(Photos à la fin du compte-rendu de Nicole)
C’est une réunion exceptionnelle que nous allons vivre : d’une part, nous sommes près des fêtes de Noël : notre animatrice Sylvie a prévu de nous y préparer par des cadeaux ; d’autre part, notre groupe se rassemble autour de Louis qui est revenu courageusement, de Marielle qui nous rejoint après 6 mois de soins et des opérations difficiles. Ils sont fêtés par tout notre groupe de lecteurs : Maryse, Marcel, Jean, Annick, Monique, Béatrice, Anne, Evelyne, Nicole, Jacqueline, Isabelle, Aurore, Marie-Odile, Marie. C’est un grand succès que nous avons salué par un « Hourra ! » Peu à peu le silence se fait. Ida et Nadine nous manquent, ainsi que Nicole C. Joyeuses fêtes de fin d’année à tous…
Sylvie, notre créatrice d’atmosphères tendres et poétiques, prend la parole : « J’ai trouvé dans ma bibliothèque, un livre qui me rappelle mes jeunes années, celles de mes enfants, écrit comme un poème par un écrivain de notre Provence, là où se mêlent les odeurs de menthe et de serpolet, les sonnailles des animaux familiers, les arbres dont on recherche l’ombre fraîche, les bergeries où se réfugient brebis et bergers. C’est Alphonse Daudet (1840-1897), particulièrement dans les « Lettres de mon Moulin » qui ont enchanté nos cœurs d’enfants. Ici, dans le conte « Les étoiles », Sylvie lit avec une grande délicatesse les émotions du jeune berger devant une jeune beauté venue se promener dans la nature. Mais la Sorgue, le petit ru est grossi par l’averse, il empêche la jeune fille de rentrer sagement dans sa grande maison. Elle est accueillie par le jeune berger qui ne sait que faire ; elle a froid, ses vêtements sont humides. Un feu est vite installé pour la réchauffer, chacun est timide, il cherche à être utile, elle se sent en confiance lorsqu’il lève la tête et admire les étoiles visibles à nouveau. Elle l’écoute, elle suit son cheminement, le récit présentant les étoiles, ses amies, il les connaît bien : la Grande ourse, et le petit Chariot… et pour finir la Maguelonne, ou Etoile du Berger. Après ce temps, reposée, rassurée, la jeune fille reprend son chemin, la Sorgue a repris sa petite taille. Tout va bien. »
L’un de nous demande, « Qu’est-ce qui t’a amenée à choisir ce conte ?» Doucement Sylvie nous parle des étoiles, et de la délicatesse du récit. Elle s’amuse en prenant « l’assent » du midi. Chacun trouve son écrivain provençal, Pagnol, Giono, Mistral, Bosco (L’âne Culotte, l’enfant et la rivière.) Merci à Sylvie pour ce premier cadeau.
Marcel donne la parole à Aurore, qui présente un livre de Irving Yalom, « Le problème Spinoza ». L’écrivain est américain né en 1931, à Washington, dans une famille juive d’origine russe. Il est un romancier brillant, prolifique et professeur émérite de Psychiatrie à Stanford. Les thèmes qui le préoccupent, touchent le judaïsme, les religions mises à l’index, l’histoire des peuples victimes d’intolérance, et le rôle des philosophes à la fois promoteurs d’idées neuves, souvent victimes de leurs audaces. « Nietzsche a pleuré »1991 ; « Mensonges sur le divan »1996 ; La méthode Schopenhauer 2005 ; Thérapie existentielle 2008 »
Par touches juxtaposées, Yalom relie des personnages et des mouvements d’idées à travers des époques sensibles, dans une Europe aux prises avec la Réforme. Aurore montre les deux personnages qui nous intéressent : C’est Spinoza (1532-1677) qui est impliqué dans son opposition à l’antisémitisme et ses disciples dangereux, Alfred Rosenberg inféodé à Adolph Hitler, trois siècles plus tard. En 1941, A. Rosenberg est chargé de collecter les œuvres d’art dans les pays occupés par les troupes nazies.
