Café littéraire du 25/10/2021

Beaucoup de nos amis adhérents sont en vacances, auprès de leur famille, avec les petits enfants, nous leur souhaitons beaucoup de joies. Merci aux courageux qui m’entourent ce lundi après-midi : Marie-José et Jean sont les premiers, puis Evelyne nous rejoint pour la première fois et nous en sommes très heureux, Marie l’accompagnait, Louis s’est libéré de ses travaux et Marie Françoise vient fidèlement et nous gâte avec des cannelés qui valorisent le café envoyé par Robert qui, lui, n’a  pas pu se déplacer.

En attendant que tous soient installés, je leur rappelle que les livres lus avec plaisir par les uns peuvent être repris dans nos commentaires pour des approfondissements ou des points de vue différents. Par exemple j’ai eu beaucoup d’intérêt à lire le « Crépuscule des Fauves » de Marc Lévy, présenté par Mauricette, et c’est vrai qu’il est passionnant. (- Thème sympathique puisque l’action se veut morale : punir les délits financiers ou les protagonistes de haut vol, gérants de grandes banques, riches hommes d’affaires utilisant des paradis fiscaux… Les priver de sommes importantes qui vont sur les comptes d’entités sociales ou d’ONG, ou de populations en souffrance ; – Groupe de hackers spécialisés qui opèrent très professionnellement. Leur groupe est amical, il prend des risques forts. Cette guerre est dangereuse, elle rend l’intrigue attirante ; c’est un roman à clefs. – Quelques exemples de sociétés humaines en désespérance.) Voir plus loin les apports ultérieurs sur le même sujet.

Louis souhaite nous présenter le livre de Thomas Piketty « Une brève histoire de l’égalité » (août 2021) : notre prix Nobel d’Economie né en 1971, formé à l’ENS d’Ulm, docteur en économie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) puis chercheur à la London School of Economics, puis au MIT ; depuis 2014 il enseigne à l’école d’économie de Paris. Il est spécialiste de l’Inégalité, cela touche la société autant que l’Economie. Sa vision originale embrasse tous les pays et donc l’international ; l’ouvrage est d’ailleurs collectif et son objectif est de donner aux citoyens les moyens de se réapproprier les idées, les faits, pour les comprendre de façon concrète, et intervenir selon leurs moyens. Ce qui a frappé Louis, ce sont deux thèmes d’étude importants : le Colonialisme, et l’Esclavagisme ; Pour Thomas Piketty, l’affaire n’est pas finie, et il ne s’agit pas de « repentance », mais de réparations (compensations) avec des études chiffrées.

Ce livre relève les pistes de transformations des Sociétés et l’évolution associée des inégalités; avant la Révolution, la France – comme le monde en général- a une activité dominante agricole…Elle appartient au secteur primaire traditionnel.

1 – Le chapitre 1 du livre donne les premiers repères de la marche vers l’Egalité. Piketty constate que l’idée de Progrès Humain existe : il suffit pour s’en convaincre de voir l’évolution de la santé et de l’éducation depuis 1820 (espérance de vie et mortalité infantile par exemple).  Toutefois, il y a de grosses disparités entre le Nord et le Sud dans les réalisations (Santé, commerce, transports, progression des industries minières, cristalleries, porcelaines, métallurgies… le secteur secondaire (industriel) est en évolution). 

2 – Th. Piketty attribue l’essentiel des progrès au XXème siècle,  en terme de réduction des inégalités, à l’arrivée de l’Etat Social qui prend en charge des secteurs d’activités économiques comme l’éducation, la santé, le logement,  les transports etc…ce qui n’était pas le cas avant  (secteur tertiaire, commercial, social, en évolution). Il estime que  les indicateurs économiques actuels (comme le PIB) sont trop généraux : on a aussi besoin d ‘indicateurs sociaux et environnementaux. Th. Piketty insiste sur le fait que la progression des revenus et des  patrimoines depuis le XVIIIème siècle dans le monde occidental s’est faite au prix d’une surexploitation des ressources de la planète. Selon lui, sans une action résolue pour comprimer les inégalités sociales et économiques, il n’y aura pas de solution à la crise environnementale et climatique. Il faut repenser l’organisation d’un  système économique mondial acceptable par les plus modestes. Depuis plusieurs décennies, on pense que si le Progrès Technique existe, en revanche il n’y a pas de progrès « moral ». De plus, le progrès technique apparaît peu à peu comme une escroquerie au profit de l’Occident.

