ans, apprend à endurer les situations brutales et souvent à plusieurs niveaux d’interprétation ; Les solutions qu’elle propose sont parfois mal adaptées, trop lourdes pour elle, inexpliquées pour François. Isabelle ex-épouse intelligente ne se sent pas trop frustrée, elle participe peu à peu à apporter l’aide dont le couple a besoin.
Pendant près de quatre années, un temps « long » pour le lecteur pressé, permet des négociations : il est un auxiliaire important, réaliste, au prix des diverses étapes qui vont construire leurs vies, les « Je n’en peux plus », les « comment faire pour avancer ? » et autres constats ou mots d’ordre rendent l’intrigue passionnante, particulièrement pour ceux qui savent ce que représente un travail sur soi, différent pour chaque protagoniste. Les environnements changent, favorisant les évolutions, les acceptations nécessaires, les interventions discrètes des êtres attentifs.
Mélissa aime ses personnages, comme des parties d’elle-même, elle est une femme positive et cela donne au livre une sorte de vocation à aider le lecteur qui pourrait se retrouver dans ces « caractères ». Des valeurs sont mises en œuvre : * l’écoute, malgré la violence ou la passion, * les remises en question, * les choix positifs qui viennent souvent du groupe environnant. Les détails sont justes, analysés, justifiés, discutés d’un personnage à l’autre, comme si nous étions au théâtre ou dans un film. Le style est soigné, précis, parfois rude, souvent tendre. Les silences que nous imaginons sont riches de réflexions. Ce livre décrit les formes différentes de l’amour, de belles amitiés, la famille s’élargit peu à peu grâce à la compréhension des autres et l’indulgence constructive. Je conseille vivement sa lecture fine et instructive. Elle devrait rendre plus ouvert. 2 textes à lire devant les lectrices et lecteurs p.40-41 et 134-136.
Louis souhaite dire quelques mots sur une expérience inattendue : Un Goncourt contre l’IA
Louis évoque un article publié dans l’hebdomadaire « Le Nouvel Obs » N° 3155 du 13/03/2025. Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020 (avec « L’anomalie ») a accepté de participer, à l’initiative du « Nouvel Obs », à un match l’opposant à une machine, comme naguère Kasparov contre Deep Blue aux échecs. L’Obs ne doutait pas une seconde que l’homme écraserait la machine – ChatGPT pour l’occasion – surtout s’agissant d’une pointure littéraire de ce poids. L’idée était simplement de voir ce dont était capable en 2025 l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la fiction.
On connait en effet de mieux en mieux les capacités assez extraordinaires de l’IA dans le domaine plus conventionnel des systèmes experts exploitant des bases de données. Nos lecteurs font avec pertinence remarquer que l’exactitude des informations communiquées par l’IA repose en fait sur la qualité de ces bases de données qui sont jusqu’ici pour l’essentiel gérées par les hommes. L’IA ne peut garantir la validité de ses réponses. Mais dans le test proposé par Le Nouvel Obs, on se place dans un tout autre domaine : celui de l’imagination, de la création, de l’émotion à faire émerger…
Stupeur et consternation lorsque le test fait apparaitre que l’IA a fait au moins jeu égal avec Le Tellier. Le texte produit par l’IA suite aux consignes données au départ à la fois à l’IA et à Le Tellier est « un texte littéraire à part entière, avec un style inventif, des trouvailles nombreuses, une agilité narrative et un humour percutent (je cite l’article) ».
L’auteur de L’Anomalie en convient : « le texte généré par ChatGPT est mieux écrit qu’une partie non négligeable de la production romanesque française de l’année. Il va falloir compter avec cela. Il va falloir que les écrivains incarnent une certaine forme d’écriture, qu’ils ne fassent pas du jus de chaussette. Il y a une avancée claire de la technique. Et donc, tout naturellement, on arrive à un texte qui est loin d’être indécent. Oubliable, mais pas mal. A nous, peut-être d’écrire des textes qui ne seront pas oubliables ».
Encore plus étonnant : l’Obs a demandé à ChatGPT de déterminer lequel des deux textes (IA et Le Tellier) a été généré par l’IA, Chat GPT croit déceler l’intervention de la machine dans le texte de Le Tellier : « après avoir comparé le Miroir du Défunt (texte de l’IA) et la nouvelle de Le Tellier, il est clair que le premier présente une qualité littéraire supérieure…etc ».
Les lecteurs intéressés pourront trouver des précisions et les textes complets de l’IA et de ChatGPT sur le site Bibliobs.com
Les avis de nos lecteurs présents sont partagés entre une réelle préoccupation des possibilités de l’IA dans le domaine littéraire et une prudence par rapport à cet avis de Le Tellier, qui est le premier du genre : l’avenir nous dira ce que pourrait devenir le métier d’écrivain… qui reste en tous cas essentiel pour notre café littéraire !
Merci Louis. Tu nous es précieux. Merci à tous les lecteurs et lectrices si riches de livres passionnants.
Merci à Sylvie pour le thé parfumé et les gâteaux apportés. Nous pouvons parler longuement des apports de ce Café littéraire.
Le prochain café littéraire se tiendra le lundi 7 Avril 2025 ; puis le 28 Avril pour cause de lundi de Pâques férié. Et Vive Passerelles. (Site : Passerellesasso33.fr)