La forme littéraire est très libre, récits, dialogues, analyses se succèdent et dynamisent la lecture sur des sujets quotidiens de la vie, accompagnés de réflexions érudites. Le problème posé est « Comment ce philosophe juif marrane séfarade, qui a cherché la liberté de penser toute sa vie, devient-il un homme excommunié vers 1656 par la communauté juive d’Amsterdam et banni de sa propre famille ? » En fait, Baruch Spinoza va renier les croyances familiales, par goût de liberté et critique des religions ; l’expérience des guerres engendrées par la réforme, Martin Luther et Jean Huss, les troubles sociaux, la guerre des paysans, les épidémies le font réagir et penser que ce sont des superstitions dangereuses. D’un autre côté en 1941-42, pourquoi, Rosenberg ou les nazis font-ils disparaître la bibliothèque de Spinoza ? Rosenberg est fasciné par Goethe qui pensait que Spinoza, auteur de l’Ethique était un génie universel : polisseur de verres, il avait un métier important pour la découverte des étoiles et planètes, l’astronomie. Spinoza parlait plusieurs langues vivantes, et le grec (rudiments), le latin maitrisé, l’hébreu par sa famille. Il connaissait la philosophie par Descartes, Bacon ; Platon et Aristote qu’il trouve moins importants à ses yeux. Il est intéressé par la physique, la politique ; c’est un homme universel comme on le pensait de Pic de la Mirandole au 17ème S. (voir Wikisource, la bibliothèque de Spinoza.) Un livre passionnant pour les lecteurs qui se questionnent.
Notre groupe réagit très vite à la question que repose Aurore, » peut-on apprécier les œuvres d’un homme qui vit dans la violence ou la détestation ? » Marcel parle de F. Céline, Henri Barbusse… Toujours est-il que la bibliothèque de Spinoza a disparu en 1942, enlevée, mise de côté, ou brûlée dans un autodafé. Le livre de Irvin Yalom est centré sur le personnage de Rosenberg et l’ascension de A. Hitler, la montée du racisme, de l’intolérance. Louis intervient en reprenant la vision de Stéphan Zweig qu’il connaît bien. On évoque le dernier livre de Frédéric Lenoir : « Le rêve de Marc-Aurèle » (Flammarion.)
La naïveté est mise en cause, est-ce de l’aveuglement ? je pense à José Saramago. Peut-on distinguer l’homme de ses actes ? L’une d’entre nous pense à Depardieu. Marcel ou Jean lance : Il faut distinguer la naïveté de l’émerveillement.
C’est un livre passionnant. Aurore nous a passionnés.
Isabelle souhaite présenter un joli livre à offrir pour Noël à des jeunes : de Valérie Zenatti, traductrice et journaliste née en France, d’origine algérienne « Une bouteille à la mer de Gaza. » 2005. (Ne pas confondre avec Alice Zeniter). Elle nous offre un roman épistolaire qui met en scène deux adolescents : Tal une jeune Israélienne d’une famille de militants pour le Paix et Naïm un jeune Palestinien qui va récupérer la bouteille et répondre par téléphone ou SMS. Tal se surnomme Babouk dans la correspondance et Naïm devient Gazaman.
Babouk exprime son rêve de paix, ses pensées un peu naïves de jeune fille protégée dans une famille structurée, tandis que le jeune homme la recadre avec une certaine rigueur dont on comprend la raison, surtout en ces temps présents. Elle prend conscience que son correspondant parle Hébreu, qu’il est cultivé, qu’il argumente ses positions. Puis dans les jours qui suivent leur rencontre par lettres et mails, elle est témoin d’un attentat sur un bus. Finis les rêves de paix, de conciliation ; mais il y a tant de choses à apprendre dans cette relation. Un film en 2011, adapté du roman par l’un des auteurs Thierry Benisti, a reçu un prix des lycéens organisé par l’Education nationale.