3 – La grande divergence Europe / Asie : TH. Piketty développe le concept de « grande divergence » entre l’Europe et l’Asie à partir du  XVIIIème siècle.  Les régions les plus avancées de Chine et du Japon étaient alors dans un état comparable à celui de l’Europe de l’ouest. Mais le développement industriel occidental aurait vite buté sur un obstacle majeur sans la mise en place d’un système d’approvisionnement et de mobilisation de la force de travail à l’échelle planétaire. Ce développement a reposé sur l’extraction  à grande échelle de matière premières et de sources d’énergie (bois) avec un schéma d’organisation coercitif et colonial. Cette divergence a conduit à l’esclavagisme à grande échelle et au colonialisme, qui ont trouvé leur point d’appui dans la domination militaire européenne.  Louis fait remarquer que le développement extraordinaire des sciences et techniques en Europe à partir de la Renaissance a sans aucun doute fortement contribué à cette domination. 

4 – L’Esclavagisme : Il se présente différemment en Europe et en Asie. En Europe, le développement économique provient de l’extérieur : au 16ème S.  L’âge d’or en Espagne, au Portugal, provient de la conquête des terres américaines et les populations envahies ne réagissent pas contre la force  militaire ni contre  les maladies, elles disparaissent au profit des assaillants. Des scénarii semblables se produisent au Canada et en Afrique, en Asie avec les anglais et la France en particulier.  On observe une accélération de l’esclavagisme de 1780 à 1860 ; l’esclavage est aboli en 1810 dans le monde occidental mais poursuivi clandestinement. 

5 – Le Colonialisme : Il se produit très peu après, grâce à une autorité tyrannique et esclavagiste ; l’instauration de la fiscalité et d’une force militaire rendent dépendants les pays découverts et asservis (Controverse de Valladolid, le film « Mission »). Les premières compagnies européennes peuvent être traitées de véritables entreprises de brigandage militarisé international. Un exemple, la déforestation au Liban, sur beaucoup de côtes méditerranéennes, les guerres navales entre puissances antiques, (Flottes vénitienne, égyptienne, portugaise etc…En Chine au 15ème Siècle, la plus grande flotte du monde construite par Zheng He, fait de la Chine une grande puissance) ; le bois est la seule matière première, on l’utilise avec le naphte, le goudron ; pour le chauffage et l’habitat : résultat une île comme Haïti est aujourd’hui exsangue. Jean ajoute qu’il existe des pratiques d’abattage du bois qui sont moins dangereuses que d’autres, par exemple laisser les branchages sur place permet d’ensemencer naturellement. 

Les matières les plus recherchées : le bois, le coton, le sucre…autrefois.

La force de travail : l’esclavage et les animaux de trait, mais il faut les soigner dans des fermes, cela demande du personnel.

On évalue à 11 millions, les gens sortis d’Afrique du Sud-Est et beaucoup aussi sur les côtes Ouest par exemple : la traite négrière au Sénégal à GOA.  Les terres cultivables étaient plus importantes en 1830, les paysans vivaient en autarcie, de plus ils avaient l’obligation de donner des productions à leurs propriétaires ou bailleurs. Les Chinois assez puissants avaient des personnels peu salariés, domestiques, hommes de peine ; Les Russes avaient des domestiques et des paysans sur leurs terres, Moujiks presque liés à la terre. Toutefois, ces grands propriétaires avaient des relations assez humaines avec ces personnels. (Patrick Chamoiseau : l’Empreinte à Robinson.2012) D’autres avaient des pratiques sadiques. PiKetty rappelle les guerres de l’opium qui  ont opposé les Anglais et  les Chinois à deux reprises. Les Anglais assuraient une production important d’opium  en Inde, qui était exportée en Chine à leur bénéfice. Ceci  entrainaît une apathie importante des populations chinoises qui a été à l’origine de la première guerre de 1839 à 1842. Elle s’est traduite par la déroute de la Chine, avec la cession de Hong-Kong aux Anglais. La seconde guerre de 1856 à 1860 a encore vu la défaite de la Chine qui a dû augmenter les impôts pour rembourser les frais de guerre anglais. 

