Notre groupe se constitue peu à peu autour de nos animateurs, Sylvie, Louis et Marcel ; Nicole les accompagne ainsi que Noëlle, Evelyne, Isabelle, Ida, Béatrice, Monique, Marie, Maryse Bernard accueillie par Louis est nouvelle dans le groupe ; nous la saluons chaleureusement, Aurore, Jacqueline sont auprès de moi. Nous regrettons Jean et Marielle qui viendra vers le mois de Janvier ; nous avons des nouvelles de Marie Josée, Nadine nous manque aussi.
Presque tous les lecteurs sont allés voir, au Ciné-Passerelles animé par Isabelle, « Les graines du figuier sauvage »de Mohamed Rasoulof. Louis demande que l’on puisse en parler dans le cadre littéraire et que des pauses poétiques s’intercalent entre les présentations de livres.
Isabelle nous apporte un cadeau, le livre de Paule du Bouchet : « L’emportée » édité en 2011 chez Actes Sud, c’est une biographie et autobiographie, rééditée récemment. Le récit est suivi d’une correspondance entre Tina Jolas et Carmen Meyer. Paule du Bouchet fait un tableau bouleversant de cette mère obscure et incandescente, Tina, qui partagea pendant trente ans la vie de René Char. Elle lui sacrifia ce qu’elle avait de plus cher et n’en fut pas remerciée. » dit le critique Jérôme Garcin. Isabelle nous présente passionnément le Poète René Char : il est né en 1907, à Isle sur la Sorgue, il adhère à 22 ans au mouvement surréaliste, en compagnie de André Breton et Paul Eluard, il signe un recueil commun, puis reprend son indépendance en 1934. Devenu solitaire (poétiquement), il est passionnément aimé par Tina Jolas.
Celle-ci quitte son mari, le poète André du Bouchet, poète lui-même mais peut-être moins passionnant, moins solaire que René Char. Paule a six ans quand sa mère rencontre le poète et devient « emportée » dans un autre univers, loin de sa petite fille. Quelque cinquante ans plus tard, Paule nous livre sa vérité et pleure la mort de sa mère. Elle note ses sentiments divers et violents contre l’Homme célèbre et égoïste. Elle note les faiblesses et la grandeur du héros de la résistance, mais elle dresse surtout un portrait magnifique de cette mère, femme insaisissable et lumineuse qui a mis ses dons, sa vie au service de ce « Don Juan » plus ou moins sensible. Isabelle note que ce livre nous éclaire sur le contexte de cette époque, le milieu intellectuel, cette révolution dans les Lettres et l’Art et même dans les Sciences de façon plus discrète. Elle termine en insistant sur la relation Mère -Fille, Lumière et douleur de l’absence. Sa robe rouge incandescente, témoin de la passion. Merci Isabelle de cette belle démonstration pour nous de ta passion pour le sort des femmes incomprises et pourtant remarquables.

En fait, Isabelle accepte de nous parler avec tout le groupe du film qu’elle avait sélectionné pour Ciné-Passerelles. Le groupe rappelle que les salles de spectacle étaient pleines de cinéphiles informés et attentifs pour un film long, 3 heures, douloureux, quelques scènes impossibles à supporter pour public émotionnellement normal. Le film est en apparence un documentaire sur une famille iranienne partagée entre une survie dans la neutralité aveugle et veule à la fin, en face des responsables d’une théocratie en furie. Ceux-ci punissent de mort toute tentative de liberté personnelle émanant des femmes de leur pays et sur la jeunesse qui tente de soutenir celles-ci. Pourquoi ce film primé au Festival de Cannes l’année dernière, n’a-t-il pas eu la Palme d’or pour le courage de son auteur qui l’a produit dans des conditions effroyables de survie et d’angoisse pour son œuvre, et techniquement très précaires. On y voit une partie non négligeable de la population iranienne se révolter contre la dictature, les exactions, la torture. La fin se présente comme une apothéose signifiant la fin du Patriarcat.
On recherche les débuts, dans le grand public, de cette crise en Iran, avec Persépolis de Marjane Satrapi, film en 2007 et bande dessinée. On parle des autres pays en crise où les femmes sont des victimes, Afghanistan, Corée du Nord. Dans un regard plus distancé, Noëlle évoque les rôles ambivalents des USA qui souhaitent avant tout le calme, avec des financements. Le groupe a ressenti une forte tension émotionnelle.
Peut-être une présentation plus légère de nos problèmes politiques en environnementaux serait bienvenue. Louis donne la parole à Nicole.
