Café littéraire du 11/10/2021

Depuis la soirée de réunion des adhérents de Passerelles, mardi 5 octobre, nous avons le plaisir de rencontrer de nouveaux lecteurs et amis. Nous sommes 8 lecteurs aujourd’hui : les deux Nicole puis Jean arrivent en premier, puis Marie José accompagnée de  Marie Hélène, enfin Marie et Suzel ; tous  s’installent autour d’un café ; enfin, Mauricette  arrive entre deux rendez-vous,  elle souhaite nous parler de sa dernière lecture  passionnante.

C’est du livre de Marc Lévy : « Le crépuscule des Fauves » que Mauricette nous entretient sans nous le raconter pour ne pas découvrir le projet de l’écrivain. Marc Levy part d’exemples d’Arnaques financières ou commerciales ou politiques qui modifient les opinions du public, ou le trahissent souvent à son insu. Marc Lévy est connu comme écrivain, mais il a une riche expérience d’architecte, de scénariste pour Amnistie Internationale, et d’intervenant dans une ONG. Nous avons déjà lu des articles sur le populisme, les fraudes, « La fabrique de l’ignorance » par exemple, émission de Arte. Ces propos sont déjà connus, sous des formes diverses, l‘affaire Snowdon, le journalisme d’investigation. Toutefois Mauricette trouve un intérêt original à ce livre, la qualité du style l’écrivain, ses propos auréolés de sa réputation, ses succès, et même dit-elle, une sorte d’addiction à sa pensée et à ses objectifs, font de ce livre une nouveauté. Est-ce un polar ? ou une enquête magistrale ? et l’on s’aperçoit que le « hacker » est utile au policier, et donc à la justice. « Millénium » ( Stieg Larsson 2006) nous l’avait fait entrevoir en son temps, avec Lizbeth… L’enquête a duré 3 ans, large et audacieuse elle touche tous les milieux de pouvoir, et fait du livre lui-même un puissant interlocuteur. La présentation du livre est soignée et enrichie de dessins sympathiques.

Une conversation s’engage, l’écrivain est apprécié dans ses romans plus habituels et aussi dans le tome précédent « C’est arrivé la nuit ». A nos lectures pour devenir moins naïfs sans tomber dans le doute généralisé ou la peur du complot universel !!! Nous posons aussi la question : quelle fiabilité accorder à ce travail ? quel rôle social ou politique ce type de livre produit sur le public et sur l’abstention des électeurs au moment des choix de nos institutions ? Les GAFA et leur pouvoir grandissant sont invités dans notre réflexion : le Président Trump est mis en défaut de TWIT par un media dont il a fait le succès, étrange censure ! Notre amie Marie José insiste sur la place de l’éducation, de l’Ecole à tous les niveaux : Apprendre à parler bien, à choisir les bons mots, à cultiver la mesure de ces mots, leur influence, leur impact émotionnel, faire des lectures adaptées à son âge, à ses besoins culturels, en famille, au travail, avec conscience, éviter de privilégier les excès, la nouveauté sans esprit critique…

Marie José intervient pour parler de son livre qu’elle présentera plus tard : « Comment j’ai vidé la maison de mes parents » 2004 de Lydia Flem. Nous pensons à l’impact émotionnel de cette situation, cela affecte tous les individus, Homme et Femme, et pourtant c’est une femme que l’écrit. Y a-t-il des thèmes spécifiquement féminins ? et nous réfléchissons aux types de livres que nous choisissons, notre groupe aujourd’hui compte seulement un adhérent, Jean pour 7 lectrices. Et sur certains sujets nous avons des sentiments semblables : « l’homme est une femme comme les autres » nous dit-il en humoriste.