« Vendredi ou les limbes du Pacifique » de Michel Tournier.

 Actuellement la firme Monsanto et sa pratique des semences annuelles produit des disettes. Plus graves, de vrais actes de guerre ont existé bien avant le nazisme : la Russie détruit toutes les semences de pommes de terre dans la région de Kiev qui demandait son indépendance. Les japonais détruisent des populations chinoises en représailles… Une suite sans fin qui montre les dérives du pouvoir ou les représailles organisés entre belligérants. Louis souhaite poursuivre sa lecture et sa présentation le 8 Novembre. Je souhaite n’avoir pas trop déformé ses paroles.

C’est Marie José, qui reprend sa lecture de Lydia Flem « Comment j’ai vidé la maison de mes parents. »  Lydia Flem a maintenant 70 ans, elle vit en Belgique, s’adonne à la photographie avec beaucoup de succès ; la Psycho-analyse est depuis longtemps son mode de réflexion et de pratique professionnelle.  Elle écrit sur la Résilience et parle du « Recentrage sur soi : Comment habiter tout à la fois son corps, sa maison et le monde ? » c’est le sujet de son livre. Il n’y a pas d’intrigue, il n’y a pas de personnage, seulement et c’est essentiel, une analyse en mouvement. Douze chapitres courent d’un point d’origine « les orages émotionnels » jusqu’à « La traversée du deuil » qui semble marquer une libération, une reconstruction de soi.

Marie-José nous fait vivre plusieurs passages qui présentent la méthode d’analyse de l’auteure. Les citations de S. Freud notent sa démarche, l‘analyse des mots qui sont utilisés par le sujet qui s’expose. 

Le mot « vider » est violent, se débarrasser, sortir les souffrances et les émotions ; « l’héritage » semble un cadeau, empoisonné ?- car il y a des démarches, des intrus, parfois la justice, dans un acte qui devrait être « don d’amour » et rester « intime »… Il faut pour cela se réconcilier avec ses morts, regarder les objets et atteindre la sérénité du souvenir.

Il est donc nécessaire de prendre congé de ses parents, d’être près de sa mère jusqu’au bout, risquer  cette pudeur extrême parler de et à  la femme qui vous a porté dans son ventre. L’héritage symbolique est plus important et peu à peu la Psycho-analyste «découvre» dans son moi intime que sa mère souhaitait écrire, qu’elle a vécu et porté le souvenir des camps de concentration, qu’elle a écrit pour sa « petite fille » le récit vécu dans les camps. Il est naturel donc que Lydia ait le goût d’écrire car elle réalise l’acte désiré et resté caché. Puis elle trouve des documents «audio» de conversations intimes entre ses deux parents, une mallette remplie du courrier qu’ils ont échangé et qui prouve l’amour que ses parents lui portaient, mais aussi les souffrances endurées par ces deux êtres. Elle retrouve les images de leur jeunesse et se met à les admirer, à les porter en elle-même. Elle comprend peu à peu la nécessité de « réparer » les souvenirs qui sont souvent incomplets ou déviés. C’est là que peut se faire « la traversée du deuil ». Merci à Marie José de nous apporter cette analyse sensible et riche pour nos propres débats intérieurs.

Evelyne nous propose une synthèse du livre de Mélissa Da Costa, « Tout le bleu du ciel » 2019. Romancière de 30 ans, chargée de communication dans une administration de l’Isère, elle est naturopathe, aromathérapeute, sophrologue. Elle a écrit deux livres et le troisième se révèle très original. 

Une annonce dans le journal : un jeune homme veut prendre le large, pour surmonter un Alzheimer précoce. Une jeune fille lui répond, elle est toute de noir vêtue, silencieuse, taciturne… ils vont partager un trip dans les Pyrénées ! 

