Café littéraire du 20/12/2021

Nous sommes reçus par Evelyne dans sa jolie maison tout à fait originale, et nous sommes heureux de la retrouver au retour d’un grand voyage plein de découvertes « émiratines »( ?).

Louis est venu prendre des nouvelles de Mauricette qui « voisine avec moi ! ». Celle-ci prépare une lecture pour bientôt, malgré beaucoup de fatigue. Nous retrouvons Robert, puis Jean et Marcel, et enfin Marie et notre espiègle Nadine. Autour du café et des friandises, nous avons plaisir à rire et prendre nouvelles de chacun. Jean-Jacques n’est pas parmi nous mais il a longuement contacté Marcel qui prévoit des interventions dans notre Café, mais aussi des visites du Bouscat, Bravo ! Suzel, Marie José, Arlette, Marie Françoise nous manquent, elles sont surement en famille.

Je parle du projet prévu le 13 janvier 2022 qui est expliqué sur le Site « Passerellesasso33.fr ». « Construire avec des arbres au Musée Arc en Rève » de 17h à 19h30. Il fera un lien entre les belles sorties de Jean et les interventions de Marcel sur l’Architecture. 

Jean nous informe d’un article qui l’a intéressé dans Sud-Ouest. L’architecte David Wengrow, professeur d’archéologie comparée à l’Institut de l’University Collège de Londres, remet en question notre vision d’une Histoire des sociétés humaines, construite sur un schéma généralisant et univoque. Pour lui, comme pour Lévy-Strauss, nous avons affaire à des mythes extrêmement puissants et tenaces qui structurent nos sociétés. La pensée occidentale se veut universelle surtout en Angleterre et en France, pourtant les Jésuites du 16ème Siècle explorant les terres amérindiennes « ont été stupéfaits de découvrir des valeurs bien plus proches de celles que nous découvrons aujourd’hui, la liberté individuelle, l’autonomie, le droit au divorce, la liberté sexuelle…Toutes choses que nous pensons avoir découvertes dans les années 1960.  Ces nouvelles recherches ont apporté des idées révolutionnaires comme « l’agriculture n’est pas liée à la stabilisation des populations vers la propriété privée, (par exemple) » voir le livre de Davis Graeber et Davis Wengrow « Au commencement était…Une nouvelle histoire de l’Humanité » (éd. Les liens qui libèrent.752 pages, 29.90€). Merci à Jean, pour sa veille concernant les nouveautés, les idées de Demain…

Evelyne est très sollicitée pour son récit de voyage aux Emirats, à Dubaï, elle nous dit sa découverte des architectures étonnantes, d’une population raffinée et respectueuse des coutumes étrangères, du luxe extrême et des prix fantastiques pour nous « un café : 100€ » si j’ai bien compris… ; Robert connait l’état d’Oman et a été passionné par la découverte de ces pays neufs. Pourtant, nous nous sommes demandés si derrière la « façade », la pauvreté existait dans ses formes les plus dures, esclavage, métiers du bâtiment accidentogènes, salaires bas, en fait des vies au service des plus riches, (touristes ou exploitants divers). La critique historique nous a montré que sous les apparences luxueuses se trouvent l’exploitation et l’esclavage des foules en difficulté. Evelyne en a été témoin, bien sûr et Nadine insiste avec un aperçu de son voyage à Moscou. Merci à tous pour ces réflexions sur notre monde encore bien peu égalitaire et humaniste. Marcel et Louis rappellent nos lectures précédentes : (Yuval Noah Harari : « XXI Leçons pour le 21ème siècle), (La fabrique de l’ignorance) ces lectures nous ont intéressés parce qu’elles conduisent à la critique raisonnable.

Le temps passant, je demande à Marcel de nous parler des livres qu’il a apportés : Il s’agit de deux biographies de « Marginaux », richement illustrées de photos et de dessins : «Le secret de Joe Gould » 1965 de Joseph Mitchell, un journaliste New-Yorkais  qui imposa un style journalistique grâce à des portraits d’une grande humanité. Il aimait les marginaux, les fanatiques et les âmes perdues » Il habite actuellement Greenwich Village. C’est un livre culte, connu dans le monde entier, il est enfin traduit en France ; il est rare, donc il est sage de le faire connaître pour son humanité. (Chez Calmann-Levy).

Le second livre est important en taille et recèle de magnifiques photos d’un original : « Marcel Bascoulard (1913-1978) à Asnières les Bourges. Cet homme est un « dessinateur virtuose et clochard magnifique », photographe et poète français. C’est une figure du Berry. A Paris, son oeuvre est reconnue depuis quelques années. Travesti en femme, collectionneur de toilettes féminines, il présente le vieux Bourges, la cathédrale, dans des dessins à la plume et encre de chine absolument étonnants. Merci à Marcel de nous sortir de nos cadres un peu conformistes, cela rafraîchit. Les livres passent dans le groupe, nous sommes tous intéressés. (voir You tube « Bascoulard  et nous, le destin tragique»)

Il me revient de terminer la réunion avec mon énorme livre, complexe, pas très connu en France mais traduit récemment du Catalan : Nicole l’a découvert alors qu’il partait à la déchèterie… ! Je suis entrée dans ce livre peu à peu, sans avoir lu la 4ème de couverture, parfois cela oblige à se concentrer et  à se perdre dans la lecture.

