Café littéraire du 21/11/2022 📜📚

Nous nous retrouvons à l’Ermitage, pour un Café animé par notre trio ami Evelyne, Louis et Nicole.
Nous ont rejoints, Noëlle, Nadine, Sylvie, Annick, Marcel, Marielle, Jean et Marie José
Nous entendrons :  Sylvie, Louis, Evelyne, peut-être un poème dit par Marie José si le temps le permet.

Nous avons prévu de recevoir dans notre café du 16 janvier 2023, le poète et homme de lettres M. Joël Mansa.

Une autre demande de notre groupe serait de modifier la date du premier café littéraire de 2023, ce sera le 9 janvier, à la place du 2 janvier, la salle de l’Ermitage ne sera probablement pas modifiable, nous nous organiserons. Enfin Marcel fait rééditer son roman « Nuits sauvages », nous aurons l’occasion de saluer sa parution à la librairie du Bouscat : La petite Mezzanine.

Sylvie souhaite nous parler d’une écrivaine qui la touche particulièrement : Jeanne Beunameur. Elle est née en Algérie en 1952. Sa famille vient vivre à la Rochelle pendant la guerre, son père est algéro-tunisien et sa maman, italienne. Elle a 5 ans et écrit déjà en mélangeant les langages arabes et français. Elle poursuit ses études en Histoire de l’art et en Musique, au Conservatoire. Elle réintroduit les sonorités et les rythmes dans son écriture ; elle s’exerce très tôt à des contes et des pièces de théâtre, et suit les cours d’art dramatique, études de lettres et de philosophie. Professeur de Lettres elle quitte cette activité en 2000 pour se consacrer à l’écriture. Elle reçoit le prix de l’Unicef en 2001 pour les « Demeurées ». Elle anime des ateliers d’écriture en prison, et auprès des enfants qui la passionnent. Pendant quelque temps elle devient directrice des publications chez Actes sud.

Elle est convaincue de l’importance de la lecture pour accéder à l’écriture : « L’atelier ne fera pas des écrivains mais au moins des lecteurs. Et Sylvie ajoute : « Quand on travaille ses propres mots, on a moins peur des mots des autres. »

Parmi les romans qui lui plaisent, Sylvie nous présente : « La patience des traces », elle nous présente une sorte de méthode pour cette lecture
1 – s’intéresser au KINTSUGI du japonais KIN signifiant OR et TSUGI signifiant JOINTURE. 
2 – Chercher ce que signifie le titre « les traces » : dans quelle mesure la vie nous a laissé des traces ?  Qu’en avons -nous fait ? Cela consiste à réparer les objets en les recollant et en réhaussant la blessure par un filet d’or qui sublime l’objet.

Ce livre nous propose une sorte d’archéologie intérieure : A un moment de notre vie, nous devenons capables de nous ouvrir à l’introspection, à l’analyse, avec humilité, avec courage ; faire une lecture émotionnelle de notre vie, sans la critiquer. Nous nous sommes noyés dans les mots, ou dans le déni, ou dans l’oubli volontaire, en suivant des méandres de protection. La mémoire n’est pas la vérité, puisqu’elle reconstruit continuellement les matières qu’elle réutilise. Jeanne Benameur se passionne dans ce que produisent le soin et le dépassement d’une blessure.

Elle le montre avec la vie de son héros, Simon est psychanalyste ; un matin, il prend son petit déjeuner dans le bol bleu qu’il aime, et soudain le bol lui échappe et se brise… Justement sa vie a changé brutalement avec sa mise à la retraite de son activité. Il décide de faire un long voyage vers le Japon, dans une île isolée ; ce voyage va se révéler mystérieux, initiatique et intime.

Sylvie nous laisse découvrir le livre qui révèle plusieurs secrets, des rencontres avec trois amies de la Nature, et un conte étrange sur une Raie Manta. Pour l’écrivaine, le bonheur est peut-être de vivre là où habiter compte peu, et contempler compte beaucoup. C’est le message que nous confie Sylvie.

Merci pour ce beau témoignage, des échanges nombreux enrichissent ce moment de réflexion : l’humilité de Simon, le psychanalyste qui est différent de l’image que nous en avons, le symbole de la « faille » ou fêlure, et Jean ajoute les expressions, « rompre la cuirasse, ou briser la carapace…»; Noëlle ajoute que l’objet devient symbole et sincérité. Enfin la patience, le temps ajoutent à la profondeur des réflexions.

Evelyne enchaîne sur le Thème suivant : « Le cerveau est-il modifié par la littérature et la lecture. »

Un article de la presse scientifique a retenu son attention. Elle part du fait que les livres les plus lus sont la Bible, et le Coran, peut-être aussi « Le petit prince » de Saint Exupéry ; « Chaque lecture, dit Jules Renard, donne une petite graine ».