Nicole, mon amie et voisine, nous parle de son livre lu dans le train : « Quand souffle le vent du nord » de Daniel Glattauer. L’intrigue est banale, un mail envoyé par une femme arrive par erreur sur la boite d’un inconnu qui parle un peu dans cette occasion, ce hasard. Puis leurs échanges s’approfondissent, deviennent plus intimes, les liens se modifient et ils parlent même de se rencontrer, pourtant ils vivent agréablement dans leur vie respective. Toutefois, elle se laisserait charmer et son mari se rend compte du changement d’attitude envers lui. Moderne, il réagit et intervient assez crûment, une clarification est nécessaire ; en fait la rencontre n’aura pas lieu… il reste une amitié, un renoncement. Nicole semble déçue par son livre qui est respectueux des convenances et de la place de chacun.

Marie José réagit en disant que c’est une situation passionnante, que Nicole a en effet déjà évoquée avec un autre livre. En effet, dans la société ouverte que nous vivons en Occident, il est courant de rencontrer des êtres charmants qui se sentent disponibles, mais faut-il changer de vie pour cette « illusion » ou ce pari ? c’est une lourde réflexion. Cela rappelle des situations de la littérature classique, « La princesse de Clèves »1678 de Mme de la Fayette ou Madame Bovary de G. Flaubert 1856. (Bien sûr les livres sont très différents)

Marie nous parle d’un livre de Guillaume Musso, « Rien ne t’efface ». L’intrigue est intéressante, une femme promène tranquillement son fils de 10 ans sur la plage de Saint Jean de Luz, la mer est agitée ; elle propose à son fils faire une course avant de rentrer… Mais il ne rentre pas et elle s’affole. Peu après on trouve son corps sur la plage, il s’est noyé. Elle vit seule et sa vie a basculé ? Son Psychologue qui suivait l’enfant depuis l’adoption l’aide, mais il doit partir en Normandie ; elle reste seule quelque temps puis son travail l’oblige à changer elle aussi pour la Normandie ; les années passent et elle revient dans le Pays Basque, sur la même plage. Au cours de ses promenades toujours méditatives, elle observe un jeune homme en maillot de bain qui pourrait ressembler à son fils perdu il y a dix ans. Etonnée, elle se rapproche de la famille et cherche à les connaître. Une énigme qui va occuper sa vie, ses pensées, au point que sa vie va changer une nouvelle fois. Marie ne souhaite pas aller plus avant. Ce roman a été tourné en film en 2020. Le livre est bien écrit avec un aspect addictif qui passionne et embarque le lecteur dans une autre vie que la sienne.

Hélène qui doit partir vers 16h, prend le temps de nous lire un texte qu’elle a préparé sur « Les prisonniers de la liberté » 2019 de Lucia di Fulvio. Ce gros livre d’un auteur italien à succès, homme de théâtre, auteur de romans policiers, ou fantastiques ou de livres pour la jeunesse l’intéresse pour son côté social. Quatre jeunes gens venus de divers pays européens partent sur un transatlantique vers Buenos Aires en 1912. Leur avenir qui devait être agréable devient un cauchemar, le garçon va travailler sur les docks et les filles terminent dans des bordels pour marins…La première partie du livre est intéressante, mais la suite est un peu décevante. Toutefois, Hélène pense à toutes ces femmes qui souffrent, sont blessées ou plus, dans leur vie familiale ou professionnelle. Je me permets de lui prêter un livre sur la condition féminine au 19eme siècle de Coline Gatel : « Le labyrinthe des femmes ».

Merci pour ces apports sympathiques et enrichissants, nos conversations, nos réflexions nous permettent d’évoluer avec l’aide de tout le groupe.

Cette riche séance nous a conduits à 16h10, je voudrais terminer par une reprise d’un passage du livre de Eric Emmanuel Schmitt « Paradis perdus » dont l’objectif serait de nous aider à trouver des solutions pour vivre les divers dangers qui menacent notre XXI ème siècle. Je voudrais repréciser un des objectifs donnés par l’écrivain à l’énorme travail de recherche et de recréation des sociétés souvent oubliées ou méconnues. Dans un style toujours soigné et attentif à tous les détails, l’expression de la sensorialité, le discours intérieur des personnages qui réfléchissent, les dialogues très vivants dramatisent parfaitement les situations.

C’est autour d’une catastrophe devenue mythique qu’il concentre ce premier livre, le Déluge. Il a l’intelligence de s’écarter des récits bibliques ou assyro-babyloniens (l’Epopée de Gilgamesh offre des parallèles nombreux avec le récit du mythe biblique ; cf Wikipédia le déluge).