 Jaume Cabré, né en 1947 il est un philologue, écrivain et scénariste espagnol, il vit à Barcelone.   « Confiteor » est publié chez Actes sud, Prix du Courrier International du meilleur livre étranger 2011 et traduit en Français en 2013. C’est l’un des écrivains catalans les plus reconnus : 2010, prix d’honneur des lettres Catalanes. Longtemps enseignant, il se consacre maintenant à l’écriture.

Ce livre étrange parcourt par le truchement de flash-backs, plus de 500 ans de l’histoire de la région catalane et d’une famille en particulier les « Ardèvol I Bosh » de Pardàc.  Le héros principal Adrià Ardevol est original, d’une intelligence rare, d’une ouverture particulièrement large à la musique et à la littérature grâce à la connaissance d’une douzaine de langues Européennes. Il ressemble un peu au jeune OSkar, le héros du « Tambour » de Gunter Grass, étrange et courageux initiateur d’une révolte contre le nazisme mais Adrià est beau et il veut grandir.

  Observateur discret de ses parents, il s’exprime peu avec les adultes qui ont autre chose à faire, d’ailleurs, mais le petit garçon tient une conversation silencieuse, pleine de réalisme avec Aigle Noir de la tribu des Arapahos et avec le shérif Carson, ce sont ses « voix off », pleines d’humour et de sagesse. Dans les débuts de la narration, Adrià Ardevol vit derrière le canapé du bureau de son père, ce qui lui permet de comprendre au moins à demi, les affaires commerciales et politiques auxquelles son père se confronte. L’affection lui manque de la part de ses parents, mais elle est prodiguée par ses deux comparses déjà cités et par une servante généreuse de la famille, Lola Xica. Jusqu’à son adolescence, il reste scolarisé chez lui avec des précepteurs pour le latin, le grec, l’anglais, le français, langues essentielles à la formation culturelle, avec le principe suivant : « Il suffit de lire pour comprendre ». Son père lui donne des objectifs étonnants comme : « Quand tu liras ce document original, en Araméen, je serai fier de toi !» Il faut dire que le Père Félix Ardèvol a passé sa jeunesse à l’Université Pontificale Grégorienne de Rome, où il se préparait à la prètrise.  Du côté de sa Maman, une femme un peu sèche qui semble dépendante de son mari tout-puissant, l’exigence est la musique, piano, violon qu’elle lui enseigne avec ses propres compétences, puis il sera confié à des maîtres reconnus qui seront stupéfaits par la maturité de cet enfant. « Il attrapa toutes les précocités possibles et imaginables comme d’autres attrapent des rhumes ou des infections… »

 Barcelone est une ville de culture et de musique et les concerts les mieux choisis vont lui permettre de rencontrer les grands violonistes européens : Jasha Heifetz, Pablo Casals, Y. Menuhin … Il apprend à faire « chanter le violon » de son père, objet rare qui est gardé dans le coffre-fort du bureau. Bien qu’il soit étonnant de rapidité pour apprendre et mémoriser, il ne devient pas le meilleur violoniste européen, parce que d’autres passions l’appellent : d’une part, entendre un grand philosophe allemand à Tubingen qu’il rejoint vers 17 ans et suit pendant plusieurs années ; d’autre part, sa passion étonnante pour Sara Epstein, contrariée par les deux familles ; d’autres intérêts encore le captivent, comme la recherche des causes du décès de son père retrouvé décapité pour des raisons longtemps inconnues. Enfin, les décisions de sa mère qui reprend l’affaire familiale d’antiquités et aussi le pouvoir financier et culturel du père.

Pourtant il reste fidèle à son ami d’enfance Bernat qui va devenir un musicien professionnel, moins exceptionnel qu’Adrià, mais concertiste de valeur capable de faire « chanter » le Violon. Quant à Sara, elle s’éloigne de lui car sa famille juive est persuadée d’avoir été spoliée par le père d’Adrià. Pourtant, c’est à elle qu’il consacre son livre, véritable dialogue poursuivi au long des 800 pages : il argumente, essaie de faire comprendre à Sara qu’il porte une condamnation qui lui vient de son père ; celui-ci est indirectement coupable du vol de ce violon exceptionnel, dont on sait que le bois provient des arbres très vieux, oubliés près d’un couvent perdu au-dessus de Carcassonne, puis conduit vers Crémone en Italie. Ce n’est que plus tard, quand « Sara retrouvée » vit avec Adrià dans la maison familiale, que se fera le lien entre le Violon de Lorenzo Storioni, artisan de Crémone au 18ème siècle et les deux familles. Le Vial, premier chef d’œuvre de Storioni, joue un rôle important dans cette recherche de la perfection musicale ; mais il est le lien entre la pauvre victime d’un officier nazi qui veut obtenir le coffret où il pense trouver un beau violon ; cette victime, morte à Auschwitz se trouve probablement appartenir à la famille de Sara.

