Zoom littéraire du 01/03/2021

Compte-rendu de Nicole suivi du résumé de Louis sur la « Fabrique de l’ignorance »

Tous nos remerciements à nos amis adhérents qui acceptent de partager leurs lectures, leurs idées en distanciel, avec le zoom de Jean-Jacques. C’est aussi un merveilleux moyen de communication.

Le printemps a séduit quelques fidèles qui nous ont manqué, toutefois nous nous sommes retrouvés 6 passionnés d’approfondissements et de nouveautés. Nous accueillons Nadine, une amie de Marie que nous connaissons bien.

Présenté dernièrement par Jean-Jacques, l’Appel de la forêt de Jack London a suscité des liens avec « Into the Wild » un roman américain devenu film avec le même titre, de John Krakauer, : Un jeune homme de bonne famille choisit de partir sur les routes, inspiré par ses lectures : Tolstoï, Thoreau (auteur de Walden,).  Il en perd la vie à 24 ans, dans la solitude, ses amis n’ont pas pu l’aider à temps.

L’atmosphère est romantique, puis devient plus complexe aux prises avec une nature sauvage. Jean-jacques apporte des compléments : l’aventure est reprise par un journaliste passionné d’expéditions, Jon Krakauer qui suit toutes les étapes du cheminement de Christopher Mc Candless, avec rigueur et affection.

Marie souhaite nous parler de Max Gallo, 1932-2017. Fils d’un immigré italien, dont la famille s’installe à Nice, de même que les personnages du roman que lit Marie, La Baie des Anges en 3 tomes. Un environnement historique dépeint la vie française des personnages à travers deux guerres et des crises qui ont structuré notre XX ème siècle. Le jeune Max va à l’école et passe un CAP de bâtiment, puis un Bac technique, il travaille dans une entreprise d’EDF et suit en même temps des études d’Histoire jusqu’à l’Agrégation, un doctorat de Journalisme qui le conduit à L’Express, dans sa grande période après 1950. Sa thèse porte sur le « fascisme italien » et en 2007 il entre à l’Académie Française. Une œuvre importante 18 romans et 11 biographies et une curiosité passionnée pour tout ce qui touche notre Histoire. Quel parcours d’insertion… !

Louis a choisi de compléter sa lecture des Falsificateurs par un résumé de l’émission sur Arte « La fabrique de l’ignorance.» (en replay sur Arte jusqu’à la fin Mars). Son résumé sera proposé sur le Zoom littéraire.  Louis fait bien remarquer que toutes les falsifications de l’information qu’il reprend grâce à cette émission, produisent chez les Français un doute presque général qui conduit à l’abstention ou à la défiance. Toutefois, dans les cas graves, les Français prennent leurs responsabilités.

Francine ne souhaite pas prendre la parole aujourd’hui, mais elle est intéressée. Nadine  fait de même.

Nicole souhaite reprendre pour quelques minutes l’environnement de l’Anomalie, le prix Goncourt 2020.

Elle rappelle le groupe Oulipo, suite du groupe DADA qui s’insèrent dans le Surréalisme des années 1920 et suivantes, sur toutes les formes d’expression, peinture, sculpture, poésie, roman, essai, sciences fictions…. Oulipo : Ouvroir de Littérature Potentielle. Un groupe de recherches sur le langage, les formes d’écriture, jeux, cadavres exquis, astuces créatives. L’idée est de créer une contrainte pour obliger le créateur à trouver une solution originale « Comme des rats qui se construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir. » Raymond Queneau : « Ce n’est pas un mouvement littéraire, ni un séminaire scientifique, ni de la littérature aléatoire… » Fondé en 1960 par le mathématicien F. Le Lyonnais et l’écrivain et poète R. Queneau puis par l’humoriste Albert Marie Schmidt, il est surtout connu pour ses ateliers d’écriture et ses artistes.

Pour créer un lien avec ces chercheurs, dont fait partie Hervé Le Tellier, je présente un tableau de Marcel Duchamp, Les Joueurs d’Echecs, où l’on reconnaît l’influence du cubisme, et la déstructuration de l’espace, un élément majeur des œuvres de cette époque. On reconnaît les frères Duchamp et Villon… (Vous pouvez visualiser ce tableau en tapant « les joueurs d’échecs de Marcel Duchamp » dans le moteur de recherche google ou autre, image protégée en France jusqu’en 2039).

Avec l’Anomalie, nous pourrons nous demander ce qu’il y a de nouveau dans ce roman qui fait courir les lecteurs…

Merci pour votre attention pleine d’amitié. Nicole.