Une expérience scientifique expliquée dans un journal américain : « Collectivity » vient appuyer cette hypothèse : un panel de 20 personnes volontaires sont testées * chaque matin pendant 5 jours, un IREM sur chacun, puis lecture d’un livre, puis un temps de repos puis Imagerie Fonctionnelle de leur cerveau pour observer pendant 9 jours les modifications qui se produisent.  Les chercheurs remarquent que les connexions augmentent dans la zone de langage préfrontale, puis stagnation ou rémanence de l’évolution pendant la période de repos. On constate donc une augmentation des connexions (commandes motrices et sensorielles) entre les neurones qui ont été impliqués dans les zones de langage.

Il apparaît que le cerveau ne fait pas de différence entre les ressentis sensoriels et moteurs, les réactions émotionnelles liées à une lecture, et la réalité d’un vécu dans une situation personnelle. De sorte que l’on peut affirmer que la lecture est une expérience aussi puissante que le vécu d’une situation, de même pour le visionnement d’un film qui vous emmène dans une autre réalité. D’où les apprentissages par l’image ou les rêves. (Et pourquoi pas par l’image en 3D du Métavers ! dixit Nicole). Mais on peut se perdre dans l’imaginaire, c’est une difficulté et peut-être cela peut devenir une addiction.

Evelyne nous décline tous les avantages de la lecture : * gagner du temps sur l’expérience vécue (pas toujours possible, apprentissage du pilote d’avion…) ; *formation avec l’usage des contes, des fables ;* bonheur de lire, de voyager par la pensée, de vivre davantage… ;*Ces activités mentales protègent de l’Alzheimer ; * discipline du cerveau, organisation, sens du réel ou de l’imaginaire, raisonnement… ;* anticipe la méditation.

Pourtant, certains limitent l’influence de la lecture, les personnes centrées sur l’action, le sport, les activités manuelles, ou même l’hyperactivité sociale, ou encore l’oubli de soi et sa propre richesse.

Le débat est important pour saluer l’intérêt du thème. Chacun faisant part de sa propre expérience, ou de la difficulté d’arracher ses enfants aux divers jeux sur consoles ; ces jeux favorisent la rapidité de penser, de réagir, la performance ; mais pas la qualité du jugement, la capacité de raisonner, la capacité d’écoute ou de compréhension sur plusieurs niveaux, …

Nicole se permet de rappeler les travaux de l’américain Paul D. MacLean 1913-2007 sur les niveaux de cerveau pour comprendre les fonctions du « cerveau triunique ». Henri Laborit a repris ces travaux, dans le film de 1980 « Mon oncle d’Amérique »

  • Un cerveau reptilien, commun à tout le règne animal : réflexe de survie et consommation alimentaire, sexualité, relations sociales de base, etc…
  • un deuxième cerveau, le limbique commun à tous les mammifères, celui de la mémoire qui guide notre comportement de récompense : fuite des situations douloureuses et recherche du plaisir. Si toutes les fuites sont impossibles, l’inhibition de l’action provoque le stress et déclenche des maladies. (Gérard Depardieu, Nicole Garcia, Pierre Arditi, Marie Dubois…et un nombre important  d’acteurs qui feront leurs débuts de carrière.)
  • Un troisième niveau de cerveau le néocortex, plus développé chez les humains, permet d’associer des idées provenant d’expériences passées ou plus ou moins abstraites. Justification, causalité, effort d’explication des réactions des deux autres niveaux. Cela permet d’expliquer des actes inadmissibles ou destructeurs, ou incohérents.

Pour Laborit, Comprendre ces interactions permet de les éviter par humanisme, par morale, par peur, par logique… Cela permettrait de favoriser, dans nos comportements, l’intégration des valeurs qui peuvent nous conduire socialement et humainement… De plus, Laborit insiste pour dire que le cerveau est le centre de l’action ; la pensée est au service de l’action. Il est donc nécessaire de se former aux disciplines qui entourent ces connaissances, pour être conscient de nos responsabilités.

 Le film de H. Laborit est à retrouver sur You tube, ou en vidéo à la demande, Canal en replay, streaming direct

    Homo Numéricus de Daniel COHEN, septembre 2022

Daniel Cohen, né en 1953, est un économiste français reconnu, professeur à l’école normale supérieure de la rue d’Ulm, membre fondateur et vice-président de l’Ecole d’économie de Paris. Également éditorialiste au Monde et chroniqueur à l’Obs. Il a fait de nombreuses publications à succès depuis 1997, essentiellement centrées sur les transformations du capitalisme contemporain.