Les années passant, Adrià enseigne dans l’université de Barcelone, il retrouve les lieux qu’il aime,  des amis , le commerce à gérer depuis le décès de sa mère, l’immense appartement où il va reproduire des zones culturelles en fonction des livres qui sont rangés sur les étagères qui couvrent tous les murs du haut en bas….Enfin Sara revient, après  qu’ils se soient expliqués sur les raisons de la séparation, les souvenirs des camps de concentration, et le merveilleux et secret violon du 18ème siècle, le ViAL. Ce violon est le lien entre tous les souvenirs retrouvés d’Adrià et de son père, il est aussi gardien des secrets qui unissent ces personnages fondamentaux, car le VIAl appartenait à la grand-mère juive de SARA, elle le tenait dans ses bras en arrivant à Auchsvitz et le militaire allemand qui l’a spolié, sera lui aussi spolié par des intermédiaires peu scrupuleux qui revendront le violon au père d’Adrià, et peut-être cela causera son assassinat… Cette partie policière est un fil conducteur mais peu approfondi comme beaucoup de crimes de guerre.

Peu à peu Adrià vieillit, souvent anxieux des conséquences de ses actes ou de ceux de son père qu’il a intégrés dans sa propre vie et dans son histoire ; il ressent le même désir de possession que son père pour des œuvres rares, comme une tentation diabolique. Sara de son côté dans la grande maison -librairie, dessine et peint et Adrià ressent une émotion esthétique devant ses œuvres aussi forte que devant ses incunables. Ils vivent seuls et ensemble, se nourrissent du génie qui les anime, mais cette solitude est asociale et que va-t-elle devenir au fil des ans ? Adrià écrit : « La volonté esthétique », certains amis se rappellent à leur souvenir. En écrivant le « Confiteor », Adrià cherche à cerner le Mal dans le passé et les deux guerres du XXème siècle. Le Mal qu’il porte en héritage, et il dit lui aussi  que Dieu est coupable du malheur des hommes : « Je suis arrivé à la conclusion que si Dieu  tout-puissant permet le mal, Dieu est une invention de mauvais goût. Et je me suis brisé, à l’intérieur. »

L’écriture est moderne. Il faut s’habituer à ce style utilisé souvent dans les scenarii de films : le passage dans le même paragraphe : ‘Je (Adrià) fis ma première promenade dans l’univers du magasin. Les objets avaient changé, mais l’atmosphère et l’odeur étaient les mêmes. Il (Adrià) vit papa consultant des documents, Monsieur B. brassant de grandes idées tout en regardant à la porte de la rue, Cécilia coiffée, plus jeune, souriant à la cliente qui prétendait faire baisser le prix d’un splendide bureau chippendale… pour le même personnage Adrià..(p.369)

Ou encore : « Tout à coup, Adrià se leva et alors je vis Bernat qui me regardait comme si j’étais une apparition, avec un air étrange et qui me disait je pensais que tu t’étais transformé en bloc de glace. Nous sortîmes en silence… » on dirait une caméra qui passe d’un personnage à l’autre…(p.336) Changement de point de vue dans la même phrase.

J’ai aimé ce livre, pour sa richesse culturelle, pour sa vision humaniste de l’individu, même si les héros ne sont pas tous recommandables, et peut-être à cause de ce fait. C’est un roman picaresque, non qu’il présente la vie comme un film comique, bruyant et plein de vitalité, mais par la richesse des personnages qui se racontent comme ils peuvent, avec leurs faiblesses et leurs valeurs. L’émotion contenue dans le livre est complexe, elle jaillit dans la possession des objets, dans l’amitié fidèle, l’estime envers l’autre, la joie de lire ou d’apprendre, et surtout dans la musique et la peinture ; bien sûr aussi, dans la douleur endurée par les victimes de la barbarie. Ce livre est une aventure littéraire qui change la vision que l’on peut avoir de la vie. « Histoire du mal à travers le destin d’un homme et d’un violon » conclut Les belles Lettres dans leur commentaire.

Une discussion s’engage sur « l’histoire du mal », deuxième face de ce roman, Marcel rappelle que nous sommes encore marqués par le nazisme et les luttes armées du XXème siècle. Les témoins de ces périodes sont âgés, mais les enfants portent la mémoire de leurs pères, et eux-mêmes vieillissant s’interrogent sur ces « inhumanités ». Marie rappelait un peu avant, la misère des Afghans et surtout des Afghanes aux mains des Talibans, elle posait la question « pourquoi on n’intervient pas ? ». Nous sommes habitués à ce que certaines instances interviennent comme l’ONU, les USA, mais nous sommes tous occupés avec les covids… !  

Chers amis, nous vous souhaitons de bonnes fêtes pour la fin de l’année, et nous nous retrouverons si vous le voulez bien, le lundi 10 janvier 2022 chez Nicole, pour de nouvelles aventures grâce aux livres. A bientôt.

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