Nicole nous présente un roman de fiction récent de l’écrivain bien connu Bernard Werber : « Le temps des chimères. », publié en 2023, chez Albin Michel. Depuis le succès très important de la trilogie : « Les fourmis » 1991-92-96, son succès n’est pas vraiment retombé. Presque chaque année, il publie une œuvre fondée sur des faits scientifiques où il mêle l’humour ou la critique de notre société, ses croyances, ses dérives, ses nouveautés. Il est né à Toulouse en 1961. Dès sa jeunesse il excelle en écriture, en revanche il est peu attiré par le sport ou le piano. Après douze ans de travail sur les « Fourmis », son premier roman, il est enfin accepté par une maison d’édition. Il a un certain succès chez les lectrices de <ELLE>. Il les rejoint par son intérêt pour le thème de la vie, sa fragilité ; pour ce qui se passe après la mort ; l’avenir de l’Humanité, ses futurs possibles. Chaque livre aborde un questionnement philosophique, il en a écrit plus de trente. Peu à peu, il trouve son public, il est traduit dans une trentaine de pays, par millions d’exemplaires, surtout en Russie et en Corée du Sud.

Le thème du livre est actuel : « Que deviendrait le monde si l’être humain changeait de forme ? » Nous sommes dans une aventure scientifique, philosophique, et humoristique. La troisième guerre mondiale dont il décrit la catastrophe dans « les Chats, 2019 », est passée : la société humaine est devenue exsangue. Il reste quelques lieux habités par des Sapiens, mais ils sont dans des musées ou « Zoos humains ». Une généticienne française pense à créer des Hybrides, puisqu’ils sont à l’origine de nouveaux êtres, nouveaux regards sur le vivant, nouveaux groupes sociaux et animaux. Elle part du thème de la fonctionnalité, ils devront vivre dans l’espace, dans l’eau ou la terre, pour survivre en nombre suffisant aux dangers des guerres.
Il qualifie son style de « philosophe-fiction ». Certes, mais il est vivant, il tient du théâtre et du film d’action. Il utilise souvent la même structure : il mêle des articles informatifs de fond aux divers moments de fiction romanesque. Il crée un besoin de lecture et de formation, chez ses admirateurs, en mêlant des personnages essentiels d’un livre à l’autre ; en faisant un recours fréquent à « l’Encyclopédie du savoir relatif et absolu, 2008 », un de ses premiers ouvrages. Certes il n’a pas la puissance créatrice de l’auteur de « Les Robots » ou de « Fondation », Isaac Asimov, traduit à la perfection de l’Américain en Français. Mais B. Werber sait accrocher ses lecteurs avec humour, un scénario efficace, un bon style ferme et rationnel.
Je vous laisse vous réjouir avec ce roman qui tente de décrire des branches nouvelles de l’Anthropocène, jusqu’à présent < royaume des Sapiens>. Un livre bien écrit, plein de rebondissements. Bonnes lectures.
Enfin notre moment de Poésie avec Sylvie qui nous rappelle son amitié initiée avec l’éditrice du VER à SOIE : Virginie Symaniec ; celle-ci accueille des femmes créatrices qui ont connu la misère ou de grandes difficultés :
- Esther Granek (1927- 2016) « De la pensée aux mots ». Deux poèmes de Esther Granek : Cette femme a vécu la guerre, comme Anne Franck, avec son mari grâce à la protection de sa tante ; elle était juive, née à Bruxelles. En 1940, se trouve à Bagnères de Luchon, puis retourne à Bruxelles appelée par sa Tante qui les cache et sont presque oubliés du monde.
Lecture de Evasion, extrait du recueil « De la pensée aux mots »
« Et je serai face à la mer
Qui viendra baigner les galets
Caresses d’eau, de vent, et d’air.
Et de lumière. D’immensité… »
et lecture de « Saisir l’instant » extrait de « Je cours après mon ombre »
Saisir l’instant tel une fleur
Qu’on insère entre deux feuillets
Et rien n’existe avant après
Dans la suite infinie des heures.
Saisir l’instant
Saisir l’instant…
Merci à Sylvie pour ces merveilles.
*Ristic qui lui a donné son roman à publier : « Une île en hiver » 2016 ?
Puis c’est la présentation de Sonia Ristic, née à Belgrade le 3 Août 1972 en ex- Yougoslavie, elle part au Congo (ex Zaïre), puis en Guinée. Elle effectue sa formation dans des lycées Français et donc elle écrit en Français. Tout naturellement elle vient s’installer en France en 1991 où elle poursuit des études de Lettres et de Théâtre. Elle devient comédienne et metteuse en scène, puis elle crée sa propre compagnie de Théâtre : « Seulement pour les fous ». Elle est très impliquée dans les écoles et dans les ONG. Elle traite des guerres et des droits humains. Elle encadre régulièrement des ateliers d’écriture et de jeu en France et à l’étranger. En 2011 elle est accueillie à Beyrouth où elle anime des rencontres dans le cadre des résidences croisées France/ Liban.