« Homo Numéricus, la civilisation qui vient » est un essai dans lequel l’auteur tente de décrypter comment est advenue cette société du tout numérique qui modifie profondément nos vies comme on le voit tous les jours. Il en aborde de nombreux aspects, allant de l’intelligence artificielle (IA) aux réseaux sociauxdont l’impact est grandissant depuis une quinzaine d’années. Tout en reconnaissant des points positifs à cette révolution numérique, il constate les dégâts sur nos sociétés causés par l’emprise numérique et surtout par les réseaux sociaux, et il essaie d’imaginer quel pourrait être notre avenir : la civilisation qui vient.

Son essai est traité un peu à la manière de « Homo Sapiens » de Harari. Il convoque ses compétences économiques, mais aussi celles de nombreuses disciplines : numériques bien sûr puisque c’est le sujet de l’essai, mais aussi historiques, sociologiques, sciences cognitives, anthropologiques, et politiques. Mais avec deux difficultés toutefois. *La première est qu’il n’est pas un spécialiste du numérique et le reproche pourrait lui être fait de présenter certaines questions de manière approximative. Cela ne nuit pas à mon avis aux constats essentiels qui sont établis. *La seconde est que n’est pas Harari qui veut, et on a parfois du mal à retrouver le fil conducteur dans des digressions qui semblent parfois éloigner le lecteur du sujet étudié. Malgré cela, cet essai m’a paru passionnant et l’auteur a dégagé des idées très intéressantes qui méritent réflexion. 

Pour ne pas rebuter nos lecteurs, je précise que la lecture est facile et accessible à tous. Il n’exige pas en particulier de compétences économiques de spécialiste, et n’abuse pas de données chiffrées. Cohen expose ses idées avec clarté et c’est bien écrit, même si ce n’est pas de la littérature bien sûr.

Il n’est pas possible de présenter ici le contenu très riche de cet ouvrage, une « quasi bible » aux nombreuses références. Pour ma part, j’ai surtout retenu la description de la genèse de l’emprise numérique depuis les années 1960 et celle de la tournure inattendue des effets des réseaux sociaux avec des conséquences considérables que nous observons tous les jours.L’ouvrage est composé de deux parties : « l’illusion numérique » d’abord, puis « Le retour au réel » ces intitulés montrant bien quel est l’angle d’attaque de Cohen sur ce sujet.

La partie « l’illusion numérique » est à mon avis la partie la plus intéressante. Elle évoque en particulier les idées de Antonio DAMASIO « L’erreur de Descartes » qui soutient que c’est l’émotion (plus que l’intellect) qui confère aux hommes la possibilité d’agir : ils doivent ressentir les choses avant de décider ce qui est bon pour eux. Ne dit-on pas en langage populaire courant « je le sens pas bien ! » si on a un doute sur ce qu’il faut décider ?
L’illusion numérique est selon Cohen de vouloir reproduire par nos algorithmes (programmes informatiques) un fonctionnement quasi humain fondé sur la raison et les émotions. Le monde numérique prétend fabriquer aujourd’hui « l’homme augmenté » et régenter de plus en plus de domaines avec l’intelligence artificielle, y compris ceux de nos émotions et désirs. Cohen fait évidemment référence à l’essai de Michel Desmurget « La fabrique du crétin digital » paru en 2019. Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm.  Son livre est une première synthèse des études scientifiques internationales sur les effets réels des écrans. Selon lui, jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle.  La conclusion est sans appel : les écrans sont des poisons lents  qui provoquent déficit de concentration, hyperactivité, conduites addictives…

D. Cohen donne des informations  sur des sujets complexes assez mal traités ou pas du tout dans les médias, comme les réseaux sociaux, *la sexualité « numérique » (via Tinder pour les rencontres), *le capitalisme de surveillance mis en place sur le web (on note tout), *l’intrusion des GAFA dans l’intimité des usagers (avec un seul objectif : la publicité en ligne), *l’industrialisation des services (aide au diagnostic par exemple en médical), *la voiture autonome, les *robots etc…La révolution numérique reconfigure profondément la vie sociale. Elle a, comme conséquence bien visible aujourd’hui, une « déliaison » sociale avec des dégâts psychologiques et sociaux considérables. Ils ont été amplifiés récemment par l’épisode COVID depuis 2020.