Merci à Isabelle. C’est un livre sympathique, complètement hors du temps actuellement, semble-t-il ?
Louis nous présente « Les yeux de Mona (2024), Albin Michel ».
L’auteur : Thomas Schlesser. Il nait à Paris en 1977. C’est un historien de l’art, écrivain et également, depuis 2014, professeur à l’École polytechnique. Il a auparavant été journaliste pour Beaux-Arts magazine. Son deuxième roman, Les Yeux de Mona (2024), connaît un retentissement international. Durant sa formation, il a soutenu en 2006 un doctorat en histoire et civilisations à l’École des hautes études en sciences sociales sur l’artiste Gustave Courbet.
Les yeux de Mona. Le roman se déroule à Paris, dans une famille dont une petite fille Mona, neuf ans est l’enfant unique de Camille et Paul, parents très aimants, le second personnage très important étant le grand-père de Mona, Henry. Le roman commence par un évènement terrible pour Mona : alors qu’elle est en train de faire ses devoirs, elle se retrouve soudain plongée dans le noir total. « Maman, c’est tout noir ». Durant plus d’une heure, soit une éternité, elle va connaître l’angoisse de la cécité, un épisode traumatisant.
Mona recouvre la vue un peu plus tard. Les médecins consultés n’arrivent pas à identifier son problème ; une surveillance médicale est mise en place. La grande question pour les parents de Mona et pour son grand-père Henry : risque-t-elle de perdre la vue ? En tout état de cause, le médecin préconise des séances chez un pédopsychiatre et la mère de Mona demande à Henry de se charger d’emmener Mona à ces séances. Le grand-père accepte mais n’en saisit pas trop l’intérêt : une idée germe alors dans son esprit. A la place des séances chez le pédopsychiatre, il l’emmènera dans les musées parisiens pour qu’elle s’imprègne de leurs chefs-d’œuvre, depuis Botticelli jusqu’à Soulages, et qu’elle en garde la beauté en mémoire.
Chaque mercredi après l’école, le grand-père, homme particulièrement érudit, l’emmène donc découvrir une œuvre d’art, avant qu’elle ne perde, peut-être pour toujours, l’usage de ses yeux. Ils vont sillonner le Louvre, Orsay et Beaubourg et s’émerveiller, s’émouvoir, s’interroger, devant le spectacle d’un tableau…Chaque œuvre est une « initiation à la vie par l’art » et prétexte à une leçon dont Mona s’inspire ensuite au fil des trames de scénario. Lecture p. 24
Le roman déroule d’un côté l’évolution médicale et psychologique de Mona, de l’autre les visites aux musées. L’histoire de Mona n’est naturellement qu’un prétexte pour que l’auteur nous fasse découvrir l’art et ce qu’il peut nous apporter dans la vie. C’est un passionnant cours d’histoire de l’art, ou tout au moins d’initiation, et chaque visite au musée se conclut par une « leçon de vie ». Mais c’est aussi une histoire pleine d’émotion entre ce grand-père et sa petite fille, un roman de transmission, d’apprentissage et d’amour bien sûr. Qu’arrivera-t-il en fin de compte à Mona ? je laisse bien sûr aux lecteurs le soin de le découvrir.
Ce roman est passionnant à mes yeux, dit Louis, pour trois raisons. La première est une découverte de la peinture d’une manière très originale par les dialogues entre Henry et Mona face aux tableaux, dans lesquels la personnalité et la psychologie des peintres ont une place essentielle. La seconde réside dans la psychologie des personnages qui sont rendus très attachants, en particulier Mona et son grand- père. La dernière enfin est l’écriture d’une grande qualité. Tout ceci explique le succès de ce roman même si quelques faiblesses existent (par exemple le plaidoyer final pour l’euthanasie). J’en recommande vivement la lecture !