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Le 8 mars, nous pourrons revenir à Marcel Duchamp, un « Homme exceptionnel d’intelligence et de créativité. » et à vos lectures qui sont essentielles à nos rencontres.

 Nous attendrons Louis pour parler de l’Anomalie. Ce sera dans une quinzaine de jours. Vous pouvez lire ce roman original, en l’attendant.

D’autres lectures nous attendent, ces temps prochains. (L’oracle della Luna de Frédéric Lenoir 2008, par exemple).

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Résumé de Louis de la « Fabrique de l’ignorance », émission sur Arte diffusée le 23 février dernier et en replay (https://www.arte.tv/fr/videos/091148-000-A/la-fabrique-de-l-ignorance/)

« La fabrique de l’ignorance »

Constat : le citoyen se méfie de l’industrie et de ses produits : qu’y-a-t-il dans nos champs, dans nos assiettes, dans nos médicaments ?

  • Nous demandons à la science d’être juge dans cette nouvelle bataille

Et certains cherchent à discréditer le fait que la science aurait quelque chose à dire sur le monde.

1 – Episode des abeilles

Hécatombe à laquelle les spécialistes ne comprennent rien au début. Puis début 2000, le rôle néfaste du dernier né des insecticides (néonicotinoïdes) est démontré. Réplique des industriels : ils  lancent des études intenses sur des causes alternatives possibles…> on ne peut rien démontrer, le problème semble être ailleurs. Bilan : pas de vérité unanimement acceptée… et pendant ce temps les abeilles continuent d’être décimées par les néonicotinoïdes.

Commentaire Louis : La France est en pointe dans ce combat et à interdit ces insecticides en France au 1er septembre 2019. Notre parlement a autorisé un retour temporaire en 2020 pour sauver la filière betterave…

2 – Episode du tabac

Dans les années 1950, insouciance par rapport au tabac : aucun soupçon de favoriser le cancer.
Décembre 1953 : on provoque un cancer chez des souris par inhalation de fumée de tabac > déclenchement d’une terrible bataille ! Réplique des patrons des manufactures de tabac : un plan d’aide à la recherche sur le tabac : il faut produire du savoir contre la science établie ! L’idée est d’investir dans une recherche de diversion pour discréditer la science.
De fait, il y a plein de causes à tout et les maladies sont souvent « plurifactorielles », donc on peut facilement « noyer le poisson ». On détourne les soupçons en multipliant les suspects. C’est une stratégie très efficace, qui a servi de modèle à tous les dénis scientifiques depuis 1953 (alimentation, agriculture, tabac, amiante, pharmacie  etc…) : on fabrique du doute…

En 1994, envoi anonyme à un prof. D’université californienne d’un carton plein de documents secrets de l’industrie du tabac. Celle-ci se trouve contrainte de divulguer l’ensemble des documents qu’elle détient à la justice.  Ces documents démontrent une gigantesque manipulation de la science et rétablit enfin la vérité sur le tabac.

En tous cas, ceci a permis aux industriels de gagner du temps et de l’argent. Mais quand la connaissance est autant freinée, il y a un vrai coût humain !

En résumé, le doute est l’arme parfaite. A noter qu’on a besoin du doute en science. On peut distinguer la science établie (Ex : la terre est ronde, quoique que certains zozos ne sont pas d’accord)  et la science en marche : on émet des hypothèses et on cherche des arguments expérimentaux pour en vérifier ou pas la validité. 

Il existe une nouvelle discipline universitaire aux USA, qui vise à apprendre à repérer les entraves délibérées à la science : c’est une étude académique de l’ignorance : on peut produire activement de l’ignorance ! La méthode scientifique est importante pour garantir la validité des conclusions : une manip mal conçue peut faire dérailler le processus. Les protocoles expérimentaux sont le talon d’Achille de la science et d’ailleurs les industriels recrutent des chercheurs de haut niveau pour les bricoler à leur avantage et ainsi les amener à privilégier leurs avis.

3 – Cas du Roundup (herbicide Monsanto)

En 2014, émotion sur un cas de cancer de la peau spectaculaire aux USA. Le Roundup est rapidement mis en cause (herbicide le plus vendu dans le monde). Même technique de défense de Monsanto que pour les abeilles : on crée du doute, pas de consensus scientifique donc pas de victime !
La justice a toutefois tranché contre Monsanto en 2020 (indemnisation d’une première victime pour 250 millions de dollars)

Commentaire Louis : 11000 autres dossiers sont en attente chez les juges aux seuls USA

4 – Affaire du Biphénol A

En 1989, deux chercheurs en biologie observent en laboratoire une mystérieuse prolifération cellulaire dans le cancer à laquelle ils ne comprennent rien pendant 4 mois. Ils découvrent enfin un produit qui imite une hormone et déclenche la prolifération : le biphénol A contenu dans une pièce en plastique au contact des cellules. C’est le début de l’aventure du biphénol A.