Au fil des pages se passent des petits riens, ils s’apprivoisent et c’est l’embarquement dans la nature au sein de la montagne qui devient un personnage à part entière. Elle lui apprend à méditer, à apprécier les petits faits de la vie : une fleur, un parfum, un animal. Aucune tristesse, aucun regret, aucune larme…mais une grande sensibilité, comme on trouve dans les écrits de Paulo Coelho.  Evelyne connait bien les Pyrénées et ce livre l’a enchanté par sa densité humaine, toutes les phases de la maladie ont été anticipées, pour respecter le contrat moral. Elle conduit le malade vers la spiritualité, elle l’aide à méditer, ils se racontent l’un à l’autre et l’on sent bien que la douleur les a muris pour qu’ils se rencontrent aussi simplement. C’est un vrai roman d’apprentissage au sens fort du mot, Montaigne disait que « philosopher, c’est apprendre à mourir. » Mais la mort n’est qu’une transformation. Il est édité chez J’ai lu, n° 35645.

Discussions : elles ont été nombreuses et riches, nous en sortons presqu’émus.

Compléments proposés par Nicole, concernant le livre de Marc Lévy : Un article de l’Express m’a conduite vers Marylin Moeso, philosophe, qui vient de publier « La petite fabrique de l’inhumain ». A partir de la lecture de A. Camus, « La Peste », elle montre la volonté de l’Humaniste Nobélisé, de repérer, de commenter, d’analyser la valeur des mots, la valeur des actes, des comportements pour qu’ils ne soient pas utilisés avec cynisme, par des opposants qui dévalorisent, dénigrent systématiquement toutes les informations rapportées par les médias. 

(Extrait de l’Express » 7 octobre2021) Marylin Maeso insiste sur les confusions dans les informations données dans les médias : *L’insignification de choses ou de gestuels » auxquels certains commentateurs veulent absolument attribuer des significations… ;* le fait que notre époque est censée « tout décrypter et tout déconstruire », au nom de F.Nietzsche et de la capacité actuelle de prétendre tout comprendre, selon certains médias ; * au nom du concept « le monde d’après », on cherche  à reconstruire,  mais certains penseurs et commentateurs veulent imposer leurs convictions politiques, économiques, écologiques. *Les médias, leurs discussions répétitives renvoient l’idée qu’il n’y aurait pas de vérité et que toutes les opinions se valent ». Par exemple la confusion entre l’antisionisme et l’antisémitisme pour défendre les droits des Palestiniens. *Contre ces erreurs d’interprétation de l’information, Marylin Maeso reprend la pensée de A. Camus des années 1946, dans « La crise de l’homme » : il dénonce la manipulation du langage qui conduit à la violence meurtrière : « Appeler les choses par leur nom et bien nous rendre compte que nous tuons des millions d’hommes chaque fois que nous consentons à penser certaines pensées. On ne pense pas  mal parce qu’on est un meurtrier. On est un meurtrier parce qu’on pense mal. » derrière cette formule énigmatique, un constat répété :  celui de l’impact de l’idéologie sur le façonnement d’esprits prêts à tout pour imposer leur dogme. Les fanatiques, qu’ils soient politiques ou religieux, sont les rejetons de ce processus par lequel des individus se dépouillent de leur humanité pour ne devenir que le réceptacle d’une certitude tyrannique… »

Retrouver Albert Camus dans un travail récent de Marylin Maeso, philosophe, elle travaille sur l’existentialisme et la philosophie politique contemporaine, elle intervient dans l’Express et dans Lire, magazine littéraire. Elle a publié « Les conspirateurs du silence » 2018 et « Lents demains qui chantent »2020. « L’Abécédaire de Albert Camus » « La petite fabrique de l’inhumain » éditions l’Observatoire. (Collection « le monde d’après ».)

Elle présente avec « Public Sénat » par Dailymotion, une biographie passionnante sur « A. Camus : l’icône de la révolte ». (26 mars 2021.)

D’autres vidéos, une réflexion sur « Le langage peut être une arme de destruction massive » et « L’inquiétude peut-être un garde-fou précieux. ».

Dans le même sens, l’Express publie « Le complotisme, une facette limitée de la guerre de l’information. »  

Le livre de Marc Lévy, « Le crépuscule des Fauves » vient donc au bon moment pour nous faire connaître, certains milieux de la « guerre pour le pouvoir » économique puis politique des « Fauves » dont il parle. Toutefois, on peut se demander comment réagir à ces actions et à ces informations qui nous dépassent, et qui pourtant nous atteindront sous diverses formes. 

Merci, chers amis pour toutes vos idées, vos échanges et votre présence. 

Nous nous retrouverons lundi 8 novembre chez Nicole, autour d’un café à 14h30.

Informations :
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