Merci à Louis de nous proposer cette découverte. Marcel est heureux de nous parler des livres d’art qu’il connaît bien ; « lire » un tableau est un apprentissage important qui passe par un ensemble de règles, la sémiotique, l’architecture, les formes, les diagonales qui donnent le mouvement, l’espace. Puis il y a les couleurs, les résonnances, les oppositions qui produisent des émotions chez l’observateur. Puis on recherche la signification, l’interprétation., les liens avec un environnement artistique. C’est décrypter les messages du créateur. Parmi les échanges, Louis parle du thérapeute, il a recherché la source de cette cécité passagère dont souffre Mona.
Les œuvres analysées pendant les 52 après-midi sont proposées dans la couverture ce qui permet de lire le roman tout en suivant les analyses des différentes œuvres. C’est un monde qui s’ouvre pour Mona et pour chaque lecteur.
Et Marcel reprend la parole pour une dernière présentation. Il a choisi un livre délaissé de sa bibliothèque. Un petit livre de poche jauni de John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de littérature. « Au cœur de ce pays » Marcel ne s’attarde pas trop sur la biographie, nous connaissons déjà cet écrivain de langue anglaise qui a enseigné en Afrique du Sud à l’université du Cap, il a vécu les modifications sociales et politiques de ces régions : oppositions entre les Africains d’origine et les européens immigrés, Anglais, Hollandais dits « Afrikaners parlant une langue ancienne néerlandaise ». Et l’apartheid fut terrible entre 1948 et 1991.
Le livre m’a immédiatement fait penser à Faulkner avec son récit de viol dans « Le bruit et la fureur 1929 » et surtout dans « Sanctuaire 1931» romans noirs . Ici, l’histoire est sombre, elle exprime le rapport trouble entre cette population blanche tellement raciste et la population noire soumise de force, écrasée par le poids d’une incroyable injustice venue du tréfonds de l’esclavagisme le plus sombre ; tout est oppression, haine et violence.
L’écriture descriptive est froide ; on passe du rêve à la réalité, et les limites sont difficiles à repérer, mais toujours passionnantes. Les lieux du drame sont très bien décrits : une ferme totalement isolée dans un désert inhospitalier et plat, à l’horizon incertain. La description méticuleuse des passions sordides des êtres humains, dans les rapporte familiaux où le sexe se dévoile dans toute son horreur. Surtout les sentiments les plus troubles qui se mélangent intimement avec le racisme imbécile et cruel.
Un livre qui secoue. Il ouvre la voie à tout ce qu’il se passe actuellement dans le monde, résultat pour le moins incertain des valeurs et des actes de la nature humaine.
Nicole rappelle que nous avons présenté un livre du même auteur au début 2024 : « En attendant les Barbares ». Il paraissait moins noir, avec un personnage de Juge qui devient victime d’un officier de l’armée officielle afrikaner. Deux pouvoirs en opposition.
Merci à tous ceux qui m’ont confié leurs notes, cela m’aide énormément.
Heureusement le thé est rapidement mis en place avec un merveilleux cake, deuxième cadeau de Sylvie. Des chocolats choisis par Louis, des biscuits de Marie Odile et un cake en forme de fruit composé par Aurore. Et un chocolat chaud pour les gourmands, apporté par Marie. Moment exceptionnel pour notre groupe qui aime se retrouver et palpiter d’émotion à la lecture des romans choisis.
Nous nous retrouverons en 2025 le 6 janvier, dans la même salle à l’Ermitage. Pour le 20 janvier, nos animateurs souhaitaient une séance Poésie, vous apportez un poème ou un recueil de poèmes qui vous sont intimes. Puis notre ami écrivain Joël Mansa présentera son dernier ouvrage.
Joyeuses fêtes, bonnes lectures, et tous nos vœux de Joie, de Santé, de Créativité pour la nouvelle Année. Nicole.