La science toxicologique de l’époque (difficile à faire bouger sur ce point même aujourd’hui) admet depuis toujours qu’un effet est proportionnel à la dose absorbée : sous une certaine dose, rien n’est un poison !
Or nos deux chercheurs observent des effets très importants à des doses 25 000 fois plus faibles qu’aux doses minimales préconisées. Ils en trouvent l’explication : le biphénol A a une action de perturbateur endocrinien et on a des effets dévastateurs à des doses infinitésimales. C’est une grosse remise en cause : les toxicologues réfutaient tout cela. Du coup, grosse pression des fabricants de plastiques sur certains scientifiques en leur demandant une nouvelle fois de « bidonner » des études. Et il a fallu 20 ans pour l’interdire, en France, en s’appuyant d’ailleurs sur le principe de précaution et non sur des études scientifiques, sur un seul produit : les biberons des bébés ! Alors que l’on sait qu’il provoque des troubles du métabolisme, favorise des cancers hormonaux-dépendants, l’infertilité, certains diabètes… Tout le monde est exposé au biphénol A dans le monde occidental…(emballages alimentaires, bouteilles, boites de rangement alimentaire, boites de conserves etc…) 

5 – L’affaire du climat

1992 : première convention internationale sur le climat. En plus, la pollution fait mal. Contre-attaque des industriels via l’appel d’Heidelberg (établi par les industriels de l’amiante) : oui à l’écologie, à condition de ne pas nuire au développement économique et social, il faut défendre la science face aux écologistes irrationnels. Présenté comme cela, l’appel obtient le soutien de nombreux prix Nobel. 

Les industriels veulent faire passer les sciences de l’écologie pour des sciences de hippies attardés (Il est vrai que certains écolos peuvent donner cette image…) : pour eux, il y a la bonne science (la leur) et la mauvaise science (celle des écologistes). Ils utilisent l’arme de la ‘Junkscience’  qui consiste à communiquer des informations qui créent l’illusion de l’expression des citoyens. On crée une opinion de toute pièce, via les réseaux sociaux avec ses communautés d’opinions. L’analyse des interactions montre un noyau dur de climato-sceptiques qui envoie des messages en avalanche, et la vérité est toujours du côté des sceptiques, jugés plus rigoureux que les autres !

Du côté climato-sceptique américain, on trouve des gens pour qui l’écologie a remplacé le communisme : l’écologie veut leur imposer des contraintes et des régulations dont ils ne veulent pas. Il va falloir changer notre façon de faire des affaires et notre mode de vie est menacé (avions voitures, hyperconsommation etc…) : pas question ! La science oui, mais pas celle qui menace nos convictions ou nos valeurs.

Commentaire Louis : le climato-scepticisme existe ailleurs qu’aux USA à un moindre niveau (Russie Europe etc…) mais ce point n’est pas abordé dans le documentaire.

Les attitudes sont à examiner au travers des biais cognitifs ( biais de statu quo = ne changeons surtout rien / biais d’optimisme = on ne voit pas la nécessité de changer quoi que ce soit / mais surtout biais d’idéologie qui explique le lien majeur entre opinion politique et attitude envers la science)

Il ne faut jamais oublier que la science est toujours  «encastrée » dans la société (voir Copernic, Galilée et d’autres…) : elle subit les contraintes du contexte social.
Il y a 500 ans, la science se heurtait à l’église. Aujourd’hui, elle se heurte au marché, qui a remplacé l’église. C’est l’économie qui est devenu le juge ultime et absolu, indépassable ! La loi du marché remplace celle de l’église.

La science elle-même est transformée en  un marché où chacun doit attirer l’attention :

  • En 2000 il fallait dire « génomique » pour être intégrer à un projet de recherche,
  • En 2010, il fallait dire « nanotechnologie »
  • Et en 2020, il faut dire « intelligence artificielle…

C’est dire que tout un domaine inconnu de recherche reste en jachère      1) parce que ça ne rapporte rien
2) ou parfois parce qu’on préfère ne pas savoir…

Mais la réalité finit toujours par s’imposer ; on ne l’élude pas sans conséquences.