Son analyse la plus intéressante à mon avis concerne la galaxie internet qui portait en elle la promesse d’un renouveau démocratique, mais là encore illusion ! Les réseaux sociaux ont rendu possibles des insurrections contre les dictatures qui n’ont malheureusement pas toujours abouti. Les mouvements planétaires MeToo, Black Lives Matter, Extinction Rébellion permettent de lutter de manière plus efficace qu’avant contre le sort fait à certaines minorités Mais les réseaux sociaux ne produisent pas d’espace délibératif : ils entretiennent les fractures, les clivages, étant dévorés par le spectaculaire, la détestation des rivaux. D’où la progression du manichéisme, des haines, du mépris. Il faut ne reculer devant rien pour attirer l’attention sur soi. Internet était fait pour converser avec autrui, échanger des idées, il aurait pu nourrir le débat démocratique. On est arrivé avec les réseaux sociaux à l’inverse : instauration d’un régime de « fake news », de violence et de haine. Ce raté pour Cohen tient à l’illusion selon laquelle une société peut s’auto-instituer en agrégeant des individus isolés, sans médiation, sans rites de passages, sans corps intermédiaires, pourvu qu’on leur donne les moyens de communiquer. Cela ne marche pas : l’histoire des sociétés est pétrie par la vie des institutions (églises ou partis, sectes ou entreprises) qui leur offrent les moyens de s’élever au-dessus des seuls réseaux que leurs interactions peuvent produire.
Un exemple parlant des plus récents est celui les « Gilets jaunes » : organisation impossible, aucune traduction politique, on reste à « l’horizontale » et ça ne conduit à rien. (mais cela peut détruire..)

La seconde partie traite du « Retour au réel » et me paraît plus faible dans les analyses présentées avec parfois des argumentations discutables. Elle s’attarde sur le monde néo-tribal, de « post-vérité » généré par les réseaux sociaux, chacun ayant son propre « métadiscours ». Le moment « post-moderne » que nous vivons, produit surtout des fantasmes individuels et collectifs. Pour en réchapper, Daniel Cohen se limite à quelques pistes pour l’avenir et ne décrit pas trop ce que pourrait être « la civilisation de demain », largement imprévisible.

Il faudrait selon lui un retour en partie à l’archaïsme : les formes archaïques produisaient de la cohésion sociale avec les syndicats, les partis politiques ou les entreprises.  « Il faut des institutions, il faut des entreprises, il faut des syndicats, il faut des partis politiques qui montrent un chemin. Il faut du collectif. »

Il faudrait pouvoir traquer les « fake news » par des agences de presse renforcées ; il y a aussi un besoin urgent selon lui d’une réflexion sur la vie politique et il estime sans argumentation sérieuse que l’élection présidentielle en France se résume désormais à « un chef et Internet ».  Le retour au réel est que la nature, que la postmodernité a largement évacuée, a repris récemment ses droits : il existe bien un monde réel, celui des épidémies, de la crise  climatique avec ses catastrophes, de la crise énergétique, de la guerre même, dans lequel vivent « vraiment » les humains. Lors du Covid, on s’est remis à  parler de la vie, de la mort, du souci d’autrui.

En résumé, pour Cohen, il faudra organiser la résistance à l’enjeu du
XXI ème siècle : la numérisation systématique des relations humaines. C’est contre la double dissolution numérique du rapport à autrui et au monde réel qu’il faut lutter.
Pour cela, la prise de conscience du problème me parait essentielle et cet essai y contribue magistralement, de même que le roman tout à fait remarquable de Nathan DEVERS « Les liens artificiels » qui vient de paraitre. Le moyen le plus important non évoqué par Cohen pour cette adaptation est certainement l’éducation dans laquelle nous avons tous un rôle à jouer, Etat comme particuliers. En revanche, le terme de « résistance » ne me parait pas inapproprié. Je me demande en effet si les mondes décrits par Aldous HUXLEY (Le Meilleur des mondes en 1931) et par George ORWELL (1984, en 1949) ne sont pas en train d’arriver, les situations politiques totalitaires s’appuyant sur les techniques numériques comme en Chine étant assez effrayantes et inquiétantes. Et là il va falloir résister !

NB : Daniel COHEN a présenté son essai sur France 5 le 31.10.2022 dans l’émission « C à vous » à 19h. Il est possible de la voir en replay pour les lecteurs intéressés.

Merci beaucoup à Louis qui nous emporte dans son élan vers l’ordre et la cohérence dont nous avons besoin et nos jeunes en particulier. Des échanges nombreux étoffent la présentation de ce grand livre : les jeunes et les réseaux sociaux, les harcèlements et surtout des meurtres d’adolescentes qui se sont multipliés récemment ; les relations difficiles entre masculin et féminin, depuis « Me too ». Les rôles de l’école et de l’éducation sont insuffisants pour gérer ces troubles. Mais plus généralement manquent des corps intermédiaires pour faire le lien entre les grandes idées et l’application sur les divers terrains et au plus près de l’individu.

Chers amis, nous avons du travail…Amitiés à vous tous et continuons nos réflexions qui favorisent la cohésion de notre groupe « PasserelleS ».

Le prochain café littéraire aura lieu le 5 décembre à 14h30 à l’Ermitage.

Retrouvez la liste des livres cités au café littéraire en cliquant ici