Ces dernières années, elle se consacre à l’écriture et à la mise en scène de ses pièces, elle a été primée plusieurs fois pour ses œuvres.
« Une île en hiver« . Imaginons un monde et des habitants qui vivent dans un monde incertain, l’horloge du village s’est arrêtée depuis longtemps et même il y a très longtemps. Imaginons une petite boite en nacre, pas plus grosse qu’un dé à coudre où sont rangées des histoires.
Voilà ce que va découvrir Abel, un jeune homme privé de mémoire et sans famille, qui hérite d’une maison sur une île qui n’existe pas sur une carte et que Dieu et le temps ont déserté depuis très longtemps ? Arpentant les sentiers de rocaille, il écoute et s’imprègne des histoires de l’île, de ses habitants, personnages atypiques, attachants et singuliers ; Petit à petit, il va se laisser apprivoiser par cet espace hors du temps comme si c’était le seul moyen pour lui de retrouver la mémoire et peut-être de se trouver ?
Dans ce roman original et envoûtant, la poésie se mêle au conte, les litanies aux rituels ; les fils des histoires s’entremêlent et déroulent la pelote de la vie, des vies. C’est encore une fois un fil à tirer grâce au Ver à Soie. Et Sylvie termine en disant, « Laissons-nous embarquer sur le Marco Polo ». Nous y étions il y a peu.

C’est enfin Marcel qui souhaite parler d’un très beau texte de Virginia Tangvald : « Les enfants du Large ». Elle est née en mer en 1986, sur le bateau de son Père, Per.

Cette jeune femme a longtemps été passionnée par la musique, puis est devenue réalisatrice. « Les enfants du large » est son premier roman. Elle est à la recherche de ses origines et retrace la vie de son père et de son frère pour mieux comprendre la sienne. Ces deux hommes ont parcouru les mers et ils semblent deux figures illustres mais funestes. Plusieurs femmes semblent avoir disparu après un voyage à leur bord : Per Tangvald, le père a fait le choix de cette vie, après avoir fait l’expérience d’une société capitaliste et consumériste où il ne se retrouvait pas. Thomas, le fils, n’a pratiquement pas connu d’autre vie, et cette liberté absolue l’a rendu incapable de vivre dans une société dont il ne connaît pas les codes. Tous deux semblent avoir perdu le sens du réel, passionnés par la découverte presque mystique des terres inconnues, avant qu’elles ne soient corrompues par un groupe humain différent. Ils semblaient même prêts à se sacrifier eux- mêmes ou d’autres personnes qui ne se pliaient pas à cette idéologie. Virginia a donc grandi au milieu de ces histoires un peu brumeuses, où les deux hommes sont attirants et secrets. Comment est-elle rattachée à ce père tout-puissant. A partir des écrits et des récits de voyages qu’elle a trouvés dans sa famille et dans l’entourage, en retournant sur les lieux des drames familiaux, naufrages, disparitions, elle parvient à se faire une image plus claire, à briser les mythes ou les secrets. Ce roman est un voyage initiatique pour Virginia, peu à peu pour elle ces deux êtres deviennent « les marins les plus tristes du monde ». Peu à peu, elle fait comme sa mère qui s’est affranchie de ce poids familial, et des relations toxiques.
Après ces livres passionnants et éclairants, le réconfort thé et petits gâteaux que nous proposent Sylvie et le groupe, est bien nécessaire et je dirais presque comme André Gide : « Familles, je vous hais » dans les Nourritures terrestres. Et pourtant, ce noyau de l’organisation sociale est très nécessaire.
Une philosophe jeune, Sophie Galabru, a écrit très récemment un livre sur ce thème « Faire famille ». Il semblerait utile, apparemment, de « faire », donc un projet rationnel dans lequel rentrent des émotions, bien sûr, mais dont l’objectif est de « rendre » heureux, équilibrés, évolutifs les êtres qui la composent, alors que souvent « chacun se débrouille… » ou pire, dans le patriarcat ou le matriarcat. A réfléchir. On pourrait chercher des documents sur les exagérations du matriarcat : Hervé Bazin : « Vipère au poing », ou « Génitrix » de André Mauriac.
Nous voilà sur des idées de plus en plus enchevêtrées !
A bientôt, chères lectrices et chers lecteurs nous serons au Café littéraire le 21 octobre 2024, à l’Ermitage pour ceux qui ne sont pas en vacances.