E.E. Schmitt montre que cet épisode pourrait s’être produit à la fin de la glaciation de Riss-Wurm (entre 115 000 et 11 700 ans Avant le Présent « AP »). A sa fin vers 7500 avant JC ou 9500 AP. certaines étendues de l’Europe étaient largement hors d’eau puisque les glaces permettaient de relier l’Europe au continent américain. Autour de la cité lacustre, les personnages connaissent une nature libérée depuis longtemps, peu d’hommes, peu de cataclysmes, c’est un paradis naturel. Le petit groupe humain construit sa vie sociale, ses institutions, sa relation avec une nature végétale et animale, un peu comme l’aurait souhaité JJ Rousseau ou G. Thoreau dans « Walden ». Mais, des pressentiments, des mouvements du sol inquiètent Noam et ses amis, l’herboriste et les responsables de la cité lacustre. Ils ne savent pas ce qui se passe mais le Lac bouge. L’idée de construire un village-bateaux se précise et des rencontres avec d’autres villages les amènent à mettre leurs savoirs, leurs forces en commun. C’est une sorte d’étude des comportements et des stratégies mentales de ces individus aux prises avec des changements. Ce sont les animaux qui donnent l’alerte, leur fuite vers des régions d’altitude renforce l’anxiété et la volonté de réussir le challenge de sauver quelques familles et quelques animaux. Puis, les forces naturelles deviennent énormes, fantastiques comme un Tsunami, et les bateaux fragiles construits de leurs mains sont en difficulté, les vivres manquent, tous souffrent mais restent ouverts aux besoins des autres. Plusieurs semaines passent et les eaux montent d’une centaine de mètres, les rescapés ne reconnaissent plus les paysages, ils sont privés de repères.

Ce sont les explorations marines d’Ifremer, sur la Mer Noire qui apportent des informations nouvelles expliquant en partie ce cataclysme, en 2004 et 2014, sur le bateau Marion Dufresne ; puis les travaux de Gilles Lericolais confortent ces découvertes. Les eaux de cette mer fermée seraient constituées de strates d’eau douce vers les fonds bordés de rives sablonneuses, puis les couches supérieures sont alimentées par les entrées de la mer de Marmara salées et celles des fleuves d’eau douce qui la bordent, Danube, Dniepr, Volga… Cette mer serait une riche archive paléo-climatique. Le détroit du Bosphore ou Pont Euxin (amical) pour ceux qui ont fréquenté le latin, le grec et le théâtre classique, fut longtemps auparavant appelé Pont Axine (mer inamicale) en pensant à toutes les victimes de ce cataclysme. Séîsmes probables et afflux d’eaux marines par vagues énormes à travers le couloir du Bosphore auraient  produit cette montée du niveau de la Mer Noire de plus de 100m en une trentaine d’années, disent les experts.

C’est une autre façon d’envisager la littérature : elle doit tenir compte des évolutions sociales, économiques et climatiques puisque nous savons de plus en plus que tout se tient dans l’écheveau de la vie. Tout est lié et nous ne sommes que des éléments de cette architecture complexe. L’écriture est témoignage, nous le savons depuis longtemps, par là même, elle est en relation direct avec les événements de la vie quotidienne et générale. Et tout est Vie, dans la nature, l’humain et l’animal, les plantes, la planète vivent avec des rythmes divers sur le même principe de vie, de disparition et d’utilité. Victor Hugo disait de façon inspirée « Tout est vie, tout est semblable » dans Pleine Mer et Plein Ciel, La Légende des Siècles, ses dernières œuvres.

Nous avons parlé de la séance du 25 octobre, 14h30-16h et plus… elle aura lieu chez Nicole encore une fois, ensuite nous ferons des échanges pour favoriser la nouveauté et le partage.

J’aurai grand plaisir à vous retrouver pour de nouvelles aventures littéraires. Merci pour votre participation si active et vos échanges graves ou plein d’humour. Nicole.